Prologue
La décision de quitter la ville pour s’installer à la campagne murissait depuis plusieurs années dans l’esprit de Monsieur et Madame Morin-Diallo. Les problèmes d’asthme de Sarah, la petite dernière, et les plaintes incessantes des voisins lorsque les jumeaux Lucas et Salomon jouaient dans la cour de leur résidence du centre-ville de Lyon avaient fini par les convaincre de faire le grand saut. Alors, un matin d’août, les cinq Lyonnais accompagnés de leur chien et de leur chat s’étaient installés dans un coin reculé d’Ardèche au bord de la rivière la Bourges, dans une jolie maison de pierre abandonnée depuis seulement six mois. La santé déclinante du couple de retraités qui y avait vécu les avait poussés à rejoindre la vallée non loin d’un centre hospitalier et des services qu’il proposait aux personnes âgées. Les parents Morin-Diallo, Laurence et Driss, tout sourires, se réjouissaient. Enfin ils réalisaient leur rêve, offraient à leurs enfants de sept et douze ans un cadre de vie proche de la vie sauvage, où l’air était peu pollué et qui permettrait à leur progéniture d’évoluer au grand air, dans un milieu sain au plus près de la nature. Dès les premiers jours, la respiration de Sarah se fit plus fluide, aucun accès de toux à déplorer, son teint s’était éclairci, elle était radieuse, son père et sa mère s’en félicitait. Quant aux garçons, ils n’en revenaient pas de disposer d’un terrain de jeu qui leur semblait illimité. Ils couraient dans les bois, dévalaient les pentes à s’en couper le souffle, sautaient dans les cascades, s’aspergeaient d’eau dans la rivière, hurlant et riant sans déranger personne, un vrai bonheur.
Or, ce dont aucun d’entre eux ne se doutait, c’était que le vide de la maison qu’ils venaient d’investir n’était qu’apparent. En effet, cachés dans les nombreux recoins des deux étages que les Morin-Diallo occupaient, ainsi que dans le grenier, dans la cave, au beau milieu de ce qui avait été un potager, sur la rivière et partout sur ses rives, fourmillait un grand nombre d’espèces de la faune et de la flore locale. Des bactéries invisibles à l’œil nu, des insectes plus ou moins faciles à vivre, des reptiles surtout de petites tailles, des mammifères petits et grands, jusqu’aux oiseaux qui volaient librement au-dessus de la nouvelle demeure de Laurence et de Driss. Sans le savoir, les cinq bipèdes citadins et leurs deux animaux de compagnie bouleversaient tout un écosystème qui avait appris à exister sans devoir composer avec des humains.
Laurence entreprit d’abord de s’occuper du jardin qu’elle voulait rendre joli. Elle s’arma d’une énorme paire de ciseaux en métal et d’autres ustensiles et commença par se charger des mauvaises herbes : elle défrichait, éliminait toutes les plantes qui lui semblaient laides ou inutiles, une hécatombe. Dans la remise, Driss fut ravi de trouver une tondeuse à gazon dont le réservoir contenait encore suffisamment de carburant. Afin de rendre les alentours de leur propriété plus ordonnée, il sortit l’engin, et l’alluma. Un bruit de moteur vint perturber le calme à une centaine de mètres à la ronde, semant l’effroi dans la nature, d’autant que la fumée noire qui s’en échappait était irrespirable. Alors qu’ils jouaient dans le lit de la rivière, les deux garçons n’hésitaient pas à s’emparer de cailloux qu’ils jetaient à la surface pour s’éclabousser, sans se rendre compte qu’ils retiraient leurs abris à des crustacés livrés subitement sans secours aux attaques de leurs prédateurs. Leur chien, encore jeune et turbulent, ne sachant plus où donner du museau, pourchassait les papillons affolés, creusait la terre en arrachant les racines nécessaires à la survie des plantes, ses jeux détruisaient aussi l’habitat d’insectes incapables de vivre au grand jour. Le chat aussi jubilait, il avait à sa disposition un vaste terrain de chasse où les rongeurs dont il raffolait, découvraient bien trop tard son habileté et sa redoutable efficacité. Le petit félin ne mit pas vingt-quatre heures à s’adapter à son nouvel environnement, il en devint le principal prédateur.
En se rencontrant, deux univers qui n’aspiraient pourtant qu’à vivre en paix entraient en collision. Mais, ignorés par les humains, c’était au monde des plantes et des animaux de réagir, d’observer attentivement le comportement des nouveaux venus afin de s’y adapter, puis de trouver rapidement les moyens de cohabiter avec ceux qu’ils considéraient comme des intrus qui leur compliquaient l’existence.
1/ Chapitre 1
Salomé n’avait pas vu sa mère de la journée. A peine l’avait-elle entendue quitter la maison, le moteur de sa voiture vrombissant à l’aurore, les roues du véhicule crissant sur le gravier blanc de l’allée, avant de s’élancer à l’extérieur. Elle s’en allait tôt pour éviter les embouteillages, traverser la ville, passer à temps le pont qui la coupait en deux, être la première arrivée au dispensaire. En réalité, elle n’était jamais vraiment la première sur les lieux. Des malades se bousculaient déjà aux portes. Des femmes portant leurs enfants sur la hanche. Jeunes gens atteints de paludisme chronique. Des vieillards dont il faudrait retirer des vers de Cayor ou traiter les filaires. Une foule dont il faudrait se charger jusqu’à la tombée de la nuit. C’était lundi. La semaine serait longue et harassante.
Rentrée du collège où elle venait d’entrer en classe de sixième après avoir été brillamment reçue au concours national sans lequel la chose n’était pas envisageable, Salomé tournait en rond dans la maison. Le chauffeur était passé la prendre comme toujours, et l’avait ramenée sans faire de détour. Elle ne l’avait pas prié de s’arrêter pour acheter des soyas, ces brochettes de bœuf vendues aux abords des rues, dont la consommation lui était interdite. Elle ne lui avait pas non plus demandé d’attendre qu’elle s’offre un cône d’arachides grillées, dont un marchand faisait sauter les pelures en l’air avant de servir ses clients. En temps normal, Salomé ne reculait pas devant ces manquements aux lois parentales, dépensant allègrement son argent de poche, afin de se sentir appartenir au peuple de son pays. Vivre comme les autres. Etre un temps parmi eux, pas seulement à côté.
La chambre de sa cousine Sephora se trouvait à côté de la sienne. Elle eut envie d’y pénétrer pour l’attendre comme elle le faisait souvent, préparant une partie de Monopoly ou de Scrabble. Elles aimaient jouer avant de se consacrer à leurs devoirs. Sephora ne tarderait plus, à présent. La perspective de ces amusements ne suscita qu’une joie éphémère chez Salomé. Elle resta interdite devant la porte, se remémorant les paroles de sa mère. C’était de Sephora et de son frère Abel qu’elle parlait, lorsqu’elle avait dit : « Ce sont nos gens. » Hier, Abel était passé voir sa sœur. Il était aussi porteur d’un message envoyé par ses parents à ceux de Salomé. Le contenu de la missive était un mystère. Tout ce que Salomé savait, c’était que sa mère s’était emportée, qu’elle avait crié, que son mari lui avait demandé pourquoi parler sur ce ton à un enfant. C’était là qu’elle avait lancé : « Ce sont nos gens, je leur parle comme il me sied… »
Salomé tourna les talons, se dirigea vers sa chambre, se laissa choir sur son lit. La bonne avait pris soin de mettre en marche le climatiseur. Une fraîcheur apaisante enveloppait les lieux. Elle laissa errer son regard dans la pièce. Un revêtement rose couvrait les murs. Il y avait un bureau en acajou, des étagères supportant des livres et, sur la table de chevet, un ghetto blaster reçu à Noël. Une épaisse moquette tapissait le sol, si bien qu’elle n’entendait jamais le bruit de ses propres pas, quand elle se trouvait dans cette pièce. Face au lit, une porte donnait sur une salle de bain, avec un dressing mitoyen. C’était là que Sephora venait faire sa toilette. Sa chambre à elle ne disposait pas des mêmes commodités. Ses vêtements étaient rangés dans une malle, comme s’il lui fallait se tenir prête à s’en aller à tout moment.
La fillette se mit à songer, pour la première fois, à toutes les différences qu’elle n’avait jamais interrogées. Sephora vivait dans la même maison, mais fréquentait une école publique, dans un des quartiers populaires de la ville. Le chauffeur ne l’y conduisait pas. Elle prenait un taxi de ramassage [1] pour s’y rendre, rentrait quelquefois à pied pour économiser un peu d’argent. Le samedi, alors que Salomé faisait la grasse matinée, il n’était pas rare que sa mère envoie Sephora au marché ou ailleurs, faire quelque commission. Il n’y avait là rien qui ressemble à de la torture, Sephora n’était pas maltraitée. D’ailleurs, elle ne se plaignait de rien. Ses parents l’avaient confiée à ses oncle et tante, parce qu’ils pensaient qu’elle aurait, grâce à eux, de meilleures chances dans la vie.
Au fond d’elle Salomé entendait une petite voix lui dire qu’il y avait quelque chose. Ce n’était pas uniquement parce que Sephora n’était pas leur enfant, que ses parents ne s’adressaient jamais à elle en français, ne lui parlant que cette langue ancestrale qu’ils ne transmettaient pas à leur fille. Ce n’était pas pour cette seule raison que ses vêtements n’étaient jamais commandés à la Redoute, ni achetés dans les magasins hors de prix où se rendaient les expatriés européens pour maintenir leur style de vie. Et si elle ne s’autorisait à regarder un film sur le magnétoscope qu’à l’invitation de Salomé, ce n’était pas, là non plus, parce que cette maison n’était pas celle de ses géniteurs. C’était parce qu’elle appartenait à cette caste mystérieuse, celle des « nos gens ».
Le cœur de Salomé se glaça, lorsqu’elle entendit grincer le portail. Sephora rentrait. Elle l’entendit prendre gaiement congé d’une camarade de classe. Le gravier blanc de l’allée bruissa sous ses pieds comme tous les jours, et comme tous les jours, elle s’arrêta pour humer le parfum des fleurs du frangipanier planté dans la cour, face au manguier, à quelques pas d’un arbre du voyageur dont on prenait grand soin. Sephora avait l’âge d’être en troisième, mais elle n’était qu’en cinquième à cette année, ayant échoué à deux reprises au concours d’entrée en sixième. C’était après son second échec à l’examen national qu’elle était venue vivre avec eux. Salomé se souvenait du conseil de famille qui avait entériné la décision. Puisqu’on ne lui disait jamais rien ou pas grand-chose d’important, elle avait écouté aux portes. Ses parents l’ignoraient, mais elle comprenait parfaitement la langue secrète, la langue non transmise des ancêtres.
Bientôt, on frappa trois coups guillerets à la porte de sa chambre. Le sourire de Sephora illumina la pièce, et son accent d’enfant des quartiers envahit l’espace : « Tu es déjà là ! Je t’ai gardé. » Ces derniers mots signifiaient qu’elle avait pensé à sa cousine, et lui avait rapporté quelque friandise proscrite, afin de partager avec elle la saveur du pays réel. Salomé se redressa, incapable, toutefois, de lui rendre son sourire. Devant la mine étonnée de cette cousine dont elle n’était plus certaine de connaître le statut, elle dit simplement : « Il faut qu’on parle. »
2/ Chapitre 2
On était jeudi soir. C’était le moment préféré de Salomé car sa mère, de garde ce jour-là, ne rentrait qu’à l’aube. Elles avaient pris place sous le manguier qui était en quelque sorte leur arbre à palabres. Elles commencèrent alors, comme elles en avaient l’habitude, à se raconter leurs journées au collège. Soudain, d’un air gênée, Salomé sortit de sa poche la lettre qu’elle avait trouvée précédemment dans le bureau de son père, alors qu’elle y cherchait une carte d’Europe pour son cours de géographie. Elle la lui tendit.
« - Pourquoi tu me donnes ça ? demanda Séphora.
Parce qu’elle te concerne, répondit Salomé. »
Alors Séphora sortit doucement la lettre de son écrin de papier, la déplia et la lut.
« Mon cher ami,
Je vous écris cette lettre pour vous dire que je préfère partir, avant que votre épouse légitime ne vienne à découvrir la vérité. Je ne supporte plus de rester en votre compagnie, sans pouvoir partager avec notre fille une pleine relation maternelle.
Je me suis trop longtemps sacrifiée pour pouvoir être à ses côtés. Je retourne dans ma contrée natale, dans le village où nous nous sommes rencontrés il y a douze ans.
Gardez cette lettre pour vous et veillez à ce que votre entourage n’en connaisse pas l’existence.
Prenez soin de notre fille Séphora.
Adieu »
Séphora s’adossa au manguier et laissa jaillir un ruisseau de larmes. Elle avait du mal à réaliser que sa mère avait passé douze ans auprès d’elle et qu’alors qu’elle le découvrait, cette mère n’était plus là. Salomé dit doucement :
« Nous sommes donc demi-sœurs... »
Elle se sentit transpercée d’immenses remords, à l’idée de ne pas avoir développé pleinement leur relation. Elles tombèrent dans les bras l’une de l’autre et passèrent la nuit à parler des bons moments qu’elles avaient vécus.
Lorsque le jour parut, et que le soleil rougit l’horizon, dans la clarté naissante, le réveil sonna. Il était l’heure pour elles de mettre en application leur plan, élaboré la nuit même. Il s’agissait de profiter de l’emprise de Morphée sur sa mère qui n’était rentrée que depuis quelques heures et de l’absence du père, parti en voyage d’affaires, pour grimper au manguier, faire le plein de fruits au passage et sauter par dessus la grille qui clôturait le jardin. De là, elles iraient retrouver Abel qui leur apporterait, elles l’espéraient, son aide, afin de partir à la recherche de la mère de Sephora.
Elles se glissèrent hors du lit, déjà habillées, vérifièrent leur sac dans lequel Salomé avait mis bien trop d’affaires et qu’il lui fallut alléger, alors que Séphora était péniblement parvenue à rassembler quelques vêtements, autres que son uniforme scolaire. Passant furtivement par la cuisine, elles attrapèrent de quoi se sustenter et s’éloignèrent discrètement vers le manguier. L’une après l’autre, elles grimpèrent à l’arbre fruitier se servirent en fruits et enjambèrent la grille, avec un ressenti différent pour chacune : l’une était motivée, tandis que la peur étreignait le ventre de l’autre. Une fois dehors, Salomé découvrit la rue dont elle rêvait depuis si longtemps. Séphora menait la marche, et saluait au passage les marchands qu’elle croisait habituellement sur le chemin de l’école, et qui étaient ce jour là, bien intrigués de la voir de si bonne heure et en compagnie d’une étrangère. Salomé ne se sentait pas à l’aise dans ce monde qui n’était pas le sien mais était émerveillée par l’activité foisonnante.
Lorsqu’elles arrivèrent chez Abel, Séphora frappa, les mains moites, pleine d’appréhension à l’idée d’avoir fait le trajet pour rien. Une femme vint leur ouvrir. La déception se lut sur leur visage : son frère, lorsqu’il était présent, était celui qui toujours ouvrait la porte.
« - Comment vas-tu Séphora ? Qu’est-ce qui t’amène ?
Je viens voir Abel, j’ai une nouvelle à lui annoncer et un service à lui demander.
Ton frère n’est pas là ce matin, il est parti aider un marchand de la rue à décharger ses provisions, il lui avait promis de le faire.
Sais-tu à quelle heure il compte rentrer ?
A mon avis, il sera de retour en début d’après midi.
Merci, je vais profiter de son absence pour faire découvrir la ville à Salomé, en attendant ... »
Les deux adolescentes retournèrent sur leurs pas et se mêlèrent aux vendeurs qui préparaient leurs étals. Salomé s’émerveilla devant le foisonnement de couleurs sur les étalages, dans les paniers en osier, parfois même au sol. Les odeurs qui émanaient ça et là des épices et des fruits lui faisaient monter l’eau à la bouche. Un marchand touché par sa fascination lui offrit un quartier de kiwano. Salomé fut surprise par l’enveloppe de ce fruit qui lui blessa les mains et dont elle ne savait que faire. Séphora lui montra comment le manger astucieusement.
Alors, les cloches sonnèrent et la rue s’emplit soudain d’une foule dense et bigarrée, joyeuse et bruyante. Salomé pouvait approcher étals et marchands, et goûter à cette vie qu’on lui avait toujours défendue au motif qu’elle n’était pas digne d’intérêt.
En début d’après midi, Abel revint et accepta de rendre service à sa sœur. Il était heureux, au fond, d’avoir enfin un motif véritable pour se rapprocher de sa mère qu’il n’avait plus vu depuis qu’elle était entrée au service des « étrangers ». Il lui en voulait encore, mais sa jeune compagne sut trouver les mots pour le convaincre de se lancer dans cette aventure.
Quant à Salomé, elle découvrit ce jour là que sa mère avait tort de porter si peu de considération à ces gens.
Ainsi Séphora et Abel partirent-ils, accompagnés de Salomé, tous trois en Boda-boda, sur les chemins sinueux, à la recherche de leur mère.
3/ Chapitre 3
Abel, Séphora et Salomé, après de longues heures de route, s’arrêtèrent dans un village perdu au cœur de la forêt. Au milieu de la nuit, ils distinguèrent quelques maisons en terre cuite éclairées par la lune. Un homme d’un certain âge les accueillit, étonné.
Le lendemain, ils remercièrent rapidement leur hôte et partirent dès l’aube. Ils continuèrent leur route en demandant toujours la direction de Nairobi, la capitale du Kenya, leur destination.
Abel était le plus débrouillard. C’était lui qui se chargeait de parler aux inconnus, de trouver à manger et de les défendre.
Ils étaient partis avec comme seul piste le pendentif d’Abel. Brisé lors d’une bagarre, il s’était ouvert et les adolescents avaient découvert un message écrit sur un papier usé, où il était inscrit : « Nairobi, 148 rue Manga ».
Cela faisait maintenant quelques jours qu’ils avaient quitté leur petit monde, et ils étaient à la fois apeurés et fascinés par leur voyage.
Ils arrivèrent enfin dans la capitale. La grandeur des immeubles, le fourmillement des personnes dans la rue, le bruit sourd des véhicules, la multitude de magasins, tout cela les interpellait. Ils ne savaient pas où donner de la tête, où se diriger. Ils oublièrent pourquoi ils étaient venus et passèrent la journée à se promener dans les quartiers chics de la ville, en faisant semblant de s’intéresser aux montres aux prix faramineux, aux costumes de soirées luxueux.
Le soir, ils s’endormirent les uns contre les autres, sur une place , près de la gare centrale.
Ils n’étaient pas habitués à être tirés du sommeil par le vrombissement des motos. Affamés, ils allèrent immédiatement voler sur un marché des beignets et des fruits. Salomé avait attendu à côté, elle avait trop peur de voler.
Après le repas, ils commencèrent leurs recherches. Au fur et à mesure des indications, ils s’enfoncèrent dans les quartiers mal famés. Les rues devenaient sales, étroites, les passants de moins en moins courtois.
Ils arrivèrent enfin devant la porte. Le 148 rue Manga. C’était une petite maison mal entretenue. Le crépi rouge n’était presque plus visible et les fenêtres étaient tellement sales qu’on ne pouvait plus voir l’intérieur.
Hésitant, Abel passa la porte du 148 en premier...
4/ Chapitre 4
Les deux cousines suivirent Abel dans la bâtisse et trouvèrent un espace vide. Déçus, ils ressortirent tous ensemble et trouvèrent un grand homme mince qui les observait du coin de l’oeil. Ils se dirigèrent vers lui et demandèrent s’il cherchait quelqu’un ou quelque chose. Mystérieusement, il leur répondit : « Je pense que j’ai touché au but, si vous voulez trouver la personne que vous cherchez, suivez-moi. ».
Ils répondirent à sa demande et le suivirent vers une station de matatus ; ils en prirent un en direction du parc de Massaï Mara.
A l’intérieur de ce véhicule très particulier ils apercurent pendant le voyages un groupe de dik-dik qui couraient a une vitesse phénoménale, des nyamera buvant a un point d’eau, un félin d’Afrique : le caracal, et un troupeaux de zèbres. Ils distinguèrent, au loin, le parc national du Serengeti ou la nature rayonnait de toute sa splendeur. Descendu du véhicule ils suivirent cet homme mystérieux qui les avait conduit à ce point, ils marchèrent en vue d’un petit village composé de huttes en boue séchée. Des enfants coururent vers eux et dansèrent autour des nouveaux arrivants. Ils pénétrèrent dans le village et se dirigèrent vers une des plus grandes habitations. L’homme était toujours à leur tête et les guida à l’intérieur de la hutte. Les trois enfants se figèrent. Là, au milieu de la terre battue, sur une grande chaise en bois, se trouvait la mère de Sephora et Abel. Ils la regardèrent tous, surpris.
Elle était très grande et avait des membres longs, elle portait de nombreux bijoux colorés qui formaient comme une guirlande autour de son cou. Elle portait aussi des couvertures éclatantes et vives jusqu’aux chevilles. Son crâne était rasé et orné d’une couronne.
Elle prit la parole et imposa directement le silence.
« Mes humbles salutations, chers fils et fille, vous devez vous poser de nombreuses questions. J’ai été kidnappée et j’ai eu peur de ne jamais vous revoir. Cela peut vous surprendre mais je fais partie de la noble lignée de cette ethnie. Kitao Kulibani, mon frère, m’a kidnappée pour devenir chef à ma place mais grâce à un membre de la tribu qui nous avait repérés j’ai été libérée. Pendant le combat, mon sauveur planta dans la tête une lance fatale qui tua mon frère. Mon libérateur m’a remis le sceptre de pouvoir absolu comme cela se fait traditionnellement quand un ancien chef meurt et qu’un nouveau est conduit au pouvoir. »
Surpris et choqués les adolescents poussèrent un cri d’exclamation « hooo notre mère une reine !! » honoré par cette nouvelle inimaginable, il y a quelque heure appeine Abel et Sephora réalisèrent leur nouvelle situation.
Le soir la chef organisa une grande fêtes pour annoncer leur nouvelle situation a la tribu
Pour célébrer les retrouvailles, le village organisa une grande fête.
Des 7 heures du soir on entendait les cris des réjouissances, mais c’est à 9h que la fête commença officiellement.
Les festivités battaient leur plein. Sorti prendre l’air, Abel remarqua un attroupement à quelques centaines de mètres du village. Soudain il entendit les cornes de koudou annonçant la bataille...
5/ Chapitre 5
Abel, stupéfait par le spectacle macabre, voulut s’enfuir mais un militaire le bouscula et il se retrouva à terre. Il pense alors à Salomé et Séphora qui ignoraient ce qui se passait et qui ne pourraient pas s’en sortir seules. Il fit l’effort de se relever mais il reçut un coup de matraque qui le paralysa. Il crut sa dernière heure venue. Tout à coup, il se sentit emporté et se retrouva loin de la bataille. Son sauveur le remit sur pied et le conseilla de partir loin d’ici. Remis de ses émotions, le jeune homme s’empressa de rejoindre ses deux compagnes.
Arrivé devant la maison où se déroulaient les festivités, il trouva Salomé et Séphora inquiètes car elles avaient entendu des cris et des détonations.
– Pourquoi as-tu tant tarder ? L’interrogea Salomé. Tu es blessé à la tête. Que t’est-il arrivé ?
– J’ai reçu un coup, je me suis évanoui et un homme est intervenu pour..
Abel fut interrompu par un homme grand et robuste, celui-là même qui lui avait sauvé la vie.
Les trois jeunes étonnés fixaient l’homme. Il ne comprenait pas ce qui se passait. Le sauveur d’Abel les regarda attentivement et s’adressa au frère et à la sœur :
– Vous...vous me rappelez quelqu’un …
Séphora et Abel se regardèrent, interloqués. Abel commença :
– Étonnant, qui donc ?
L’homme reprit la parole, bouleversé :
– Je connais une femme au Cameroun. C’est mon amie. Elle s’appelle Christine. Son histoire est émouvante : elle a abandonné ses enfants et est maintenant à leur recherche. J’ai appris récemment que deux adolescents vous ressemblant se trouvaient ici-même. C’est drôle, hein ?Que le monde est petit..
L’homme doutait, ce n’était pas possible !
Séphora dit : Intéressant, n’est-ce-pas Abel ?
– Et si ? …
– Non, je ne pense pas...
Abel s’adressa à l’inconnu :
– Elle vient du Cameroun ?
– Oui , répondit l’homme.
– Nous aussi, c’est bizarre.
Séphora révéla à l’homme qu’ils étaient eux-mêmes à la recherche de leur mère et que leur cousine, Salomé, les accompagnait.
Séphora continua :
– Monsieur, pourriez-vous nous mener à cette femme ?
– Pourquoi pas, venez. Suivez-moi. Elle habite dans un quartier populaire de la capitale.
Après deux heures de sueur, de souffrance, causées par une longue marche, ils arrivèrent à destination. Quand la femme les vit, elle tomba à genou tant l’émotion la gagnait.
Submergé par l’émotion, Séphora avait perdu l’usage de la parole mais à la seconde où elle entrevit une zone sombre sur la tempe de la femme, elle eut la certitude que c’était sa mère. Alors elle se laissa aller aux larmes. Abel, quant à lui, tomba dans les bras de la femme, cette mère qu’il avait tant cherchée. Il demanda alors en sanglots :
– Pourquoi ? Pourquoi ?
Christine se détacha doucement d’Abel, essuya ses yeux, défroissa sa robe et attira son fils vers le fauteuil. Elle commença :
– Mon fils, mon amour, mon sang. Je t’aime au plus profond e moi et t’abandonner m’a arraché le cœur. J’ai été contrainte de vous abandonner car je n’avais pas d’argent pour vous élever toi et ta sœur.
Non, ne pleure pas, Séphora, je suis prête pour un nouveau départ. J’ai de l’argent désormais. J’ai hérité de mon père. Elle se mit à rire. Nous avons un avenir à construire ensemble. »
Il revint en mémoire à Salomé qui observait ses cousins et sa tante, les propos que sa mère avait prononcés : « ce sont nos gens. »
1/ Chapitre 1
Salomé n’avait pas vu sa mère de la journée. A peine l’avait-elle entendue quitter la maison, le moteur de sa voiture vrombissant à l’aurore, les roues du véhicule crissant sur le gravier blanc de l’allée, avant de s’élancer à l’extérieur. Elle s’en allait tôt pour éviter les embouteillages, traverser la ville, passer à temps le pont qui la coupait en deux, être la première arrivée au dispensaire. En réalité, elle n’était jamais vraiment la première sur les lieux. Des malades se bousculaient déjà aux portes. Des femmes portant leurs enfants sur la hanche. Jeunes gens atteints de paludisme chronique. Des vieillards dont il faudrait retirer des vers de Cayor ou traiter les filaires. Une foule dont il faudrait se charger jusqu’à la tombée de la nuit. C’était lundi. La semaine serait longue et harassante.
Rentrée du collège où elle venait d’entrer en classe de sixième après avoir été brillamment reçue au concours national sans lequel la chose n’était pas envisageable, Salomé tournait en rond dans la maison. Le chauffeur était passé la prendre comme toujours, et l’avait ramenée sans faire de détour. Elle ne l’avait pas prié de s’arrêter pour acheter des soyas, ces brochettes de bœuf vendues aux abords des rues, dont la consommation lui était interdite. Elle ne lui avait pas non plus demandé d’attendre qu’elle s’offre un cône d’arachides grillées, dont un marchand faisait sauter les pelures en l’air avant de servir ses clients. En temps normal, Salomé ne reculait pas devant ces manquements aux lois parentales, dépensant allègrement son argent de poche, afin de se sentir appartenir au peuple de son pays. Vivre comme les autres. Etre un temps parmi eux, pas seulement à côté.
La chambre de sa cousine Sephora se trouvait à côté de la sienne. Elle eut envie d’y pénétrer pour l’attendre comme elle le faisait souvent, préparant une partie de Monopoly ou de Scrabble. Elles aimaient jouer avant de se consacrer à leurs devoirs. Sephora ne tarderait plus, à présent. La perspective de ces amusements ne suscita qu’une joie éphémère chez Salomé. Elle resta interdite devant la porte, se remémorant les paroles de sa mère. C’était de Sephora et de son frère Abel qu’elle parlait, lorsqu’elle avait dit : « Ce sont nos gens. » Hier, Abel était passé voir sa sœur. Il était aussi porteur d’un message envoyé par ses parents à ceux de Salomé. Le contenu de la missive était un mystère. Tout ce que Salomé savait, c’était que sa mère s’était emportée, qu’elle avait crié, que son mari lui avait demandé pourquoi parler sur ce ton à un enfant. C’était là qu’elle avait lancé : « Ce sont nos gens, je leur parle comme il me sied… »
Salomé tourna les talons, se dirigea vers sa chambre, se laissa choir sur son lit. La bonne avait pris soin de mettre en marche le climatiseur. Une fraîcheur apaisante enveloppait les lieux. Elle laissa errer son regard dans la pièce. Un revêtement rose couvrait les murs. Il y avait un bureau en acajou, des étagères supportant des livres et, sur la table de chevet, un ghetto blaster reçu à Noël. Une épaisse moquette tapissait le sol, si bien qu’elle n’entendait jamais le bruit de ses propres pas, quand elle se trouvait dans cette pièce. Face au lit, une porte donnait sur une salle de bain, avec un dressing mitoyen. C’était là que Sephora venait faire sa toilette. Sa chambre à elle ne disposait pas des mêmes commodités. Ses vêtements étaient rangés dans une malle, comme s’il lui fallait se tenir prête à s’en aller à tout moment.
La fillette se mit à songer, pour la première fois, à toutes les différences qu’elle n’avait jamais interrogées. Sephora vivait dans la même maison, mais fréquentait une école publique, dans un des quartiers populaires de la ville. Le chauffeur ne l’y conduisait pas. Elle prenait un taxi de ramassage [1] pour s’y rendre, rentrait quelquefois à pied pour économiser un peu d’argent. Le samedi, alors que Salomé faisait la grasse matinée, il n’était pas rare que sa mère envoie Sephora au marché ou ailleurs, faire quelque commission. Il n’y avait là rien qui ressemble à de la torture, Sephora n’était pas maltraitée. D’ailleurs, elle ne se plaignait de rien. Ses parents l’avaient confiée à ses oncle et tante, parce qu’ils pensaient qu’elle aurait, grâce à eux, de meilleures chances dans la vie.
Au fond d’elle Salomé entendait une petite voix lui dire qu’il y avait quelque chose. Ce n’était pas uniquement parce que Sephora n’était pas leur enfant, que ses parents ne s’adressaient jamais à elle en français, ne lui parlant que cette langue ancestrale qu’ils ne transmettaient pas à leur fille. Ce n’était pas pour cette seule raison que ses vêtements n’étaient jamais commandés à la Redoute, ni achetés dans les magasins hors de prix où se rendaient les expatriés européens pour maintenir leur style de vie. Et si elle ne s’autorisait à regarder un film sur le magnétoscope qu’à l’invitation de Salomé, ce n’était pas, là non plus, parce que cette maison n’était pas celle de ses géniteurs. C’était parce qu’elle appartenait à cette caste mystérieuse, celle des « nos gens ».
Le cœur de Salomé se glaça, lorsqu’elle entendit grincer le portail. Sephora rentrait. Elle l’entendit prendre gaiement congé d’une camarade de classe. Le gravier blanc de l’allée bruissa sous ses pieds comme tous les jours, et comme tous les jours, elle s’arrêta pour humer le parfum des fleurs du frangipanier planté dans la cour, face au manguier, à quelques pas d’un arbre du voyageur dont on prenait grand soin. Sephora avait l’âge d’être en troisième, mais elle n’était qu’en cinquième à cette année, ayant échoué à deux reprises au concours d’entrée en sixième. C’était après son second échec à l’examen national qu’elle était venue vivre avec eux. Salomé se souvenait du conseil de famille qui avait entériné la décision. Puisqu’on ne lui disait jamais rien ou pas grand-chose d’important, elle avait écouté aux portes. Ses parents l’ignoraient, mais elle comprenait parfaitement la langue secrète, la langue non transmise des ancêtres.
Bientôt, on frappa trois coups guillerets à la porte de sa chambre. Le sourire de Sephora illumina la pièce, et son accent d’enfant des quartiers envahit l’espace : « Tu es déjà là ! Je t’ai gardé. » Ces derniers mots signifiaient qu’elle avait pensé à sa cousine, et lui avait rapporté quelque friandise proscrite, afin de partager avec elle la saveur du pays réel. Salomé se redressa, incapable, toutefois, de lui rendre son sourire. Devant la mine étonnée de cette cousine dont elle n’était plus certaine de connaître le statut, elle dit simplement : « Il faut qu’on parle. »
2/ Chapitre 2
On était jeudi soir. C’était le moment préféré de Salomé car sa mère, de garde ce jour-là, ne rentrait qu’à l’aube. Elles avaient pris place sous le manguier qui était en quelque sorte leur arbre à palabres. Elles commencèrent alors, comme elles en avaient l’habitude, à se raconter leurs journées au collège. Soudain, d’un air gênée, Salomé sortit de sa poche la lettre qu’elle avait trouvée précédemment dans le bureau de son père, alors qu’elle y cherchait une carte d’Europe pour son cours de géographie. Elle la lui tendit.
« - Pourquoi tu me donnes ça ? demanda Séphora.
Parce qu’elle te concerne, répondit Salomé. »
Alors Séphora sortit doucement la lettre de son écrin de papier, la déplia et la lut.
« Mon cher ami,
Je vous écris cette lettre pour vous dire que je préfère partir, avant que votre épouse légitime ne vienne à découvrir la vérité. Je ne supporte plus de rester en votre compagnie, sans pouvoir partager avec notre fille une pleine relation maternelle.
Je me suis trop longtemps sacrifiée pour pouvoir être à ses côtés. Je retourne dans ma contrée natale, dans le village où nous nous sommes rencontrés il y a douze ans.
Gardez cette lettre pour vous et veillez à ce que votre entourage n’en connaisse pas l’existence.
Prenez soin de notre fille Séphora.
Adieu »
Séphora s’adossa au manguier et laissa jaillir un ruisseau de larmes. Elle avait du mal à réaliser que sa mère avait passé douze ans auprès d’elle et qu’alors qu’elle le découvrait, cette mère n’était plus là. Salomé dit doucement :
« Nous sommes donc demi-sœurs... »
Elle se sentit transpercée d’immenses remords, à l’idée de ne pas avoir développé pleinement leur relation. Elles tombèrent dans les bras l’une de l’autre et passèrent la nuit à parler des bons moments qu’elles avaient vécus.
Lorsque le jour parut, et que le soleil rougit l’horizon, dans la clarté naissante, le réveil sonna. Il était l’heure pour elles de mettre en application leur plan, élaboré la nuit même. Il s’agissait de profiter de l’emprise de Morphée sur sa mère qui n’était rentrée que depuis quelques heures et de l’absence du père, parti en voyage d’affaires, pour grimper au manguier, faire le plein de fruits au passage et sauter par dessus la grille qui clôturait le jardin. De là, elles iraient retrouver Abel qui leur apporterait, elles l’espéraient, son aide, afin de partir à la recherche de la mère de Sephora.
Elles se glissèrent hors du lit, déjà habillées, vérifièrent leur sac dans lequel Salomé avait mis bien trop d’affaires et qu’il lui fallut alléger, alors que Séphora était péniblement parvenue à rassembler quelques vêtements, autres que son uniforme scolaire. Passant furtivement par la cuisine, elles attrapèrent de quoi se sustenter et s’éloignèrent discrètement vers le manguier. L’une après l’autre, elles grimpèrent à l’arbre fruitier se servirent en fruits et enjambèrent la grille, avec un ressenti différent pour chacune : l’une était motivée, tandis que la peur étreignait le ventre de l’autre. Une fois dehors, Salomé découvrit la rue dont elle rêvait depuis si longtemps. Séphora menait la marche, et saluait au passage les marchands qu’elle croisait habituellement sur le chemin de l’école, et qui étaient ce jour là, bien intrigués de la voir de si bonne heure et en compagnie d’une étrangère. Salomé ne se sentait pas à l’aise dans ce monde qui n’était pas le sien mais était émerveillée par l’activité foisonnante.
Lorsqu’elles arrivèrent chez Abel, Séphora frappa, les mains moites, pleine d’appréhension à l’idée d’avoir fait le trajet pour rien. Une femme vint leur ouvrir. La déception se lut sur leur visage : son frère, lorsqu’il était présent, était celui qui toujours ouvrait la porte.
« - Comment vas-tu Séphora ? Qu’est-ce qui t’amène ?
Je viens voir Abel, j’ai une nouvelle à lui annoncer et un service à lui demander.
Ton frère n’est pas là ce matin, il est parti aider un marchand de la rue à décharger ses provisions, il lui avait promis de le faire.
Sais-tu à quelle heure il compte rentrer ?
A mon avis, il sera de retour en début d’après midi.
Merci, je vais profiter de son absence pour faire découvrir la ville à Salomé, en attendant ... »
Les deux adolescentes retournèrent sur leurs pas et se mêlèrent aux vendeurs qui préparaient leurs étals. Salomé s’émerveilla devant le foisonnement de couleurs sur les étalages, dans les paniers en osier, parfois même au sol. Les odeurs qui émanaient ça et là des épices et des fruits lui faisaient monter l’eau à la bouche. Un marchand touché par sa fascination lui offrit un quartier de kiwano. Salomé fut surprise par l’enveloppe de ce fruit qui lui blessa les mains et dont elle ne savait que faire. Séphora lui montra comment le manger astucieusement.
Alors, les cloches sonnèrent et la rue s’emplit soudain d’une foule dense et bigarrée, joyeuse et bruyante. Salomé pouvait approcher étals et marchands, et goûter à cette vie qu’on lui avait toujours défendue au motif qu’elle n’était pas digne d’intérêt.
En début d’après midi, Abel revint et accepta de rendre service à sa sœur. Il était heureux, au fond, d’avoir enfin un motif véritable pour se rapprocher de sa mère qu’il n’avait plus vu depuis qu’elle était entrée au service des « étrangers ». Il lui en voulait encore, mais sa jeune compagne sut trouver les mots pour le convaincre de se lancer dans cette aventure.
Quant à Salomé, elle découvrit ce jour là que sa mère avait tort de porter si peu de considération à ces gens.
Ainsi Séphora et Abel partirent-ils, accompagnés de Salomé, tous trois en Boda-boda, sur les chemins sinueux, à la recherche de leur mère.
3/ Chapitre 3
Abel, Séphora et Salomé, après de longues heures de route, s’arrêtèrent dans un village perdu au cœur de la forêt. Au milieu de la nuit, ils distinguèrent quelques maisons en terre cuite éclairées par la lune. Un homme d’un certain âge les accueillit, étonné.
Le lendemain, ils remercièrent rapidement leur hôte et partirent dès l’aube. Ils continuèrent leur route en demandant toujours la direction de Nairobi, la capitale du Kenya, leur destination.
Abel était le plus débrouillard. C’était lui qui se chargeait de parler aux inconnus, de trouver à manger et de les défendre.
Ils étaient partis avec comme seul piste le pendentif d’Abel. Brisé lors d’une bagarre, il s’était ouvert et les adolescents avaient découvert un message écrit sur un papier usé, où il était inscrit : « Nairobi, 148 rue Manga ».
Cela faisait maintenant quelques jours qu’ils avaient quitté leur petit monde, et ils étaient à la fois apeurés et fascinés par leur voyage.
Ils arrivèrent enfin dans la capitale. La grandeur des immeubles, le fourmillement des personnes dans la rue, le bruit sourd des véhicules, la multitude de magasins, tout cela les interpellait. Ils ne savaient pas où donner de la tête, où se diriger. Ils oublièrent pourquoi ils étaient venus et passèrent la journée à se promener dans les quartiers chics de la ville, en faisant semblant de s’intéresser aux montres aux prix faramineux, aux costumes de soirées luxueux.
Le soir, ils s’endormirent les uns contre les autres, sur une place , près de la gare centrale.
Ils n’étaient pas habitués à être tirés du sommeil par le vrombissement des motos. Affamés, ils allèrent immédiatement voler sur un marché des beignets et des fruits. Salomé avait attendu à côté, elle avait trop peur de voler.
Après le repas, ils commencèrent leurs recherches. Au fur et à mesure des indications, ils s’enfoncèrent dans les quartiers mal famés. Les rues devenaient sales, étroites, les passants de moins en moins courtois.
Ils arrivèrent enfin devant la porte. Le 148 rue Manga. C’était une petite maison mal entretenue. Le crépi rouge n’était presque plus visible et les fenêtres étaient tellement sales qu’on ne pouvait plus voir l’intérieur.
Hésitant, Abel passa la porte du 148 en premier...
4/ Chapitre 4
Les deux cousines suivirent Abel dans la bâtisse et trouvèrent un espace vide. Déçus, ils ressortirent tous ensemble et trouvèrent un grand homme mince qui les observait du coin de l’oeil. Ils se dirigèrent vers lui et demandèrent s’il cherchait quelqu’un ou quelque chose. Mystérieusement, il leur répondit : « Je pense que j’ai touché au but, si vous voulez trouver la personne que vous cherchez, suivez-moi. ».
Ils répondirent à sa demande et le suivirent vers une station de matatus ; ils en prirent un en direction du parc de Massaï Mara.
A l’intérieur de ce véhicule très particulier ils apercurent pendant le voyages un groupe de dik-dik qui couraient a une vitesse phénoménale, des nyamera buvant a un point d’eau, un félin d’Afrique : le caracal, et un troupeaux de zèbres. Ils distinguèrent, au loin, le parc national du Serengeti ou la nature rayonnait de toute sa splendeur. Descendu du véhicule ils suivirent cet homme mystérieux qui les avait conduit à ce point, ils marchèrent en vue d’un petit village composé de huttes en boue séchée. Des enfants coururent vers eux et dansèrent autour des nouveaux arrivants. Ils pénétrèrent dans le village et se dirigèrent vers une des plus grandes habitations. L’homme était toujours à leur tête et les guida à l’intérieur de la hutte. Les trois enfants se figèrent. Là, au milieu de la terre battue, sur une grande chaise en bois, se trouvait la mère de Sephora et Abel. Ils la regardèrent tous, surpris.
Elle était très grande et avait des membres longs, elle portait de nombreux bijoux colorés qui formaient comme une guirlande autour de son cou. Elle portait aussi des couvertures éclatantes et vives jusqu’aux chevilles. Son crâne était rasé et orné d’une couronne.
Elle prit la parole et imposa directement le silence.
« Mes humbles salutations, chers fils et fille, vous devez vous poser de nombreuses questions. J’ai été kidnappée et j’ai eu peur de ne jamais vous revoir. Cela peut vous surprendre mais je fais partie de la noble lignée de cette ethnie. Kitao Kulibani, mon frère, m’a kidnappée pour devenir chef à ma place mais grâce à un membre de la tribu qui nous avait repérés j’ai été libérée. Pendant le combat, mon sauveur planta dans la tête une lance fatale qui tua mon frère. Mon libérateur m’a remis le sceptre de pouvoir absolu comme cela se fait traditionnellement quand un ancien chef meurt et qu’un nouveau est conduit au pouvoir. »
Surpris et choqués les adolescents poussèrent un cri d’exclamation « hooo notre mère une reine !! » honoré par cette nouvelle inimaginable, il y a quelque heure appeine Abel et Sephora réalisèrent leur nouvelle situation.
Le soir la chef organisa une grande fêtes pour annoncer leur nouvelle situation a la tribu
Pour célébrer les retrouvailles, le village organisa une grande fête.
Des 7 heures du soir on entendait les cris des réjouissances, mais c’est à 9h que la fête commença officiellement.
Les festivités battaient leur plein. Sorti prendre l’air, Abel remarqua un attroupement à quelques centaines de mètres du village. Soudain il entendit les cornes de koudou annonçant la bataille...
5/ Chapitre 5
Abel, stupéfait par le spectacle macabre, voulut s’enfuir mais un militaire le bouscula et il se retrouva à terre. Il pense alors à Salomé et Séphora qui ignoraient ce qui se passait et qui ne pourraient pas s’en sortir seules. Il fit l’effort de se relever mais il reçut un coup de matraque qui le paralysa. Il crut sa dernière heure venue. Tout à coup, il se sentit emporté et se retrouva loin de la bataille. Son sauveur le remit sur pied et le conseilla de partir loin d’ici. Remis de ses émotions, le jeune homme s’empressa de rejoindre ses deux compagnes.
Arrivé devant la maison où se déroulaient les festivités, il trouva Salomé et Séphora inquiètes car elles avaient entendu des cris et des détonations.
– Pourquoi as-tu tant tarder ? L’interrogea Salomé. Tu es blessé à la tête. Que t’est-il arrivé ?
– J’ai reçu un coup, je me suis évanoui et un homme est intervenu pour..
Abel fut interrompu par un homme grand et robuste, celui-là même qui lui avait sauvé la vie.
Les trois jeunes étonnés fixaient l’homme. Il ne comprenait pas ce qui se passait. Le sauveur d’Abel les regarda attentivement et s’adressa au frère et à la sœur :
– Vous...vous me rappelez quelqu’un …
Séphora et Abel se regardèrent, interloqués. Abel commença :
– Étonnant, qui donc ?
L’homme reprit la parole, bouleversé :
– Je connais une femme au Cameroun. C’est mon amie. Elle s’appelle Christine. Son histoire est émouvante : elle a abandonné ses enfants et est maintenant à leur recherche. J’ai appris récemment que deux adolescents vous ressemblant se trouvaient ici-même. C’est drôle, hein ?Que le monde est petit..
L’homme doutait, ce n’était pas possible !
Séphora dit : Intéressant, n’est-ce-pas Abel ?
– Et si ? …
– Non, je ne pense pas...
Abel s’adressa à l’inconnu :
– Elle vient du Cameroun ?
– Oui , répondit l’homme.
– Nous aussi, c’est bizarre.
Séphora révéla à l’homme qu’ils étaient eux-mêmes à la recherche de leur mère et que leur cousine, Salomé, les accompagnait.
Séphora continua :
– Monsieur, pourriez-vous nous mener à cette femme ?
– Pourquoi pas, venez. Suivez-moi. Elle habite dans un quartier populaire de la capitale.
Après deux heures de sueur, de souffrance, causées par une longue marche, ils arrivèrent à destination. Quand la femme les vit, elle tomba à genou tant l’émotion la gagnait.
Submergé par l’émotion, Séphora avait perdu l’usage de la parole mais à la seconde où elle entrevit une zone sombre sur la tempe de la femme, elle eut la certitude que c’était sa mère. Alors elle se laissa aller aux larmes. Abel, quant à lui, tomba dans les bras de la femme, cette mère qu’il avait tant cherchée. Il demanda alors en sanglots :
– Pourquoi ? Pourquoi ?
Christine se détacha doucement d’Abel, essuya ses yeux, défroissa sa robe et attira son fils vers le fauteuil. Elle commença :
– Mon fils, mon amour, mon sang. Je t’aime au plus profond e moi et t’abandonner m’a arraché le cœur. J’ai été contrainte de vous abandonner car je n’avais pas d’argent pour vous élever toi et ta sœur.
Non, ne pleure pas, Séphora, je suis prête pour un nouveau départ. J’ai de l’argent désormais. J’ai hérité de mon père. Elle se mit à rire. Nous avons un avenir à construire ensemble. »
Il revint en mémoire à Salomé qui observait ses cousins et sa tante, les propos que sa mère avait prononcés : « ce sont nos gens. »