Prologue
Localisation : Un bunker sous terre au milieu du Sahara
Année : 2050
Jour et heure : cela ne nous importe plus, maintenant que le monde est détruit, nous n’avons plus l’heure mais nous avons le temps : enfin !
Je n’ai rien oublié de mon ancienne vie, de tout ce que j’ai perdu, de la beauté d’un coucher de soleil, du mouvement lent et majestueux des vagues sur la plage de mon enfance, des histoires que me racontait ma mère. Je n’ai rien oublié du rire joyeux de mes propres enfants jouant à la balle au prisonnier dans le jardin. Rien non plus de ma sœur et mon frère, de notre enfance de petits noirs dans un village de France qui nous a tôt appris à affronter l’adversité. Je n’oublie pas que j’ai été heureuse. J’ai construit ma force et mon énergie, j’ai pu penser l’avenir malgré le Grand Effondrement parce que je savais que ce bonheur-là était possible, qu’une communauté bienveillante, imaginative pouvait sauver du pire des malheurs.
Je suis la plus vieille du projet, c’est moi qui l’ait conçu. Ici, il m’appelle tous Vieille Mère.
J’ai tout perdu au moment du Grand Effondrement en 2030. Tous ceux que j’aimais, ma maison, ma famille, les couchers de soleil, la mer, le chant doux des oiseaux au printemps, la caresse du vent sur mon visage, la table garnie et les amis en fête. Tout !
Depuis des décennies les puissants se faisaient la guerre. Ils fabriquaient des armes sophistiquées, ils n’avaient pas envisagé que leur avidité, leur quête d’un pouvoir hégémonique finiraient par créer notre perte à tous. Le budget de la défense était de plus en plus important, au détriment de la santé, du bien commun. L’éducation avait été abandonnée, la santé des plus fragiles délaissée, ils nous avaient transformés en corps brisés, malades, mal-éduqués, effrayés et méchants. Ils avaient permis que la terre soit abimée pour le confort immédiat de certains, ils avaient moqués, contredits les scientifiques qui prédisaient le désastre écologique en cours. Alors même que les tempêtes étaient plus virulentes, les incendies plus destructeurs et que des sécheresses terribles nous rendaient plus fragiles, ils avaient réussi à nous convaincre que l’étranger était le plus grand danger qui soit, à nous monter les uns contre les autres jusque dans notre intimité. Et quand ils avaient utilisé leurs armes, leurs bombes, nous avions applaudi parce que ce n’était pas contre nous mais contre des hommes, des femmes, des enfants que l’on nous désignait comme ennemis. Des personnes que nous n’avions jamais vu, qui vivaient à des milliers de kilomètres de nous et que nous les autorisions à massacrer parce qu’ils nous répétaient « c’est eux ou vous ! »
Je suis née à la fin du siècle dernier, j’étais là, j’ai tout vu. J’ai, inscrit dans ma mémoire comme un tatouage au fer rouge, la première bombe nucléaire et celles qui ont suivies en rétorsion. Je ne sais plus qui a commencé. Il n’y a plus personne pour écrire cette histoire. Je ne sais plus si c’était la Chine, les USA, la Russie, Israël ou la France. Dans le Projet Anticipation, nous avons compris qu’aucune guerre n’est nécessaire, aucune ne se gagne. Le premier sang versé à l’origine du monde crie vengeance et dans un cercle pervers, dévastateur, les mêmes horreurs se reproduisent.
J’étais ce qu’on appelait en ce temps-là une nerd. Très jeune, j’avais compris l’intérêt de l’informatique, du numérique et de la façon dont on pouvait s’en servir soit pour abêtir, dominer, s’enrichir, soit pour rendre les nôtres plus conscients de leur vulnérabilité et plus solidaires. J’ai choisi la seconde option.
Nous étions six femmes : Joyce et Annabella qui nous viennent des Etats Unis et du Brésil, Hua qui est chinoise, Rim qui est libanaise, Chloé française et moi, Sol, diminutif de mon prénom car mes parents m’ont appelée Soleil, prénom que j’ai transformé en Sol, comme le plancher où j’ai besoin de m’arrimer. Pas aussi vaste que la terre, mais Sol, comme l’endroit à la fois modeste et essentiel où tu poses tes pieds à chaque pas.
Le monde allait à vau-l’eau, j’ai contacté les femmes les plus brillantes de leur génération et elles m’ont écoutées quand je leur ai dit, « tout ça va mal se finir, nous devons nous préparer dès à présent à accoucher de l’avenir »
C’est ainsi qu’est né le Projet Anticipation. Le plan B d’un monde qui, c’était à prévoir, a implosé. Nous avons inventé la machine à remonter le temps et décider de réparer notre monde cassé en sauvant Les Vulnérables.
En route vers l’île mystérieuse
La ville flottante largue les amarres. Il règne une belle ambiance à bord. Salomé fait la connaissance d’Octavio, botaniste mexicain, et d’Olabisi, océanologue congolaise, pendant que Kamel échange avec Stacey, peintre néo-zélandaise, et un biologiste brésilien, Roberto.
Ils passent quelques journées ainsi, à courir partout sur le bateau, à rencontrer tout le monde, à ouvrir grands les yeux devant ce qui apparaît au large : immensités bleues, bouts de terres isolées, dauphins qui sautent, et le soleil qui s’étale le soir sur l’horizon rose ardent. C’est magnifique, et les deux amis ne s’en lassent pas.
Des jours passent. L’incroyable ville flottante avance, attachée aux gigantesques voiles. Voilà à quoi elle ressemble :
Photo en pièce jointe
On peut vivre sur ou sous l’eau. On nage avec les orques. La mer devient leur jardin.
Le Tribord accoste une première fois sur les côtes sénégalaises. Chacun part alors faire ses relevés, et on se retrouve à la nuit tombée pour manger des légumes aux noms rares cuits au feu de bois. On s’endort comme ça, dans l’air frais du soir.
– En fait, c’est un peu le tour du monde de Darwin, mais 160 ans plus tard, dit Roberto.
– Oui, c’est ça, dit Kamel qui ne voit pas du tout de quoi il parle.
Réveil à l’aube, on a encore du chemin – le capitaine reprend les commandes. Il reste plus de deux semaines de navigation jusqu’à la fameuse île. Le Tribord file sur les eaux carbone.
Kamel observe ses nouveaux amis qui s’activent sans cesse. Il faut notamment explorer le fond des océans, dont 40% nous sont encore inconnus ! Mais aussi détailler les nouvelles espèces marines, explorer les terres abordées, guetter dans le ciel les oiseaux migrateurs… Le monde est immense et complexe, pense Kamel, accoudé au bastingage, et je ne le connais pas.
Salomé est à côté de lui, qui regarde en silence le soleil se noyer dans l’océan.
Puis ils vont dormir dans leurs petits lits étroits. Salomé aimerait bien tenir la main de Kamel, mais celui-ci s’endort, comme toujours, en deux secondes.
Ils se réveillent avec le mal de mer, se lèvent tout de suite et se mettent au travail : Salomé au piano, Kamel à son ordinateur pour mixer, et chanter aussi. Tout leur matériel est installé dans leur cabine. Ils veulent trouver la meilleure manière de raconter ce voyage.
Et finalement, un matin, quelque chose se dessine au loin.
Une forme, une île.
Terre ! Terre !
Le bateau accoste, et tous les membres de l’équipage se ruent vers l’île, sidérés par sa beauté.
Salomé et Kamel font la connaissance de l’équipe qui vit toute l’année ici. Patrick et Vivian les emmènent faire un grand tour de l’île.
Et là, au premier virage, les voilà qui surgissent de partout : des tigres, des rhinocéros, des oiseaux si beaux dont ils ignorent le nom, des papillons ; il y a même, au loin, un panda qui caresse son enfant.
– Et puis il y a tout ce que vous ne voyez pas, dit Patrick, les insectes, les plantes, tout le tissu du vivant qu’on a implanté ici, d’une complexité et d’une puissance folle.
– Et ça fonctionne ? demande Kamel. Les espèces arrivent à cohabiter ?
– Oui, dit Vivian. On a fait en sorte qu’elles soient « compatibles », qu’elles se connaissent, qu’elles puissent vivre ensemble.
– C’est incroyable, dit Salomé. L’arche de Noé du 21e siècle.
Le soir, toute l’expédition se réunit. Il y a eu des disputes ces derniers jours, dans l’équipe : on n’est pas d’accord sur les directions à prendre. Olabisi, notamment, est en colère :
– C’est artificiel, cette île. C’est pas comme ça qu’on va sauver le monde, en le préservant. Il faut le réinventer, pas le sauvegarder comme sur un disque dur.
– Et puis il y a un problème, dit Caroline : les animaux meurent, ici aussi. Ils ne retrouvent pas leur milieu idéal.
– Ce que vous oubliez, dit Patrick, c’est que ce lieu n’est que provisoire. On se rassemble ici, on sauve, on évite que le tigre du Bengale ou le rhinocéros de Java disparaissent complètement, puis on les laisse se reproduire et repeupler le monde.
– C’est pareil : il faut changer notre manière d’être, sinon on ne changera pas. Ce n’est pas comme ça qu’on va y arriver, dit Olabisi.
– Il y a quand même eu des choses intéressantes. Il y a notamment eu des hybridations nouvelles, quelque part sur l’île, entre certaines espèces. C’est peut-être une voie à suivre.
– On avait dit des alliances entre les espèces, dit Roberto, pas des mélanges.
La conversation court ainsi quand on entend, tout à coup, un grand bruit.
Salomé se retourne vers la porte. Elle passe la tête. Elle n’arrive pas à croire ce qu’elle voit.
2/ le Cetorhinus Oceanus Plasticus, une espèce en voie d’apparition
Face à elle, une sorte d’immense aquarium, relié directement à l’océan, contient des dizaines de requins. Une centaine sans doute. Salomé regarde les imposantes masses grises avec effroi : certaines nagent tranquillement dans le peu d’espace qui leur est réservé, d’autres semblent comme immobiles.
Une des créatures remonte des fonds et vient cogner contre la paroi. Salomé sort de cet état second dans lequel elle était plongée et s’approche à son tour : la bête est énorme, elle fait dix mètres à vue d’œil. Elle semble n’avoir aucune dent, mais la jeune femme aperçoit des sortes de fanons. Ses flancs sont constellés de petites taches grises. Mais déjà, le squale disparaît dans les profondeurs de sa prison, ne laissant pas à Salomé le loisir de l’observer plus longtemps.
Soudain un bruit sourd, plus fort encore que le premier, l’interrompt dans sa contemplation. Une alarme stridente se déclenche, la faisant grimacer et porter ses mains à ses oreilles. Les portes du laboratoire s’ouvrent, laissant passer une dizaine de scientifiques en blouses blanches. Tous semblent très inquiets : un premier se précipite vers la salle de contrôle et coupe le signal sonore ; certains consultent les ordinateurs et dialoguent avec agitation ; d’autres enfilent des combinaisons de plongée.
– Que faites-vous ici ? l’apostrophe un scientifique qui s’est aperçu de sa présence.
– Pourquoi tous ces requins sont enfermés dans des aquariums ? rétorque Salomé avec agressivité. Je croyais que les biologistes étaient là pour prendre soin des espèces en voie d’extinction, pas pour les enfermer et leur faire subir des expériences !
– Ce n’est pas une espèce en voie d’extinction. A partir du requin pèlerin qui a des capacités naturelles de filtration, nos généticiens ont créé une nouvelle espèce de squale, le COP (Cetorhinus Oceanus Plasticus), capable de digérer le plastique grâce à une bactérie spéciale dans sa flore intestinale qui le transforme en nutriment. Cela fait d’eux de véritables aspirateurs à plastique qui pourraient donc nettoyer les océans et ainsi libérer des espaces pour d’autres espèces.
– Pourquoi Adam Thobias ne nous a pas parlé de ce projet ?
– Cette expérimentation ne fait pas l’unanimité et doit rester confidentielle pour l’instant.
– Alerte rouge, annonce celui qui semble être le chef. Les trappes des aquariums sont en train de s’ouvrir ! Impossible de les verrouiller. Les requins vont être libérés dans l’océan. Chacun à son poste…
– Et alors ? C’est une bonne chose, non ? Moi je trouve qu’ils n’ont absolument rien à faire dans ces cages de verre ! s’indigne Salomé.
– Les requins COP sont encore en phase d’expérimentation, explique le scientifique. Avec tout le plastique présent dans les océans, il risque de se surdévelopper. L’espèce peut donc devenir invasive et troubler l’écosystème en colonisant les habitats des autres espèces marines. En ingérant massivement le plancton, ces sélachimorphes détruiront la base des chaînes alimentaires... Les océans et mers du monde entier seront vidés de leur faune maritime !
– Tu as autre chose à faire qu’à te justifier ! l’interrompt un collègue visiblement excédé. Ils embauchent vraiment n’importe qui pour cette expédition ! Vous les artistes, toujours en train de rêvasser au lieu d’agir ! Bon, maintenant, déguerpissez, intime-t-il à Salomé d’un ton menaçant. Ici, nous sommes dans un laboratoire et c’est aux scientifiques de faire leur travail, pas aux poètes ! Nous avons besoin de concentration pour essayer d’implanter des balises sur les requins, afin de pouvoir les pister après leur libération ! C’est une opération extrêmement complexe et nous n’avons pas besoin d’artistes dans les pattes, conclut-il, poussant sans ménagement la jeune femme vers la sortie.
Salomé se retrouve seule dans le couloir, complètement sonnée. Si seulement Kamel était là… Elle doit reprendre ses esprits et prévenir Adam du désastre. Elle compose son numéro et visage souriant de Thobias s’affiche aussitôt.
– Vous nous avez envoyés sur cette île pour protéger des espèces animales et des écosystèmes, hurle Salomé sans même le saluer, et vous nous cachez que des expériences sont réalisées sur des requins qui n’ont rien demandé à personne pour en faire des aspirateurs océaniques ! Et par des incompétents incapables de les garder dans leurs aquariums ! Ecoutez, si…
– Attendez, l’interrompt Adam Thobias d’un ton grave, comment ça, incapables de les garder dans leurs aquariums ?
3/ La traque
– Les requins s’accouplent donc se multiplient en quantité et à une vitesse astronomique ! Dans l’aquarium souterrain relié à l’océan, on en dénombre déjà plus de cinquante en captivité et ils continuent de proliférer.
– A-t-on un moyen pour les évacuer dans un autre endroit ? demande Adam d’un air inquiet.
– Malheureusement non, je ne pense pas, rétorque le scientifique, accablé. Il n’y a plus de place ! complète-t-il. Et si nous ne trouvons pas de solution rapidement, ils vont fissurer l’aquarium et se répandre dans les divers océans du monde !"
Au loin, Kamel et Salomé voient un bateau se rapprocher, ils comprennent qu’une nouvelle recrue arrive au sein de l’équipe. Elle se prénomme Olivia. Adam Thobias s’empresse de lui expliquer les détails de leur mission. Ils commencent par lui faire une visite guidée de l’aquarium contenant les requins. Puis le groupe de scientifiques explique à la recrue le rôle de l’enzyme implanté dans l’estomac des requins pèlerins. "Comme vous le savez, les requins sont ici pour nous aider dans la lourde tâche qu’est la dépollution des océans. Pour cela nous avons eu l’idée de changer le régime alimentaire des requins pèlerins en leur introduisant dans l’estomac une enzyme pour qu’ils soient capables de digérer du plastique. Nous avons donc eu l’idée de les mettre dans un aquarium. Notre but est qu’ils se reproduisent en transmettant cette enzyme de génération en génération. Pour l’instant nous les contenons sur l’île et nous les rejetterons quand ils seront prêts."
Un requin se dirige vers le conduit des eaux usées et tente alors de le forcer pour s’échapper. Après tout, mieux vaut la liberté, non ? Il regarde les vis qui retiennent la plaque et essaye de forcer celle-ci avec sa mâchoire. Après cinq tentatives ratées, l’une des vis tombe. Il se précipite alors pour aller avertir les autres requins et leur demander de l’aider pour forcer la trappe car il y est presque parvenu. Suite à cette infime lueur d’espoir, les requins se précipitent sur la trappe de toutes leurs forces et d’un coup sec et fort cette dernière cède et les requins se déversent dans l’océan. Ils s’éparpillent dans toutes les mers du globe avec une irrésistible envie de plastique sous l’action de l’enzyme ingérée.
"C’est reparti !" s’écrie Cédric, le capitaine du sous-marin USS Missouri.
Les chercheurs s’enfoncent dans les profondeurs de l’océan. Au bout de trois semaines de recherche, l’équipage du Missouri arrive vers une grotte sous-marine. L’un des membres de l’équipage aperçoit à travers le hublot la silhouette d’un animal mourant. Il crie au capitaine du sous-marin :
"CAPITAINE, à bâbord, je crois que j’ai trouvé l’un de nos requins !
– Triples buses ce n’est pas un requin ! C’est un orque ; il faudrait revoir tes connaissances !
– Ah oui vous avez raison ! Excusez-moi.
– Tâche de faire plus attention la prochaine fois. Je vous propose une pause, cela fait plus de sept heures que nous sommes sous l’eau."
L’équipage s’arrête sur une île pour faire une pause.
"Capitaine ! Capitaine ! s’écrie un membre de l’équipage.
– Que se passe-t-il ? Encore un orque ?
– Non mon capitaine, venez voir ce que j’ai trouvé !
– J’arrive, j’arrive ! Mille millions de mille sabords, c’est un bébé requin pèlerin ! Amenons-le au laboratoire pour une analyse. Rassemblons l’équipage et mettons le cap sur le retour."
Le requin est agité et mourant. Une fois celui-ci ramené au laboratoire, on examine l’animal.
Ils étaient vingt scientifiques sur l’île, mais Jean et Rose sont les deux seuls restants, les autres sont partis en expédition pour chercher les requins. Ils posent l’animal sur une table métallique afin de pratiquer des scanners pour analyser l’intérieur de son estomac. C’est alors qu’ils découvrent des morceaux de plastiques dans son ventre. Ils comprennent donc que l’espèce a évolué et que l’enzyme fait maintenant partie du microbiote intestinal de l’animal. Les chercheurs découvrent également de gros poissons, ce qui est anormal, car il se nourrit habituellement de plancton. Ce nouveau mode d’alimentation risque de déséquilibrer les réseaux trophiques maritimes. Alarmés, les scientifiques vont prévenir Adam Thobias. Une fois qu’il est averti, Jean et Rose se dirigent vers le laboratoire.
Ils se sont chargés volontiers du problème. Ils veulent tous deux sauver la chaîne alimentaire et ces beaux êtres. Après une longue réflexion, il se rendent compte que la seule solution pour que les requins cessent de manger des poissons est de leur injecter une nouvelle enzyme modifiée.
Quand ils arrivent au centre de recherche, ils commencent à observer la bactérie.
Rose n’arrive pas à se mettre au travail, elle regarde du côté de Jean, qui poursuit ses recherches, très concentré. Il est sur une piste. Rose vient vers lui et demande :
"Est-ce que tu as une idée pour modifier l’enzyme ?
– Oui, lui répond Jean. Mais les requins ne vont probablement pas l’aimer ..."
Adam nous aurait-il trahi ?
Nous sommes rentrés de cet enfer,
Où tout n’était que mensonger.
Adam nous aurait-il trahi ?
J’ai vu Adam sur le chemin,
J’ai vu une mer de requins
Nous sommes revenus perdus
Adam Thobias nous a bien eus
Nous sommes rentrés de cet enfer,
Où tout n’était que mensonger.
Adam nous aurait-il trahi ?
J’ai vu des déchets de plastiques
Mais pas vraiment écologiques
J’ai pu nettoyer l’océan
Il ne restait plus rien dedans
Nous sommes rentrés de cet enfer,
Où tout n’était que mensonger.
Adam nous aurait-il trahi ?
Mission : les animaux sauvages,
Personne n’était dans les parages,
A part des tonnes de baleines,
Avachies sur une grande plaine
Nous sommes rentrés de cet enfer,
Où tout n’était que mensonger.
Adam nous aurait-il trahi ?
En route vers l’île mystérieuse
La ville flottante largue les amarres. Il règne une belle ambiance à bord. Salomé fait la connaissance d’Octavio, botaniste mexicain, et d’Olabisi, océanologue congolaise, pendant que Kamel échange avec Stacey, peintre néo-zélandaise, et un biologiste brésilien, Roberto.
Ils passent quelques journées ainsi, à courir partout sur le bateau, à rencontrer tout le monde, à ouvrir grands les yeux devant ce qui apparaît au large : immensités bleues, bouts de terres isolées, dauphins qui sautent, et le soleil qui s’étale le soir sur l’horizon rose ardent. C’est magnifique, et les deux amis ne s’en lassent pas.
Des jours passent. L’incroyable ville flottante avance, attachée aux gigantesques voiles. Voilà à quoi elle ressemble :
Photo en pièce jointe
On peut vivre sur ou sous l’eau. On nage avec les orques. La mer devient leur jardin.
Le Tribord accoste une première fois sur les côtes sénégalaises. Chacun part alors faire ses relevés, et on se retrouve à la nuit tombée pour manger des légumes aux noms rares cuits au feu de bois. On s’endort comme ça, dans l’air frais du soir.
– En fait, c’est un peu le tour du monde de Darwin, mais 160 ans plus tard, dit Roberto.
– Oui, c’est ça, dit Kamel qui ne voit pas du tout de quoi il parle.
Réveil à l’aube, on a encore du chemin – le capitaine reprend les commandes. Il reste plus de deux semaines de navigation jusqu’à la fameuse île. Le Tribord file sur les eaux carbone.
Kamel observe ses nouveaux amis qui s’activent sans cesse. Il faut notamment explorer le fond des océans, dont 40% nous sont encore inconnus ! Mais aussi détailler les nouvelles espèces marines, explorer les terres abordées, guetter dans le ciel les oiseaux migrateurs… Le monde est immense et complexe, pense Kamel, accoudé au bastingage, et je ne le connais pas.
Salomé est à côté de lui, qui regarde en silence le soleil se noyer dans l’océan.
Puis ils vont dormir dans leurs petits lits étroits. Salomé aimerait bien tenir la main de Kamel, mais celui-ci s’endort, comme toujours, en deux secondes.
Ils se réveillent avec le mal de mer, se lèvent tout de suite et se mettent au travail : Salomé au piano, Kamel à son ordinateur pour mixer, et chanter aussi. Tout leur matériel est installé dans leur cabine. Ils veulent trouver la meilleure manière de raconter ce voyage.
Et finalement, un matin, quelque chose se dessine au loin.
Une forme, une île.
Terre ! Terre !
Le bateau accoste, et tous les membres de l’équipage se ruent vers l’île, sidérés par sa beauté.
Salomé et Kamel font la connaissance de l’équipe qui vit toute l’année ici. Patrick et Vivian les emmènent faire un grand tour de l’île.
Et là, au premier virage, les voilà qui surgissent de partout : des tigres, des rhinocéros, des oiseaux si beaux dont ils ignorent le nom, des papillons ; il y a même, au loin, un panda qui caresse son enfant.
– Et puis il y a tout ce que vous ne voyez pas, dit Patrick, les insectes, les plantes, tout le tissu du vivant qu’on a implanté ici, d’une complexité et d’une puissance folle.
– Et ça fonctionne ? demande Kamel. Les espèces arrivent à cohabiter ?
– Oui, dit Vivian. On a fait en sorte qu’elles soient « compatibles », qu’elles se connaissent, qu’elles puissent vivre ensemble.
– C’est incroyable, dit Salomé. L’arche de Noé du 21e siècle.
Le soir, toute l’expédition se réunit. Il y a eu des disputes ces derniers jours, dans l’équipe : on n’est pas d’accord sur les directions à prendre. Olabisi, notamment, est en colère :
– C’est artificiel, cette île. C’est pas comme ça qu’on va sauver le monde, en le préservant. Il faut le réinventer, pas le sauvegarder comme sur un disque dur.
– Et puis il y a un problème, dit Caroline : les animaux meurent, ici aussi. Ils ne retrouvent pas leur milieu idéal.
– Ce que vous oubliez, dit Patrick, c’est que ce lieu n’est que provisoire. On se rassemble ici, on sauve, on évite que le tigre du Bengale ou le rhinocéros de Java disparaissent complètement, puis on les laisse se reproduire et repeupler le monde.
– C’est pareil : il faut changer notre manière d’être, sinon on ne changera pas. Ce n’est pas comme ça qu’on va y arriver, dit Olabisi.
– Il y a quand même eu des choses intéressantes. Il y a notamment eu des hybridations nouvelles, quelque part sur l’île, entre certaines espèces. C’est peut-être une voie à suivre.
– On avait dit des alliances entre les espèces, dit Roberto, pas des mélanges.
La conversation court ainsi quand on entend, tout à coup, un grand bruit.
Salomé se retourne vers la porte. Elle passe la tête. Elle n’arrive pas à croire ce qu’elle voit.
2/ le Cetorhinus Oceanus Plasticus, une espèce en voie d’apparition
Face à elle, une sorte d’immense aquarium, relié directement à l’océan, contient des dizaines de requins. Une centaine sans doute. Salomé regarde les imposantes masses grises avec effroi : certaines nagent tranquillement dans le peu d’espace qui leur est réservé, d’autres semblent comme immobiles.
Une des créatures remonte des fonds et vient cogner contre la paroi. Salomé sort de cet état second dans lequel elle était plongée et s’approche à son tour : la bête est énorme, elle fait dix mètres à vue d’œil. Elle semble n’avoir aucune dent, mais la jeune femme aperçoit des sortes de fanons. Ses flancs sont constellés de petites taches grises. Mais déjà, le squale disparaît dans les profondeurs de sa prison, ne laissant pas à Salomé le loisir de l’observer plus longtemps.
Soudain un bruit sourd, plus fort encore que le premier, l’interrompt dans sa contemplation. Une alarme stridente se déclenche, la faisant grimacer et porter ses mains à ses oreilles. Les portes du laboratoire s’ouvrent, laissant passer une dizaine de scientifiques en blouses blanches. Tous semblent très inquiets : un premier se précipite vers la salle de contrôle et coupe le signal sonore ; certains consultent les ordinateurs et dialoguent avec agitation ; d’autres enfilent des combinaisons de plongée.
– Que faites-vous ici ? l’apostrophe un scientifique qui s’est aperçu de sa présence.
– Pourquoi tous ces requins sont enfermés dans des aquariums ? rétorque Salomé avec agressivité. Je croyais que les biologistes étaient là pour prendre soin des espèces en voie d’extinction, pas pour les enfermer et leur faire subir des expériences !
– Ce n’est pas une espèce en voie d’extinction. A partir du requin pèlerin qui a des capacités naturelles de filtration, nos généticiens ont créé une nouvelle espèce de squale, le COP (Cetorhinus Oceanus Plasticus), capable de digérer le plastique grâce à une bactérie spéciale dans sa flore intestinale qui le transforme en nutriment. Cela fait d’eux de véritables aspirateurs à plastique qui pourraient donc nettoyer les océans et ainsi libérer des espaces pour d’autres espèces.
– Pourquoi Adam Thobias ne nous a pas parlé de ce projet ?
– Cette expérimentation ne fait pas l’unanimité et doit rester confidentielle pour l’instant.
– Alerte rouge, annonce celui qui semble être le chef. Les trappes des aquariums sont en train de s’ouvrir ! Impossible de les verrouiller. Les requins vont être libérés dans l’océan. Chacun à son poste…
– Et alors ? C’est une bonne chose, non ? Moi je trouve qu’ils n’ont absolument rien à faire dans ces cages de verre ! s’indigne Salomé.
– Les requins COP sont encore en phase d’expérimentation, explique le scientifique. Avec tout le plastique présent dans les océans, il risque de se surdévelopper. L’espèce peut donc devenir invasive et troubler l’écosystème en colonisant les habitats des autres espèces marines. En ingérant massivement le plancton, ces sélachimorphes détruiront la base des chaînes alimentaires... Les océans et mers du monde entier seront vidés de leur faune maritime !
– Tu as autre chose à faire qu’à te justifier ! l’interrompt un collègue visiblement excédé. Ils embauchent vraiment n’importe qui pour cette expédition ! Vous les artistes, toujours en train de rêvasser au lieu d’agir ! Bon, maintenant, déguerpissez, intime-t-il à Salomé d’un ton menaçant. Ici, nous sommes dans un laboratoire et c’est aux scientifiques de faire leur travail, pas aux poètes ! Nous avons besoin de concentration pour essayer d’implanter des balises sur les requins, afin de pouvoir les pister après leur libération ! C’est une opération extrêmement complexe et nous n’avons pas besoin d’artistes dans les pattes, conclut-il, poussant sans ménagement la jeune femme vers la sortie.
Salomé se retrouve seule dans le couloir, complètement sonnée. Si seulement Kamel était là… Elle doit reprendre ses esprits et prévenir Adam du désastre. Elle compose son numéro et visage souriant de Thobias s’affiche aussitôt.
– Vous nous avez envoyés sur cette île pour protéger des espèces animales et des écosystèmes, hurle Salomé sans même le saluer, et vous nous cachez que des expériences sont réalisées sur des requins qui n’ont rien demandé à personne pour en faire des aspirateurs océaniques ! Et par des incompétents incapables de les garder dans leurs aquariums ! Ecoutez, si…
– Attendez, l’interrompt Adam Thobias d’un ton grave, comment ça, incapables de les garder dans leurs aquariums ?
3/ La traque
– Les requins s’accouplent donc se multiplient en quantité et à une vitesse astronomique ! Dans l’aquarium souterrain relié à l’océan, on en dénombre déjà plus de cinquante en captivité et ils continuent de proliférer.
– A-t-on un moyen pour les évacuer dans un autre endroit ? demande Adam d’un air inquiet.
– Malheureusement non, je ne pense pas, rétorque le scientifique, accablé. Il n’y a plus de place ! complète-t-il. Et si nous ne trouvons pas de solution rapidement, ils vont fissurer l’aquarium et se répandre dans les divers océans du monde !"
Au loin, Kamel et Salomé voient un bateau se rapprocher, ils comprennent qu’une nouvelle recrue arrive au sein de l’équipe. Elle se prénomme Olivia. Adam Thobias s’empresse de lui expliquer les détails de leur mission. Ils commencent par lui faire une visite guidée de l’aquarium contenant les requins. Puis le groupe de scientifiques explique à la recrue le rôle de l’enzyme implanté dans l’estomac des requins pèlerins. "Comme vous le savez, les requins sont ici pour nous aider dans la lourde tâche qu’est la dépollution des océans. Pour cela nous avons eu l’idée de changer le régime alimentaire des requins pèlerins en leur introduisant dans l’estomac une enzyme pour qu’ils soient capables de digérer du plastique. Nous avons donc eu l’idée de les mettre dans un aquarium. Notre but est qu’ils se reproduisent en transmettant cette enzyme de génération en génération. Pour l’instant nous les contenons sur l’île et nous les rejetterons quand ils seront prêts."
Un requin se dirige vers le conduit des eaux usées et tente alors de le forcer pour s’échapper. Après tout, mieux vaut la liberté, non ? Il regarde les vis qui retiennent la plaque et essaye de forcer celle-ci avec sa mâchoire. Après cinq tentatives ratées, l’une des vis tombe. Il se précipite alors pour aller avertir les autres requins et leur demander de l’aider pour forcer la trappe car il y est presque parvenu. Suite à cette infime lueur d’espoir, les requins se précipitent sur la trappe de toutes leurs forces et d’un coup sec et fort cette dernière cède et les requins se déversent dans l’océan. Ils s’éparpillent dans toutes les mers du globe avec une irrésistible envie de plastique sous l’action de l’enzyme ingérée.
"C’est reparti !" s’écrie Cédric, le capitaine du sous-marin USS Missouri.
Les chercheurs s’enfoncent dans les profondeurs de l’océan. Au bout de trois semaines de recherche, l’équipage du Missouri arrive vers une grotte sous-marine. L’un des membres de l’équipage aperçoit à travers le hublot la silhouette d’un animal mourant. Il crie au capitaine du sous-marin :
"CAPITAINE, à bâbord, je crois que j’ai trouvé l’un de nos requins !
– Triples buses ce n’est pas un requin ! C’est un orque ; il faudrait revoir tes connaissances !
– Ah oui vous avez raison ! Excusez-moi.
– Tâche de faire plus attention la prochaine fois. Je vous propose une pause, cela fait plus de sept heures que nous sommes sous l’eau."
L’équipage s’arrête sur une île pour faire une pause.
"Capitaine ! Capitaine ! s’écrie un membre de l’équipage.
– Que se passe-t-il ? Encore un orque ?
– Non mon capitaine, venez voir ce que j’ai trouvé !
– J’arrive, j’arrive ! Mille millions de mille sabords, c’est un bébé requin pèlerin ! Amenons-le au laboratoire pour une analyse. Rassemblons l’équipage et mettons le cap sur le retour."
Le requin est agité et mourant. Une fois celui-ci ramené au laboratoire, on examine l’animal.
Ils étaient vingt scientifiques sur l’île, mais Jean et Rose sont les deux seuls restants, les autres sont partis en expédition pour chercher les requins. Ils posent l’animal sur une table métallique afin de pratiquer des scanners pour analyser l’intérieur de son estomac. C’est alors qu’ils découvrent des morceaux de plastiques dans son ventre. Ils comprennent donc que l’espèce a évolué et que l’enzyme fait maintenant partie du microbiote intestinal de l’animal. Les chercheurs découvrent également de gros poissons, ce qui est anormal, car il se nourrit habituellement de plancton. Ce nouveau mode d’alimentation risque de déséquilibrer les réseaux trophiques maritimes. Alarmés, les scientifiques vont prévenir Adam Thobias. Une fois qu’il est averti, Jean et Rose se dirigent vers le laboratoire.
Ils se sont chargés volontiers du problème. Ils veulent tous deux sauver la chaîne alimentaire et ces beaux êtres. Après une longue réflexion, il se rendent compte que la seule solution pour que les requins cessent de manger des poissons est de leur injecter une nouvelle enzyme modifiée.
Quand ils arrivent au centre de recherche, ils commencent à observer la bactérie.
Rose n’arrive pas à se mettre au travail, elle regarde du côté de Jean, qui poursuit ses recherches, très concentré. Il est sur une piste. Rose vient vers lui et demande :
"Est-ce que tu as une idée pour modifier l’enzyme ?
– Oui, lui répond Jean. Mais les requins ne vont probablement pas l’aimer ..."
Adam nous aurait-il trahi ?
Nous sommes rentrés de cet enfer,
Où tout n’était que mensonger.
Adam nous aurait-il trahi ?
J’ai vu Adam sur le chemin,
J’ai vu une mer de requins
Nous sommes revenus perdus
Adam Thobias nous a bien eus
Nous sommes rentrés de cet enfer,
Où tout n’était que mensonger.
Adam nous aurait-il trahi ?
J’ai vu des déchets de plastiques
Mais pas vraiment écologiques
J’ai pu nettoyer l’océan
Il ne restait plus rien dedans
Nous sommes rentrés de cet enfer,
Où tout n’était que mensonger.
Adam nous aurait-il trahi ?
Mission : les animaux sauvages,
Personne n’était dans les parages,
A part des tonnes de baleines,
Avachies sur une grande plaine
Nous sommes rentrés de cet enfer,
Où tout n’était que mensonger.
Adam nous aurait-il trahi ?