Prologue
La décision de quitter la ville pour s’installer à la campagne murissait depuis plusieurs années dans l’esprit de Monsieur et Madame Morin-Diallo. Les problèmes d’asthme de Sarah, la petite dernière, et les plaintes incessantes des voisins lorsque les jumeaux Lucas et Salomon jouaient dans la cour de leur résidence du centre-ville de Lyon avaient fini par les convaincre de faire le grand saut. Alors, un matin d’août, les cinq Lyonnais accompagnés de leur chien et de leur chat s’étaient installés dans un coin reculé d’Ardèche au bord de la rivière la Bourges, dans une jolie maison de pierre abandonnée depuis seulement six mois. La santé déclinante du couple de retraités qui y avait vécu les avait poussés à rejoindre la vallée non loin d’un centre hospitalier et des services qu’il proposait aux personnes âgées. Les parents Morin-Diallo, Laurence et Driss, tout sourires, se réjouissaient. Enfin ils réalisaient leur rêve, offraient à leurs enfants de sept et douze ans un cadre de vie proche de la vie sauvage, où l’air était peu pollué et qui permettrait à leur progéniture d’évoluer au grand air, dans un milieu sain au plus près de la nature. Dès les premiers jours, la respiration de Sarah se fit plus fluide, aucun accès de toux à déplorer, son teint s’était éclairci, elle était radieuse, son père et sa mère s’en félicitait. Quant aux garçons, ils n’en revenaient pas de disposer d’un terrain de jeu qui leur semblait illimité. Ils couraient dans les bois, dévalaient les pentes à s’en couper le souffle, sautaient dans les cascades, s’aspergeaient d’eau dans la rivière, hurlant et riant sans déranger personne, un vrai bonheur.
Or, ce dont aucun d’entre eux ne se doutait, c’était que le vide de la maison qu’ils venaient d’investir n’était qu’apparent. En effet, cachés dans les nombreux recoins des deux étages que les Morin-Diallo occupaient, ainsi que dans le grenier, dans la cave, au beau milieu de ce qui avait été un potager, sur la rivière et partout sur ses rives, fourmillait un grand nombre d’espèces de la faune et de la flore locale. Des bactéries invisibles à l’œil nu, des insectes plus ou moins faciles à vivre, des reptiles surtout de petites tailles, des mammifères petits et grands, jusqu’aux oiseaux qui volaient librement au-dessus de la nouvelle demeure de Laurence et de Driss. Sans le savoir, les cinq bipèdes citadins et leurs deux animaux de compagnie bouleversaient tout un écosystème qui avait appris à exister sans devoir composer avec des humains.
Laurence entreprit d’abord de s’occuper du jardin qu’elle voulait rendre joli. Elle s’arma d’une énorme paire de ciseaux en métal et d’autres ustensiles et commença par se charger des mauvaises herbes : elle défrichait, éliminait toutes les plantes qui lui semblaient laides ou inutiles, une hécatombe. Dans la remise, Driss fut ravi de trouver une tondeuse à gazon dont le réservoir contenait encore suffisamment de carburant. Afin de rendre les alentours de leur propriété plus ordonnée, il sortit l’engin, et l’alluma. Un bruit de moteur vint perturber le calme à une centaine de mètres à la ronde, semant l’effroi dans la nature, d’autant que la fumée noire qui s’en échappait était irrespirable. Alors qu’ils jouaient dans le lit de la rivière, les deux garçons n’hésitaient pas à s’emparer de cailloux qu’ils jetaient à la surface pour s’éclabousser, sans se rendre compte qu’ils retiraient leurs abris à des crustacés livrés subitement sans secours aux attaques de leurs prédateurs. Leur chien, encore jeune et turbulent, ne sachant plus où donner du museau, pourchassait les papillons affolés, creusait la terre en arrachant les racines nécessaires à la survie des plantes, ses jeux détruisaient aussi l’habitat d’insectes incapables de vivre au grand jour. Le chat aussi jubilait, il avait à sa disposition un vaste terrain de chasse où les rongeurs dont il raffolait, découvraient bien trop tard son habileté et sa redoutable efficacité. Le petit félin ne mit pas vingt-quatre heures à s’adapter à son nouvel environnement, il en devint le principal prédateur.
En se rencontrant, deux univers qui n’aspiraient pourtant qu’à vivre en paix entraient en collision. Mais, ignorés par les humains, c’était au monde des plantes et des animaux de réagir, d’observer attentivement le comportement des nouveaux venus afin de s’y adapter, puis de trouver rapidement les moyens de cohabiter avec ceux qu’ils considéraient comme des intrus qui leur compliquaient l’existence.
Le grand départ
2 septembre 2019. Tom, Léa et Mehdi rentrent dans la cour du collège Jean-Moulin. C’est leur premier jour de 3e. Ils marchent les mains dans les poches.
– J’ai plus de nouvelles de Naomi, dit tout à coup Léa.
Tom et Mehdi s’approchent. Elle leur explique. Tout l’été elle a guetté un message sur Telegram. Rien n’est venu. Les autres membres aussi ont commencé à s’inquiéter.
– Elle est partie en vacances, dit Tom. Elle va revenir, tu verras.
Une semaine de cours passe.
Toujours pas de nouvelles.
Léa part ce mardi-là à l’école quand elle voit sur son iPhone le grand titre annoncé par tous les journaux : Naomi Lehner, leader de la fronde étudiante, a disparu. Un avis de recherche international a été lancé.
– Regardez, regardez ! crie Léa en arrivant devant le banc vert.
– Elle a été enlevée, c’est sûr, dit Mehdi, affolé. Elle devenait trop dangereuse.
– Oh oh, on se calme les gars, dit Tom. On respire un bon coup, et on réfléchit.
Vingt minutes plus tard, les trois amis n’y voient pas vraiment plus clair, mais ils décident de se mettre tout de suite à la recherche de Naomi.
Ils contactent les différents membres du groupe Telegram, les parents et amis de Naomi, exploitent la moindre piste : rien.
Pendant ce temps la mobilisation a repris de plus belle, partout les lycéens et les collégiens ont recommencé les grèves, le combat continue.
Et puis un jour, Léa reçoit par mail une invitation à rejoindre un réseau crypté : Gaïa. Elle appuie sur le lien qui est arrivé sur son mail. Dedans, un message l’attend.
« Salut Léa. C’est Naomi. Avant toute chose : tout va bien, ne t’inquiète pas. Je suis à Sumatra, en Indonésie. On est en train d’essayer, avec de nouveaux amis d’ici, d’empêcher de nouvelles plantations de palmiers à huiles, qui détruiraient encore un peu plus la forêt primaire et la biodiversité. J’ai décidé de passer à l’action. J’ai beaucoup parlé l’année dernière, mais rien n’avance. Alors voilà, je suis venue ici pour lancer des mini-foyers de résistance, des pôles d’actions un peu partout. Le réseau que j’ai créé regroupera des centaines de personnes dans le monde entier, qui veulent, eux aussi, commencer à changer ce monde.
Je t’invite vraiment à venir me rejoindre. Sumatra est sublime, je mange des noix de coco, et on avance, Léa, on avance.
Je t’embrasse ! »
Léa repose son téléphone.
– T’es folle, Léa, dit Tom.
– Non, je suis sûre de moi, dit-elle. Il faut qu’on la rejoigne.
Mehdi la regarde.
– Tu as raison, dit-il.
Tom se retrouve comme un con, tout seul. Il veut plaire à Léa, il voudrait qu’elle le trouve courageux, audacieux. Il se lève à son tour.
– Ok les gars.
Mais bon, on le sait, les choses ne sont pas si simples, on ne décide pas en claquant des doigts de partir à l’autre bout du monde, surtout quand on a 14 ans.
– On pourrait tout simplement fuir, comme elle, dit Mehdi.
– Il faut être plus subtil que ça, dit Léa. Tout le monde est sur les dents maintenant. Trouvons une autre manière de faire.
Laquelle ? se demande Tom. Il regarde ses camarades. Il est l’heure d’aller en cours de SVT. Quand tout à coup : biiiing dans sa tête – et ce n’est pas la sonnerie.
A la fin des cours, Tom court jusqu’à la porte d’entrée du collège et disparaît dans la montée du Gourguillon. Il enjambe un pont, les quais, et, arrivé devant le n°16 de la rue de Brest, il sonne.
Le lendemain, Tom s’approche du banc vert.
– C’est bon les gars, dit-il.
– Quoi, demande Mehdi.
– On part en Indonésie.
– Non mais t’es un ouf mec, crie Léa.
Tom leur explique : le grand frère d’un ami d’enfance, Rudi, a fondé il y a des années une ONG qui se charge de tisser des liens entre les enfants du monde entier. Il est allé le voir et lui a dit qu’ils voulaient absolument, ses deux potes et lui, partir en Indonésie faire du volontariat. Il a dit oui, je peux vous aider à partir.
– Mais qu’on ait 14 ans, c’est pas un problème ?
– On partirait dans un groupe d’une dizaine de personnes, dont plusieurs adultes. Aucun souci.
– Oui mais on a école mon vieux ! dit Mehdi. Et nos parents, qu’est-ce qu’ils vont dire, nos parents ?
Deux semaines et des dizaines d’heures de négociations plus tard, ça y est, les trois amis arrivent à leur fin. Les parents de Tom ont comme prévu été les plus difficiles à convaincre, mais en présentant le projet de la meilleure manière possible, avec l’appui de leur professeure d’histoire-géo et celui de Rudi (« plus respectable tu meurs »), ils ont réussi. Voilà le deal : deux semaines, pendant les vacances de la Toussaint, financées par l’ONG de Rudi, encadrés par des adultes, et au sein d’une mission humanitaire précise. Les trois amis font des sauts de joie sur le trottoir.
Vendredi 18 octobre 2019. Tom, Léa et Mehdi sont assis côte à côte dans ce Boeing 747 en direction de Djakarta. Ils n’arrêtent pas de demander des verres de Sprite aux stewards, de regarder sur leurs petites télés le dessin de leur avion qui survole à présent la Turquie. Ils rient, ils rient comme des fous. C’est parti, rendez-vous de l’autre côté du globe, en Indonésie !
Dans la chaleur de Sumatra
Tom, Léa, Mehdi et madame Machon, leur professeur de SVT, descendent de l’avion. Ils sont tous les quatre très fatigués. Après plus de treize heures de vol pour environ dix mille kilomètres parcourus depuis Paris, ils viennent d’arriver à l’aéroport international Minangkabau de Padang. Pendant le trajet ils ont pu longuement discuter au sujet de la manifestation qui les attend le lendemain dans la capitale de la province .
En sortant de l’aéroport, la chaleur les surprend. Un panneau lumineux indique 40 degrés. La température regionale de Sumatra a significativement augmenté ces dernières années.
" Une conséquence du réchauffement de la planète, affirme madame Machon.
— Si nous prenions un vélo pour éviter de polluer ? propose Tom.
— N’importe quoi, le coupe Léa, c’est hyper loin."
Sans broncher, ils suivent leur professeur qui vient de repérer un taxi. Une fois en route pour l’hôtel, la fatigue les quitte. Ils sont à la fois choqués, éblouis et surexcités par ce qu’ils voient. Ils oublient un moment le but de leur voyage. Mehdi rêve de faire une balade à dos d’éléphant et Tom de visiter l’île de Sumatra. Au passage, ils aperçoivent des animaux qu’ils n’ont jamais vu auparavant, ni eux, ni même leur prof de SVT, comme des orangs-outans, ces singes menacés par la déforestation, et même un rhinocéros au loin. Du moins, c’est ce qu’affirme Tom. C’était peut-être une vache...
" Est-ce c’est vrai que l’arum titan est l’une des plus grandes plantes au monde, demande Léa à Madame Machon ?
— Oui, mais c’est aussi une plante menacée par la pollution et les insecticides, répond-elle.
— Ils vont disparaître, comme tous ces animaux tués par les braconneurs, ajoute Léa, pensive.
— J’espère que Noémie sera aussi sympa en vrai qu’au téléphone, s’exclame Mehdi !"
Tom lui coupe vivement la parole : "Tu le sauras bientôt. Regarde, nous arrivons à l’hôtel."
Une heure plus tard, tous sont bien installés dans leurs chambres, mais pas de nouvelles de Noémie.
" C’est bizarre, j’ai essayé de la joindre plusieurs fois, dit madame Machon, mais elle ne répond pas.
— Qu’allons-nous faire, demande Tom d’une voix inquiète ?
— Je ne sais pas du tout, ça m’angoisse, chuchote Léa.
— On peut appeler son frère, Théo qui est très actif dans l’association, propose la prof."
Théo leur explique qu’il est actuellement vers une plantation d’huile de palme avec des membres du groupe et qu’il n’a pas de nouvelles de sa sœur depuis 3 jours.
"Ne vous inquiétez pas, j’ai l’habitude avec elle. Elle est toujours très occupée. Elle a doit être dans un village où il n’y a pas de connexion et va sûrement arriver dans la soirée. Nous devons tous nous retrouver demain matin pour la manif."
"Bon, allons manger quelque chose et nous verrons bien tout à l’heure si Noémie est revenue, propose madame Machon."
Ils décident d’aller goûter le plat traditionnel du pays, le nasi goreng, composé de riz frit assaisonné de sauce soja et accompagné de poulet ou de crevettes.
"Ch’est délichieux ! s’exclame Mehdi, la bouche pleine. Et demain on ira visiter les temples balinais et les belle plages d’Indonésie !"
Tous le regardent, interloqués.
"Nous sommes là pour la manifestation, je te le rappelle, dit Léa froidement."
La nuit tombe. Toujours pas de nouvelles de Noémie. Madame Machon ordonne aux trois ados d’aller se coucher, mais vers minuit Léa réveille les garçons.
"Je n’arrive pas à dormir. Il a dû arriver quelque chose à Noémie.
— Son logement est à quelques minutes d’ici, grogne Mehdi qui était déjà endormi. Je l’ai vu internet.
— Allons voir, décide Tom."
Sans bruits, les trois amis sortent de la chambre où leur professeur dort à poings fermés.
Ils arrivent bientôt devant l’appartement de Noémie. Ils sonnent. Aucun bruit. Léa essaie d’ouvrir la porte qui déverrouillée, mais coincée par des objets. Ils poussent tous les trois. Victoire ! Ils entrent et découvrent un véritable chaos. Des meubles renversés, une lampe brisée, des livres et des vêtements éparpillés.
Au milieu du carnage, Mehdi repère un étrange chapeau bleu de forme conique.
"C’est un chapeau de paysan, typique d’Indonésie. J’en ai vus sur internet."
A ce moment-là, une ombre se faufile derrière eux.
Naomi : le retour
« Que faites-vous là ?! s’écria Naomi, l’air abasourdi.
– On te cherchait, on était inquiets, répondit Léa.
– Vous m’avez fait très peur ! Je viens de retrouver mon appartement complètement vandalisé, et comme j’ai entendu des bruits, je me suis cachée. Heureusement ce n’est que vous !...
- Nous voilà rassurés ! On est tellement heureux de te retrouver en vie ! s’exclama Mehdi.
Ils apprirent alors que Naomi s’était juste absentée pour rendre visite à des victimes du réchauffement, mais qu’elle avait perdu son téléphone satellite. Après de longues recherches dans l’appartement, Naomi s’assit et dit :
« Les papiers avec les noms des membres, les numéros de comptes et les actions prévues de l’association ont disparu. C’est une catastrophe ! »
C’est alors que Tom souleva le chapeau de paysan et découvrit en dessous un numéro de téléphone. Mme Machon décida d’appeler. Une voix de jeune fille leur répondit, qui les invitait à la rejoindre en leur indiquant des coordonnées précises. Elles menaient sur l’île de Bali.
Le voyage passa comme un éclair, et les enfants se retrouvèrent bientôt à la porte d’une cabane. Deux jeunes filles les attendaient : les sœurs Wijsen, Isabel et Melati, qui avaient créé l’association “bye bye plastic bags”. En voyant Naomi, elles lui sautèrent au cou.
S’ensuivit une longue conversation très instructive : les deux sœurs avaient un nouvel objectif : la lutte contre la déforestation. Elles leur dirent que des centaines d’hectares de forêt allaient prochainement être abattus au profit d’une plantation de palmiers à huile, dont serait client Ferrero. Elles avaient surpris une conversation entre les maîtres d’œuvre engagés par Ferrero annonçant que le défrichage allait commencer avant l’obtention de toutes les autorisations nécessaires … et qu’ils allaient frapper un grand coup en volant des papiers importants chez Naomi.
Les deux sœurs avaient tenté de joindre Naomi, en vain, puis étaient rentrées par effraction chez elle pour mettre en sécurité les papiers en question. Elles n’avaient pas mis en désordre l’appartement, ce qui voulait dire que leur technique avait fonctionné : le cambriolage des hommes de Ferrero avait été infructueux. Elles rendirent alors les papiers à Naomi.
Quelques jours plus tard, grâce à la dénonciation des jeunes gens, l’entreprise Ferrero était mise en examen aussi bien pour tentative de vol que pour déforestation sauvage, s’attirant les foudres de l’opinion publique et des associations.
Poursuivant leurs engagements, Naomi, Isabel et Melati décidèrent alors d’appeler leur vieil ami Claude Lorius, un glaciologue qui avait déjà alerté sur le réchauffement climatique dès les années cinquante. A la fin de la conversation, un rendez-vous était fixé à Nuuk, au Groenland pour la rencontre. Il serait accompagné de Victor Noël, un autre militant engagé contre la disparition des espèces. De toute évidence, cette rencontre allait être très instructive, et bien sûr, Léa, Mehdi et Tom étaient du voyage, toujours épaulés par Mme Machon. Ils se rendirent à l’aéroport pour rejoindre Paris puis Oslo puis Nuuk. Après un peu d’attente, leur premier avion décolla.
Deux heures plus tard, Tom se leva pour se dégourdir les jambes et se retrouva à l’arrière de l’avion. Il se rendit compte que la porte menant à la soute était ouverte. Il jeta un œil. Des cages retenaient des centaines d’animaux et de la flore protégée. Deux hommes fixaient Tom. Ils lui fondirent dessus.
La promesse
Tom ne faisait pas le poids. Il avait beau s’être débattu,les deux hommes avaient réussi, après lui avoir asséné un sacré coup sur la tête, à le ligoter sur l’une des cages entreposées dans la soute.
Un certain temps s’écoula quand Tom finit par rouvrir un œil. Il se repassa le film des événements et compris qu’il fallait faire vite pour se sortir de cette soute et avertir les autres de ce trafic. Quelle incroyable coïncidence ! Eux les défenseurs de la cause animale et végétale, s’apprêtaient à embarquer dans un avion où précisément des animaux sauvages et des végétaux étaient transportés illégalement pour être vendus à l’étranger.
Mais le temps pressait, avant de sauver le monde, Tom devait d’abord trouver les moyens de se sauver lui-même. Il se mit à crier et à appeler au secours mais en vain, sa voix se perdait dans les limbes de la cale. Il se mit alors à s‘agiter dans tous les sens pour tenter de dénouer cette corde qui le retenait prisonnier attaché à cette maudite cage. Mais rien n’y faisait. Alors qu’habituellement, dix mille idées à la minute pouvaient lui traverser l’esprit, Tom avait la tête vide. Pour la première fois, il était impuissant, confronté à la solitude, au silence de cette grande soute. Désespéré, recroquevillé, il mit sa tête sur ses bras.Il repensa alors à cette prof de sport « la perchée de la méditation »dont il n’avait strictement rien à faire avec ses camarades du collège.Il repensa à ses paroles et plein de gratitude se laissa alors guider dans une douce respiration pour retrouver le calme et dissiper son stress.Soudain, il sentit un léger souffle. Il se redressa etvit deux petites billes luisantes qui le regardaient. Tout autour de lui scintillaient plein d’yeux. Il comprit et sentit la sidération de ces animaux sauvages, témoins silencieux d’une violence humaine inexplicable. Tom découvrit qu’il était attaché à la cage d’un Gibbon. Ils se regardèrent profondément et chacun vit dans le regard de l’autre une lumière de solidarité. Je vais détacher tes liens. Je vais vous aider à regagner vos arbres, vos forêts et vos rivières. Une fois les liens défaits, Tom pu aussitôt se lever et ouvrir la porte de la soute. Il fallait agir vite et avec efficacité, le sort de tous ses animaux reposait désormais sur lui. Après avoir rejoint sa place, il se rendit compte que l’avion était immobilisé au sol suite à sa disparition. Les jeunes gens donnèrent rapidement l’alerte et tous les passagers furent débarqués afin de permettre l’évacuation des cages contenant les animaux et les plantes. Naomie et les trois amis devaient désormais attendre un autre vol afin de rejoindre leur destination et continuer leur lutte aux côtés de Victor Noël. La nuit fut longue mais les jeunes gens prenaient leur mal en patience et pensaient à toutes les créatures qui allaient pouvoir rejoindre leur milieu de vie naturel grâce à eux. Ils décidèrent d’occuper leur temps en créant une chanson qui soutiendrait leur cause : Nous sommes de ceux quiveulent changer le monde.
Nous sommes de ceux qui veulent lutter contre le réchauffement climatique.
Nous sommes de ceux qui combattent la déforestation
Nous sommes de ceux qui pleurent les feux criminels
Nous sommes de ceux qui se battent pour sauver les animaux en voie de disparition.
Nous sommes de ceux qui aiment le chocolat mais pas le Nutella.
Nous sommes de ceux qui luttent pour la biodiversité
Nous sommes de ceux qui cherchent les morceaux d’humanité pour redonner à la terre les couleurs de la vie.
Nous sommes de ceux qui espèrent un avenir, de ceux qui se battent pour construire un monde meilleur.
Nous sommes de ceux qui arrêtent de consommer pour ne plus polluer,
Nous sommes de ceux qui s’engagent et qui font des marches pour qu’on puisse vous voir prendre de l’âge, nous ne sommes pas seuls faites attention !
Nous sommes la Terre, nous sommes l’Arbre, nous sommes la Fleur,
Nous sommes l’Oiseau qui chante
Nous sommes de ceux qui veulent changer les choses
Nous sommes des poètes, des penseurs, des marcheurs, des chanteurs, des jeunes
Nous sommes de ceux qui veulent une vie meilleure pour la planète
Nous ne sommes pas de ceux qui ferment les yeux
Nous sommes de ceux qui manifestent pour notre bonheur à tous et notre futur
Nous sommes de ceux qui ne reculent devant rien pour libérer le monde de sa cupidité
Nous sommes de ceux qui ne resteront pas sans rien faire et sans rien dire
Nous sommes de ceux qui continueront à se rebeller et à tenir tête sans jamais abandonner.
Nous sommes de ceux qui espèrent que le message se transformera en présage.
Nous sommes de ceux qui croient en vous donc battez-vous et aidez-nous.
Que d’aventures !
Une voix dans un haut parleur indique enfin leur porte d’embarquement. Naomi et Mme Machon, la prof de SVT, se lèvent les premières, impatientes de laisser derrière elles ces dernières péripéties. Puis, après un long vol avec escales, qui les a conduits à l’aéroport de Kangerlussuaq, ils attendent une correspondance qui les mènera enfin à 319 km au Sud, à Nuuk où ils retrouveront Victor Noël ainsi que les glaciologues Claude Lorius et Jérôme Chappelaz, qui ont tant à leur apprendre. Ils se dirigent, bagages à la main, vers le guichet et embarquent, à leur surprise, dans un tout petit avion rouge et blanc d’une trentaine de places.
Lorsque l’avion décolle, les adolescents sont impressionnés. Des turbulences commencent à se faire ressentir et la violence de celles-ci s’accélère. Le bourdonnement, qu’ils perçoivent devient de plus en plus oppressant. Mme Machon masque difficilement son inquiétude, et les passagers comprennent bien que les conditions de vol ne seront pas agréables.
Pour ne pas céder à la panique, Tom s’efforce de penser au récit qu’il pourra faire à Victor Noël de tout ce qu’il a pu vivre avec ses amis et Léa réfléchit aux prochaines formes que prendra leur lutte contre le réchauffement climatique.
Tout à coup l’avion décroche, tous les passagers sont ballottés, entraînés vers la gauche, puis la droite et le cap se redresse. Un silence de mort règne. Un passager qui semble habitué à effectuer ce trajet se tourne vers les jeunes :
“ - Tout va bien, ne vous inquiétez pas. Nous avons traversé une zone d’importantes turbulences et en traverserons d’autres avant notre arrivée.
– J’ai vraiment cru qu’on allait y rester...
– Le climat est complètement détraqué ! lance une jeune femme à l’avant.
– Ah bah bravo, j’ai du jus d’orange partout ! s’énerve Mehdi.
– Sérieux ! C’est ta seule préoccupation ?! s’exclame Léa.
Brusquement, le nez de l’avion pique vers le bas. La pression baisse, la température aussi. L’avion est au bord de la dépressurisation.
Plus un mot ne se fait entendre jusqu’au moment où l’avion heurte la glace plutôt qu’il n’atterrit, loin des pistes de l’aéroport de Nuuk.
L’avion s’est crashé sur la banquise qui se fissure à peine sous le choc. Les passagers sont tous sonnés. Tom rejoint l’équipage et les passagers les plus proches qui débloquent les portes. Tous tremblent de froid et de peur. Mehdi se tient la tête : il a reçu un choc au moment où l’avion s’est posé. Il est nauséeux et sort prendre l’air avec ses amis. Il soupire. Ce n’est pas tout de suite qu’il pourra découvrir la fameuse soupe appelée suaasat, faite à partir de viande de phoque bouillie, d’oignons et de riz !
Sur la banquise, un ours polaire au loin les voit et semble venir vers eux. Ils se mettent à courir dans la direction inverse. L’ours se rapproche de plus en plus. Quand il n’est plus qu’à quelques mètres d’eux, il s’arrête et lance :
“Ça vous dit un ice-volley ? J’ai un ballon !” Les jeunes sont sous le choc mais l’idée leur plaît.
“Et là, et là un yeti leur propose un mister freeze…
– Ouh lala, tu pars loin Tom... s’exclame Léa
– Bon il commence à se faire tard je dois y aller, déclare Mehdi.
– On s’invente de ces vies d’aventuriers, nous ! Ça aurait été trop cool vous imaginez, nous, héros du combat climatique ! soupire Tom.
– On aurait figuré dans le tome 2 de "Ces jeunes qui changent le monde" ! raille Léa avant d’ajouter
– Moi aussi Tom, je dois y aller. En plus, j’ai dit à ma mère que je l’accompagnais faire les courses... on a plus de Nutella.”
À regret, ils se lèvent de leur banc et rentrent chez eux.
Le grand départ
2 septembre 2019. Tom, Léa et Mehdi rentrent dans la cour du collège Jean-Moulin. C’est leur premier jour de 3e. Ils marchent les mains dans les poches.
– J’ai plus de nouvelles de Naomi, dit tout à coup Léa.
Tom et Mehdi s’approchent. Elle leur explique. Tout l’été elle a guetté un message sur Telegram. Rien n’est venu. Les autres membres aussi ont commencé à s’inquiéter.
– Elle est partie en vacances, dit Tom. Elle va revenir, tu verras.
Une semaine de cours passe.
Toujours pas de nouvelles.
Léa part ce mardi-là à l’école quand elle voit sur son iPhone le grand titre annoncé par tous les journaux : Naomi Lehner, leader de la fronde étudiante, a disparu. Un avis de recherche international a été lancé.
– Regardez, regardez ! crie Léa en arrivant devant le banc vert.
– Elle a été enlevée, c’est sûr, dit Mehdi, affolé. Elle devenait trop dangereuse.
– Oh oh, on se calme les gars, dit Tom. On respire un bon coup, et on réfléchit.
Vingt minutes plus tard, les trois amis n’y voient pas vraiment plus clair, mais ils décident de se mettre tout de suite à la recherche de Naomi.
Ils contactent les différents membres du groupe Telegram, les parents et amis de Naomi, exploitent la moindre piste : rien.
Pendant ce temps la mobilisation a repris de plus belle, partout les lycéens et les collégiens ont recommencé les grèves, le combat continue.
Et puis un jour, Léa reçoit par mail une invitation à rejoindre un réseau crypté : Gaïa. Elle appuie sur le lien qui est arrivé sur son mail. Dedans, un message l’attend.
« Salut Léa. C’est Naomi. Avant toute chose : tout va bien, ne t’inquiète pas. Je suis à Sumatra, en Indonésie. On est en train d’essayer, avec de nouveaux amis d’ici, d’empêcher de nouvelles plantations de palmiers à huiles, qui détruiraient encore un peu plus la forêt primaire et la biodiversité. J’ai décidé de passer à l’action. J’ai beaucoup parlé l’année dernière, mais rien n’avance. Alors voilà, je suis venue ici pour lancer des mini-foyers de résistance, des pôles d’actions un peu partout. Le réseau que j’ai créé regroupera des centaines de personnes dans le monde entier, qui veulent, eux aussi, commencer à changer ce monde.
Je t’invite vraiment à venir me rejoindre. Sumatra est sublime, je mange des noix de coco, et on avance, Léa, on avance.
Je t’embrasse ! »
Léa repose son téléphone.
– T’es folle, Léa, dit Tom.
– Non, je suis sûre de moi, dit-elle. Il faut qu’on la rejoigne.
Mehdi la regarde.
– Tu as raison, dit-il.
Tom se retrouve comme un con, tout seul. Il veut plaire à Léa, il voudrait qu’elle le trouve courageux, audacieux. Il se lève à son tour.
– Ok les gars.
Mais bon, on le sait, les choses ne sont pas si simples, on ne décide pas en claquant des doigts de partir à l’autre bout du monde, surtout quand on a 14 ans.
– On pourrait tout simplement fuir, comme elle, dit Mehdi.
– Il faut être plus subtil que ça, dit Léa. Tout le monde est sur les dents maintenant. Trouvons une autre manière de faire.
Laquelle ? se demande Tom. Il regarde ses camarades. Il est l’heure d’aller en cours de SVT. Quand tout à coup : biiiing dans sa tête – et ce n’est pas la sonnerie.
A la fin des cours, Tom court jusqu’à la porte d’entrée du collège et disparaît dans la montée du Gourguillon. Il enjambe un pont, les quais, et, arrivé devant le n°16 de la rue de Brest, il sonne.
Le lendemain, Tom s’approche du banc vert.
– C’est bon les gars, dit-il.
– Quoi, demande Mehdi.
– On part en Indonésie.
– Non mais t’es un ouf mec, crie Léa.
Tom leur explique : le grand frère d’un ami d’enfance, Rudi, a fondé il y a des années une ONG qui se charge de tisser des liens entre les enfants du monde entier. Il est allé le voir et lui a dit qu’ils voulaient absolument, ses deux potes et lui, partir en Indonésie faire du volontariat. Il a dit oui, je peux vous aider à partir.
– Mais qu’on ait 14 ans, c’est pas un problème ?
– On partirait dans un groupe d’une dizaine de personnes, dont plusieurs adultes. Aucun souci.
– Oui mais on a école mon vieux ! dit Mehdi. Et nos parents, qu’est-ce qu’ils vont dire, nos parents ?
Deux semaines et des dizaines d’heures de négociations plus tard, ça y est, les trois amis arrivent à leur fin. Les parents de Tom ont comme prévu été les plus difficiles à convaincre, mais en présentant le projet de la meilleure manière possible, avec l’appui de leur professeure d’histoire-géo et celui de Rudi (« plus respectable tu meurs »), ils ont réussi. Voilà le deal : deux semaines, pendant les vacances de la Toussaint, financées par l’ONG de Rudi, encadrés par des adultes, et au sein d’une mission humanitaire précise. Les trois amis font des sauts de joie sur le trottoir.
Vendredi 18 octobre 2019. Tom, Léa et Mehdi sont assis côte à côte dans ce Boeing 747 en direction de Djakarta. Ils n’arrêtent pas de demander des verres de Sprite aux stewards, de regarder sur leurs petites télés le dessin de leur avion qui survole à présent la Turquie. Ils rient, ils rient comme des fous. C’est parti, rendez-vous de l’autre côté du globe, en Indonésie !
Dans la chaleur de Sumatra
Tom, Léa, Mehdi et madame Machon, leur professeur de SVT, descendent de l’avion. Ils sont tous les quatre très fatigués. Après plus de treize heures de vol pour environ dix mille kilomètres parcourus depuis Paris, ils viennent d’arriver à l’aéroport international Minangkabau de Padang. Pendant le trajet ils ont pu longuement discuter au sujet de la manifestation qui les attend le lendemain dans la capitale de la province .
En sortant de l’aéroport, la chaleur les surprend. Un panneau lumineux indique 40 degrés. La température regionale de Sumatra a significativement augmenté ces dernières années.
" Une conséquence du réchauffement de la planète, affirme madame Machon.
— Si nous prenions un vélo pour éviter de polluer ? propose Tom.
— N’importe quoi, le coupe Léa, c’est hyper loin."
Sans broncher, ils suivent leur professeur qui vient de repérer un taxi. Une fois en route pour l’hôtel, la fatigue les quitte. Ils sont à la fois choqués, éblouis et surexcités par ce qu’ils voient. Ils oublient un moment le but de leur voyage. Mehdi rêve de faire une balade à dos d’éléphant et Tom de visiter l’île de Sumatra. Au passage, ils aperçoivent des animaux qu’ils n’ont jamais vu auparavant, ni eux, ni même leur prof de SVT, comme des orangs-outans, ces singes menacés par la déforestation, et même un rhinocéros au loin. Du moins, c’est ce qu’affirme Tom. C’était peut-être une vache...
" Est-ce c’est vrai que l’arum titan est l’une des plus grandes plantes au monde, demande Léa à Madame Machon ?
— Oui, mais c’est aussi une plante menacée par la pollution et les insecticides, répond-elle.
— Ils vont disparaître, comme tous ces animaux tués par les braconneurs, ajoute Léa, pensive.
— J’espère que Noémie sera aussi sympa en vrai qu’au téléphone, s’exclame Mehdi !"
Tom lui coupe vivement la parole : "Tu le sauras bientôt. Regarde, nous arrivons à l’hôtel."
Une heure plus tard, tous sont bien installés dans leurs chambres, mais pas de nouvelles de Noémie.
" C’est bizarre, j’ai essayé de la joindre plusieurs fois, dit madame Machon, mais elle ne répond pas.
— Qu’allons-nous faire, demande Tom d’une voix inquiète ?
— Je ne sais pas du tout, ça m’angoisse, chuchote Léa.
— On peut appeler son frère, Théo qui est très actif dans l’association, propose la prof."
Théo leur explique qu’il est actuellement vers une plantation d’huile de palme avec des membres du groupe et qu’il n’a pas de nouvelles de sa sœur depuis 3 jours.
"Ne vous inquiétez pas, j’ai l’habitude avec elle. Elle est toujours très occupée. Elle a doit être dans un village où il n’y a pas de connexion et va sûrement arriver dans la soirée. Nous devons tous nous retrouver demain matin pour la manif."
"Bon, allons manger quelque chose et nous verrons bien tout à l’heure si Noémie est revenue, propose madame Machon."
Ils décident d’aller goûter le plat traditionnel du pays, le nasi goreng, composé de riz frit assaisonné de sauce soja et accompagné de poulet ou de crevettes.
"Ch’est délichieux ! s’exclame Mehdi, la bouche pleine. Et demain on ira visiter les temples balinais et les belle plages d’Indonésie !"
Tous le regardent, interloqués.
"Nous sommes là pour la manifestation, je te le rappelle, dit Léa froidement."
La nuit tombe. Toujours pas de nouvelles de Noémie. Madame Machon ordonne aux trois ados d’aller se coucher, mais vers minuit Léa réveille les garçons.
"Je n’arrive pas à dormir. Il a dû arriver quelque chose à Noémie.
— Son logement est à quelques minutes d’ici, grogne Mehdi qui était déjà endormi. Je l’ai vu internet.
— Allons voir, décide Tom."
Sans bruits, les trois amis sortent de la chambre où leur professeur dort à poings fermés.
Ils arrivent bientôt devant l’appartement de Noémie. Ils sonnent. Aucun bruit. Léa essaie d’ouvrir la porte qui déverrouillée, mais coincée par des objets. Ils poussent tous les trois. Victoire ! Ils entrent et découvrent un véritable chaos. Des meubles renversés, une lampe brisée, des livres et des vêtements éparpillés.
Au milieu du carnage, Mehdi repère un étrange chapeau bleu de forme conique.
"C’est un chapeau de paysan, typique d’Indonésie. J’en ai vus sur internet."
A ce moment-là, une ombre se faufile derrière eux.
Naomi : le retour
« Que faites-vous là ?! s’écria Naomi, l’air abasourdi.
– On te cherchait, on était inquiets, répondit Léa.
– Vous m’avez fait très peur ! Je viens de retrouver mon appartement complètement vandalisé, et comme j’ai entendu des bruits, je me suis cachée. Heureusement ce n’est que vous !...
- Nous voilà rassurés ! On est tellement heureux de te retrouver en vie ! s’exclama Mehdi.
Ils apprirent alors que Naomi s’était juste absentée pour rendre visite à des victimes du réchauffement, mais qu’elle avait perdu son téléphone satellite. Après de longues recherches dans l’appartement, Naomi s’assit et dit :
« Les papiers avec les noms des membres, les numéros de comptes et les actions prévues de l’association ont disparu. C’est une catastrophe ! »
C’est alors que Tom souleva le chapeau de paysan et découvrit en dessous un numéro de téléphone. Mme Machon décida d’appeler. Une voix de jeune fille leur répondit, qui les invitait à la rejoindre en leur indiquant des coordonnées précises. Elles menaient sur l’île de Bali.
Le voyage passa comme un éclair, et les enfants se retrouvèrent bientôt à la porte d’une cabane. Deux jeunes filles les attendaient : les sœurs Wijsen, Isabel et Melati, qui avaient créé l’association “bye bye plastic bags”. En voyant Naomi, elles lui sautèrent au cou.
S’ensuivit une longue conversation très instructive : les deux sœurs avaient un nouvel objectif : la lutte contre la déforestation. Elles leur dirent que des centaines d’hectares de forêt allaient prochainement être abattus au profit d’une plantation de palmiers à huile, dont serait client Ferrero. Elles avaient surpris une conversation entre les maîtres d’œuvre engagés par Ferrero annonçant que le défrichage allait commencer avant l’obtention de toutes les autorisations nécessaires … et qu’ils allaient frapper un grand coup en volant des papiers importants chez Naomi.
Les deux sœurs avaient tenté de joindre Naomi, en vain, puis étaient rentrées par effraction chez elle pour mettre en sécurité les papiers en question. Elles n’avaient pas mis en désordre l’appartement, ce qui voulait dire que leur technique avait fonctionné : le cambriolage des hommes de Ferrero avait été infructueux. Elles rendirent alors les papiers à Naomi.
Quelques jours plus tard, grâce à la dénonciation des jeunes gens, l’entreprise Ferrero était mise en examen aussi bien pour tentative de vol que pour déforestation sauvage, s’attirant les foudres de l’opinion publique et des associations.
Poursuivant leurs engagements, Naomi, Isabel et Melati décidèrent alors d’appeler leur vieil ami Claude Lorius, un glaciologue qui avait déjà alerté sur le réchauffement climatique dès les années cinquante. A la fin de la conversation, un rendez-vous était fixé à Nuuk, au Groenland pour la rencontre. Il serait accompagné de Victor Noël, un autre militant engagé contre la disparition des espèces. De toute évidence, cette rencontre allait être très instructive, et bien sûr, Léa, Mehdi et Tom étaient du voyage, toujours épaulés par Mme Machon. Ils se rendirent à l’aéroport pour rejoindre Paris puis Oslo puis Nuuk. Après un peu d’attente, leur premier avion décolla.
Deux heures plus tard, Tom se leva pour se dégourdir les jambes et se retrouva à l’arrière de l’avion. Il se rendit compte que la porte menant à la soute était ouverte. Il jeta un œil. Des cages retenaient des centaines d’animaux et de la flore protégée. Deux hommes fixaient Tom. Ils lui fondirent dessus.
La promesse
Tom ne faisait pas le poids. Il avait beau s’être débattu,les deux hommes avaient réussi, après lui avoir asséné un sacré coup sur la tête, à le ligoter sur l’une des cages entreposées dans la soute.
Un certain temps s’écoula quand Tom finit par rouvrir un œil. Il se repassa le film des événements et compris qu’il fallait faire vite pour se sortir de cette soute et avertir les autres de ce trafic. Quelle incroyable coïncidence ! Eux les défenseurs de la cause animale et végétale, s’apprêtaient à embarquer dans un avion où précisément des animaux sauvages et des végétaux étaient transportés illégalement pour être vendus à l’étranger.
Mais le temps pressait, avant de sauver le monde, Tom devait d’abord trouver les moyens de se sauver lui-même. Il se mit à crier et à appeler au secours mais en vain, sa voix se perdait dans les limbes de la cale. Il se mit alors à s‘agiter dans tous les sens pour tenter de dénouer cette corde qui le retenait prisonnier attaché à cette maudite cage. Mais rien n’y faisait. Alors qu’habituellement, dix mille idées à la minute pouvaient lui traverser l’esprit, Tom avait la tête vide. Pour la première fois, il était impuissant, confronté à la solitude, au silence de cette grande soute. Désespéré, recroquevillé, il mit sa tête sur ses bras.Il repensa alors à cette prof de sport « la perchée de la méditation »dont il n’avait strictement rien à faire avec ses camarades du collège.Il repensa à ses paroles et plein de gratitude se laissa alors guider dans une douce respiration pour retrouver le calme et dissiper son stress.Soudain, il sentit un léger souffle. Il se redressa etvit deux petites billes luisantes qui le regardaient. Tout autour de lui scintillaient plein d’yeux. Il comprit et sentit la sidération de ces animaux sauvages, témoins silencieux d’une violence humaine inexplicable. Tom découvrit qu’il était attaché à la cage d’un Gibbon. Ils se regardèrent profondément et chacun vit dans le regard de l’autre une lumière de solidarité. Je vais détacher tes liens. Je vais vous aider à regagner vos arbres, vos forêts et vos rivières. Une fois les liens défaits, Tom pu aussitôt se lever et ouvrir la porte de la soute. Il fallait agir vite et avec efficacité, le sort de tous ses animaux reposait désormais sur lui. Après avoir rejoint sa place, il se rendit compte que l’avion était immobilisé au sol suite à sa disparition. Les jeunes gens donnèrent rapidement l’alerte et tous les passagers furent débarqués afin de permettre l’évacuation des cages contenant les animaux et les plantes. Naomie et les trois amis devaient désormais attendre un autre vol afin de rejoindre leur destination et continuer leur lutte aux côtés de Victor Noël. La nuit fut longue mais les jeunes gens prenaient leur mal en patience et pensaient à toutes les créatures qui allaient pouvoir rejoindre leur milieu de vie naturel grâce à eux. Ils décidèrent d’occuper leur temps en créant une chanson qui soutiendrait leur cause : Nous sommes de ceux quiveulent changer le monde.
Nous sommes de ceux qui veulent lutter contre le réchauffement climatique.
Nous sommes de ceux qui combattent la déforestation
Nous sommes de ceux qui pleurent les feux criminels
Nous sommes de ceux qui se battent pour sauver les animaux en voie de disparition.
Nous sommes de ceux qui aiment le chocolat mais pas le Nutella.
Nous sommes de ceux qui luttent pour la biodiversité
Nous sommes de ceux qui cherchent les morceaux d’humanité pour redonner à la terre les couleurs de la vie.
Nous sommes de ceux qui espèrent un avenir, de ceux qui se battent pour construire un monde meilleur.
Nous sommes de ceux qui arrêtent de consommer pour ne plus polluer,
Nous sommes de ceux qui s’engagent et qui font des marches pour qu’on puisse vous voir prendre de l’âge, nous ne sommes pas seuls faites attention !
Nous sommes la Terre, nous sommes l’Arbre, nous sommes la Fleur,
Nous sommes l’Oiseau qui chante
Nous sommes de ceux qui veulent changer les choses
Nous sommes des poètes, des penseurs, des marcheurs, des chanteurs, des jeunes
Nous sommes de ceux qui veulent une vie meilleure pour la planète
Nous ne sommes pas de ceux qui ferment les yeux
Nous sommes de ceux qui manifestent pour notre bonheur à tous et notre futur
Nous sommes de ceux qui ne reculent devant rien pour libérer le monde de sa cupidité
Nous sommes de ceux qui ne resteront pas sans rien faire et sans rien dire
Nous sommes de ceux qui continueront à se rebeller et à tenir tête sans jamais abandonner.
Nous sommes de ceux qui espèrent que le message se transformera en présage.
Nous sommes de ceux qui croient en vous donc battez-vous et aidez-nous.
Que d’aventures !
Une voix dans un haut parleur indique enfin leur porte d’embarquement. Naomi et Mme Machon, la prof de SVT, se lèvent les premières, impatientes de laisser derrière elles ces dernières péripéties. Puis, après un long vol avec escales, qui les a conduits à l’aéroport de Kangerlussuaq, ils attendent une correspondance qui les mènera enfin à 319 km au Sud, à Nuuk où ils retrouveront Victor Noël ainsi que les glaciologues Claude Lorius et Jérôme Chappelaz, qui ont tant à leur apprendre. Ils se dirigent, bagages à la main, vers le guichet et embarquent, à leur surprise, dans un tout petit avion rouge et blanc d’une trentaine de places.
Lorsque l’avion décolle, les adolescents sont impressionnés. Des turbulences commencent à se faire ressentir et la violence de celles-ci s’accélère. Le bourdonnement, qu’ils perçoivent devient de plus en plus oppressant. Mme Machon masque difficilement son inquiétude, et les passagers comprennent bien que les conditions de vol ne seront pas agréables.
Pour ne pas céder à la panique, Tom s’efforce de penser au récit qu’il pourra faire à Victor Noël de tout ce qu’il a pu vivre avec ses amis et Léa réfléchit aux prochaines formes que prendra leur lutte contre le réchauffement climatique.
Tout à coup l’avion décroche, tous les passagers sont ballottés, entraînés vers la gauche, puis la droite et le cap se redresse. Un silence de mort règne. Un passager qui semble habitué à effectuer ce trajet se tourne vers les jeunes :
“ - Tout va bien, ne vous inquiétez pas. Nous avons traversé une zone d’importantes turbulences et en traverserons d’autres avant notre arrivée.
– J’ai vraiment cru qu’on allait y rester...
– Le climat est complètement détraqué ! lance une jeune femme à l’avant.
– Ah bah bravo, j’ai du jus d’orange partout ! s’énerve Mehdi.
– Sérieux ! C’est ta seule préoccupation ?! s’exclame Léa.
Brusquement, le nez de l’avion pique vers le bas. La pression baisse, la température aussi. L’avion est au bord de la dépressurisation.
Plus un mot ne se fait entendre jusqu’au moment où l’avion heurte la glace plutôt qu’il n’atterrit, loin des pistes de l’aéroport de Nuuk.
L’avion s’est crashé sur la banquise qui se fissure à peine sous le choc. Les passagers sont tous sonnés. Tom rejoint l’équipage et les passagers les plus proches qui débloquent les portes. Tous tremblent de froid et de peur. Mehdi se tient la tête : il a reçu un choc au moment où l’avion s’est posé. Il est nauséeux et sort prendre l’air avec ses amis. Il soupire. Ce n’est pas tout de suite qu’il pourra découvrir la fameuse soupe appelée suaasat, faite à partir de viande de phoque bouillie, d’oignons et de riz !
Sur la banquise, un ours polaire au loin les voit et semble venir vers eux. Ils se mettent à courir dans la direction inverse. L’ours se rapproche de plus en plus. Quand il n’est plus qu’à quelques mètres d’eux, il s’arrête et lance :
“Ça vous dit un ice-volley ? J’ai un ballon !” Les jeunes sont sous le choc mais l’idée leur plaît.
“Et là, et là un yeti leur propose un mister freeze…
– Ouh lala, tu pars loin Tom... s’exclame Léa
– Bon il commence à se faire tard je dois y aller, déclare Mehdi.
– On s’invente de ces vies d’aventuriers, nous ! Ça aurait été trop cool vous imaginez, nous, héros du combat climatique ! soupire Tom.
– On aurait figuré dans le tome 2 de "Ces jeunes qui changent le monde" ! raille Léa avant d’ajouter
– Moi aussi Tom, je dois y aller. En plus, j’ai dit à ma mère que je l’accompagnais faire les courses... on a plus de Nutella.”
À regret, ils se lèvent de leur banc et rentrent chez eux.