Histoire 01

Prologue

Adam Thobias s’est assis à sa table en bois, dans son appartement du centre de Bruxelles. Il a regardé la jolie petite place, avec ses deux lampadaires et sa fontaine, puis il s’est remis au travail.
Tout est presque prêt. Dans une semaine, la grande expédition partira.
C’est le cœur de son opération Télémaque, qu’il a présentée il y a quelques jours à tous les membres de la Commission sur le Changement Climatique dont il a pris la tête en février dernier. L’expédition sera formée de spécialistes de toutes sortes et de tous âges, botanistes, géographes, artistes, naturalistes, zoologistes, géologues. 50 personnes en tout pour un voyage de deux mois et plusieurs missions – dont une principale, qu’Adam Thobias a appelée « L’Île mystérieuse », parce qu’il a toujours bien aimé Jules Verne.
Toute cette fine équipe va embarquer sur un bateau, Le Tribord, et s’élancer, depuis Rotterdam, vers les mers et les terres du monde entier.
Adam sifflote et se sert une nouvelle tasse de café. Tout se présente plutôt bien.
Il reprend sa conversation en ligne avec Salomé et Kamel.
- C’est une grande aventure qui vous attend, écrit Adam. Et comme toutes les grandes aventures, elle a besoin d’être écrite, elle a besoin de reporters, d’écrivains, de poètes, de musiciens : vous.
Kamel et Salomé, à 260 kilomètres de là, se tournent l’un vers l’autre. Cet homme est fou.
Tout a commencé il y a quelques jours, lorsqu’ils ont reçu un étrange message. Ils l’ont lu plusieurs fois. J’ai rien compris, dit Kamel. Moi non plus, dit Salomé. Ils se sont remis à leur nouvelle chanson, ils avaient du boulot.
Depuis un an, avec deux autres amis, ils ont monté un groupe de hip-hop. Ils adorent ça. Ils sont tous à la fac, ils jonglent entre les petits boulots, les études et la musique, c’est un peu le bordel, mais c’est un bordel créatif et joyeux.
Kamel vit à Belleville, Paris, Salomé juste à côté à Ménilmontant, ils se retrouvent chez Adrien et Carlota, à Oberkampf, ils jouent, et ils suent, et ils chantent.
Deux jours plus tard, ils reçoivent un appel sur WhatsApp. La voix grave d’Adam Thobias s’élève.
- On sait toujours pas trop… commence Salomé.
- Ecoutez, c’est une opportunité historique, l’interrompt Adam. Cette expédition a une grande mission que vous serez chargés de raconter. Parce que voilà le grand défi, derrière toute cette opération : raconter autrement le monde. Pour créer ce nouveau monde que nous espérons, il nous faut non seulement l’inventer, le façonner, mais aussi le dire et le raconter différemment. Et pour cela il faudra tenter plein de choses, d’autres manières, d’autres voix. On a besoin de nouvelles histoires. Je vais vous donner des pistes, mais ensuite ce sera à vous de décider comment vous allez raconter ce que vous verrez : vous pouvez écrire et chanter une chanson, écrire en rebus, faire une bande dessinée, des vidéos… Tout est permis ! Une seule contrainte : chaque étape de l’histoire, vous la raconterez différemment.
Salomé et Kamel roulent de grands yeux.
- Oui mais c’est-à-dire qu’on a des trucs à faire en ce moment.
- Voilà le trajet que suivra le bateau, poursuit Adam décidément infatigable – en fait c’est plutôt une ville flottante, une nouvelle manière de vivre sur l’eau, mais vous verrez ça. Vous partirez plein sud-ouest, traverserez l’Atlantique. Sur la route, les spécialistes procèderont à de nombreux relevés. Une fois passé le cap Horn, vous vous arrêterez sur la côte chilienne.
- Pour ?
- Faire monter des tortues à bord.
- Ok, pourquoi pas, dit Kamel. Et ensuite ?
- Ensuite, vous repartirez plein nord. C’est un bateau puissant, en quelques jours vous arriverez sur une île, en plein océan Pacifique. C’est un lieu incroyable.
- Vous êtes un as du teasing, dit Salomé.
- En deux mots, et gardez-le pour vous, c’est confidentiel : des chercheurs ont recueilli des espèces animales en voie d’extinction, un peu partout sur la planète, et les ont réunies là. C’est une espèce d’énorme sanctuaire, mais c’est aussi plus que ça. L’idée, c’est 1/de les protéger, puisque, comme vous le savez, elles sont en danger, et 2/ de les laisser repartir aux quatre coins de la planète, pour repeupler les zones sauvages.
- Waou, c’est génial ! Et qu’est-ce qu’on va faire nous là-bas ?
- Cette expédition a plein d’objectifs : amener de nouvelles espèces, s’occuper de celles qui sont déjà là (tigres, gorilles, rhinocéros, éléphants, pandas, entre autres) et les aider à se développer, organiser ces nouveaux écosystèmes. Mais je ne vous en dis pas plus, vous verrez bien sur place !
- Et pourquoi nous ?
- Parce que j’ai écouté vos chansons, et qu’on a besoin de gens comme vous. Allez, il est temps de se préparer. Bon voyage les amis !
Et Adam appuie déjà sur le bouton rouge. Le téléphone redevient noir.
Salomé et Kamel se regardent… Ils ne savent pas dans quoi ils se sont embarqués, mais c’est quand même drôlement excitant.

Histoire 01
Marc Alexandre OHO BAMBE

1/ Aux portes du désert marocain.

« Qui veut renoncer ? » gronde le passeur, en se retournant vers les gamins tremblants mais déterminés. La nuit tombe doucement doucement sur leurs pieds qui ont déjà tant marché. Personne ne répond. Renoncer ? il n’en est pas question. Pas après tous les risques encourus, tous les sacrifices consentis, les souffrances endurées. Renoncer ? C’est impossible pour ces jeunes gens aux regards hagards, en quête d’azur, ces jeunes gens prêts à tout pour une vie meilleure. La vie est soleil devant ! se répète Yaguine au fond de lui. La vie est soleil devant ! c’est son mot d’ordre, pour avancer, toujours avancer, sans se retourner, ni dévier de la route de ses rêves. Rêves qu’il trace, à l’encre de sa plume révoltée. Et c’est sur cette route, que Yaguine rencontre Fodé.
Ils ont le même âge. Et la même passion pour les mots et la musique. Le Rap qui les lie, les libère aussi. Très vite entre eux, c’est l’évidence de l’amitié, fraternité d’âmes déracinées. Très vite, des textes naissent, écrits à quatre mains.

Sur la route. Yaguine, Fodé et d’autres compagnons d’infortune, Isma, Ibra, Luc, Estelle, Félicité et vous. Face à une mer de sable qui s’étend à l’infini, et à cette conscience si humaine, que la douleur s’allège, quand on la partage. Bonjour mon frère, bonjour ma sœur, comment va ta douleur… ?

Histoire 01
Collège Laurent Mourguet

2/ Et toi, pourquoi tu pars ?

Bonjour mon frère, bonjour ma sœur, comment va ta douleur… ?
Voilà ce que Yaguine chantonne et reprend en boucle. Le groupe a décidé de s’arrêter près d’une piste. Vous attendez le passage d’un camion qui vous conduira plus au Nord jusqu’à ce que vous n’ayez plus l’argent pour continuer, épuisés déjà mais pleins d’espérance. Vous voilà à l’entrée du désert, sur la longue route vers Ceuta. Fodé sort de son sac une poignée de dattes et une kora. La nuit commence à tomber, Félicité s’enveloppe d’une couverture rouge et comme si elle chuchotait pour elle-même vous raconte son départ :
« ... mon père me sort de ma couchette et me dit de partir. Ma mère est malade depuis quelques semaines. Son état s’aggrave. La veille mon père avait donc proposé que je parte en Europe pour trouver des soins capables de la guérir. Il m’a indiqué le chemin avec une carte à moitié déchirée qu’il me donne. Je suis donc partie après avoir rassemblé mes affaires... »
Sa voix est lasse, vous l’entendez à peine.
« j’ai quitté le Mali... après la frontière, j’ai rencontré Luc et Estelle. »
Bonjour mon frère, bonjour ma sœur, comment va ta douleur… ?
« La guerre a éclaté et nous avons dû quitter le village en laissant nos familles qui ne voulaient pas quitter leur domicile. Au début du voyage nous n’avions pas assez de quoi nous nourrir, heureusement nous avons trouvé un petit marchand qui, contre quelques pièces, nous a donné de quoi manger et de l’eau. On a traversé le Mali sans problème et nous avons aperçu Félicité que nous avons rejointe. »
« Est-ce-que vous aviez déjà pensé à partir en Europe ? »
Bonjour mon frère, bonjour ma sœur, comment va ta douleur… ?
Estelle est déjà partie en Europe. Son père voulait la marier de force avec un homme riche et elle préférait faire ses études et se marier plus tard avec quelqu’un qu’elle aimerait. Elle a fui. Son expérience a été douloureuse. En arrivant en France, elle a trouvé un métier de femme de ménage non déclaré pour payer sa part de loyer aux personnes qui l’hébergeaient mais après des mois de travail acharné, tous ceux qui vivaient dans ces logements ont été expulsés car ils n’arrivaient plus à payer. Ceux qui ont pu être logés chez des proches ont disparu. Elle ne les a plus jamais revus. Estelle s’est retrouvée dans la rue. La police l’a surprise. L’a reconduite au pays. La honte. La rage. Elle repart plus déterminée à avoir une nouvelle vie.

Fodé range soigneusement la kora. Il serre les poings. Yaguine murmure
Bonjour mon frère, bonjour ma sœur, comment va ta douleur… ?
Isma est né dans une famille très pauvre. Il ne dit pas de quel pays ni de quel village. La sécheresse a ravagé les champs et puis l’invasion des criquets a ruiné les dernières récoltes. Il n’a prévenu personne. Un matin, il est parti.

Quand ses parents sont décédés dans un incendie criminel, Ibra s’est fait chasser de son village. Il n’en dit pas davantage.
Fodé qui tient un journal de bord sur le voyage qui se déroule écrit tout cela.
Yaguine fredonne un air que Fodé reconnaît immédiatement et qu’il commence à chanter :
« Que mon père a contribué à me lier avec la rue
J’ai eu l’illusion de trouver mieux, j’ai vu
Ce qu’un gamin de quatorze ans, avec le décalage de l’âge
Peut entrevoir, c’était comme un mirage... »
Yaguine et Fodé se regardent en souriant. Isma étonné par leur performance s’exclame :
« Vous êtes forts ! »
Yaguine et Fodé se connaissent déjà depuis bien longtemps.
Fodé rit :
« Yaguine et moi avons quitté notre village pour réaliser notre rêve, devenir rappeurs en Europe . Depuis toujours nous adorons le rap ! »
Quant à vous, vous restez discret et décidez de ne pas parler de la soirée. 
Le camion qui va vous emmener à Marrakech ou plus loin encore, arrive au loin. Vous montez tous dans le véhicule déjà bondé. Des hommes sont même sur le toit. Le chauffeur demande à chacun d’entre vous de payer. Quand vous avez donné votre argent, vous vous installez au fond du camion, là où il fait trop chaud et où il reste un peu de place. Le camion roule. Les passagers sont somnolents mais aux aguets. Chacun voudrait fouiller les affaires de son voisin à la recherche d’argent pour payer la poursuite voyage. Le camion roule. Plusieurs heures après le départ, dans la nuit, le chauffeur s’arrête, coupe le moteur et demande à chaque passager une nouvelle somme. Comme vous n’avez plus assez d’argent, il vous demande de sortir. Inutile de discuter. Quand vous êtes tous sortis, la portière claque et le camion redémarre. Vous êtes aux portes d’une ville.

Histoire 01

« La vie est un songe »

Comme ils vivent tous la même chose, traversent la même galère, ils sont tous épuisés. Certains le sont plus que d’autres. Ils ne s’attendaient pas à ce que leur « voyage » soit si rude, si éprouvant, si déroutant – naïveté ou beauté de l’adolescence ?
On remarque que le voyage a duré pas mal de temps, les cheveux ont poussés, les vêtements sont parfois troués. Yaguine et Fodé ne font pas exception, eux aussi sont fatigués, épuisés, ils manquent de force mais ils essaient malgré tout de redonner l’Espoir au groupe, ils essaient de les motiver car ils en sont sûrs : la fin du voyage est proche, ils touchent au but.
Esther, elle, n’en peut plus.. sa routine, sa famille lui manquent... les bons plats de sa mère, son fameux couscous... semoule grains moyens, courgettes fondantes mijotées dans un délicieux bouillon de tomates, l’odeur du ras-el-hanout... la chaleur d’un bon repas rempli d’amour... son père... son père lui manque tant. Ibra, lui, c’est tout le contraire ! Il tient le coup, a toujours des pensées positives. Même épuisé, il va de l’avant car l’espoir le motive, l’espoir d’un avenir meilleur, l’espoir de pouvoir à nouveau rêver...
Tous se regardent du fond de l’âme et se redonnent espoir : l’Espoir est contagieux.

Nous rêvons d’un voyage
Pour chercher d’autres âmes
Nous rêvons d’un paysage
Pour éviter les rames

Nous rêvons d’une utopie
Pour oublier nos soucis
Nous rêvons de grandir
Afin d’avoir le sourire

Nous rêvons de naissance
Autant que d’adolescence
Nous rêvons de nous en aller plus loin que l’horizon
Pour nous sentir libre comme un faucon

* * * * * *

Marrakech, place Jemaa el- Fna … beaucoup de monde, des petits marchands vendant souvenirs et chapeaux de paille. Place toujours bondée quelque soit l’heure, c’est une fourmilière. On entend les bruits des passants, des motos, des singes, la musique des charmeurs de serpents. Quelle belle agitation !
Nous entendons aussi l’appel à la prière qui provient d’une très grande et belle mosquée : la Koutoubia, à l’ouest de la Medina. Nous constatons que cette place est toujours illuminée tels des éclats de bijoux brillants. Nous déambulons dans les ruelles du souks, on dirait de vrais touristes, insouciants... Des odeurs appétissantes nous traversent les narines. Ce sont les épices du Maroc.
Les ruelles étroites de la Medina filtrent le soleil et on entend des voix hurler des prix, on voit des bras vous tendre toutes sortes d’objets – la Vie.

Les compagnons d’infortune déambulent dans les Souks de la Médina à la recherche de renseignements, d’un contact qui pourraient les aider à reprendre leur route. Sans espoir, découragés, déprimés les jeunes gens s’adressent au vieux vendeur de toile de soie. : - « Nous sommes à la recherche d’un passeur qui pourrait nous faire quitter la ville »
- « Je connais bien un passeur » répond le commerçant M. Ali.- « C’est le plus expérimenté, un ami à moi - Abdela … Je vais voir comment vous mettre en lien avec lui, j’ai entendu parler de vous, jeunes compagnons ». M. Ali, ajoute, avant de prendre congé de nos camarades, qu’il les préviendra de l’arrivée de son ami en ville.

A la nuit tombée, un Imam voyant les compagnons vagabonder dans les rues de la Medina leur propose l’hospitalité. Un délicieux repas les attende spécialement préparé par les femmes du quartier... Ce repas réchauffe les cœurs endoloris tout comme la prière dite avant le repas …

Les semaines passent, les jeunes gens ont réussi à se faire un peu d’argent grâce à l’imam qui leur a trouvé des petites missions dans le bâtiment et des travaux de couture. Ils ont pu dormir dans une petite salle, au fond de la mosquée du généreux homme pieux. C’est dans ce semblant de quotidien que la destinée de nos compagnons va prendre un nouveau tournant : M. Ali, devenu un ami depuis, les informe de l’arrivée d’Abdela le soir même, à la nuit tombée. Il faut faire vite, les compagnons d’infortune réunissent leurs misérables affaires et se préparent à partir.

Nous rêvons d’être heureux
et d’oublier les envieux
Nous rêvons de bonheur et de joie
Et d’avoir simplement le choix
Nous rêvons d’amour et de cadeaux
Comme d’alentours et d’eau

Nous rêvons d’être un nuage
Pour survoler tous les rivages
Nous rêvons d’égalité, d’humanité
de sérénité, de fraternité

* * * * * *

Les portes de la ville s’estompent, s’estompent au fil des traces... Le sable s’étend à nouveau à perte de vue. Nous avons quitté Marrakech depuis au moins cinq jours direction Tanger. Nous espérons qu’à partir de ce point, nous pourrons rejoindre l’Espagne par bateau. Le départ que nous prenons en direction de l’Europe est pour nous une chance de ne pas rater une opportunité de réussir.
Fodé se dispute souvent avec Ibra, la fatigue prend le dessus. On s’inquiète de notre situation. Comment allons nous arriver à Tanger ? Qu’allons nous faire en Espagne ? si nous parvenons jusque là.

Nous rêvons. Ils rêvent. Elles rêvent. Nous imaginons comment la vie- non- notre vie peut prendre un nouveau tournant. Quelque fois, l’espace d’un instant, nous nous remémorons le poème du vieux passeur, il nous le récitait « pour le moral » comme il disait.

Histoire 01
Collège Jean Moulin

4/ La nueva vida !

Nos compagnons d’infortune, seuls et démunis, perdus au beau milieu de la campagne espagnole marchent dans l’espoir de trouver un jour la ville qui les fait tant rêver : Madrid. Mais comment y arriver alors que nous ne savons pas où nous sommes ? Après quelques heures de stop une âme charitable vint nous aider.
C’est un jeune homme rentrant de vacances. Nous lui demandons son chemin et découvrons que le voyageur va lui aussi à Madrid et nous propose de monter avec lui pour les quelques heures qui nous séparent de notre destination. Nous remercions l’homme de nous avoir amener là où commence notre nouvelle vie. En plein centre de Madrid, nous nous séparons car il nous faut trouver un emploi.
Nous finissons par en trouver un dans un café, le bar le plus populaire de la ville, c’est au black bien sûr. Après de longues journées épuisantes, à servir et à ranger, nous avons eu l’opportunité de chanter. Le barman nous surprend et nous applaudit. Un soir, le barman propose à Yaguine et Fodé de chanter sur la scène du bar. Tout le monde les regarde, la musique s’arrête et le public se met à applaudir. Chaque soir, leurs chansons résonnent dans la salle. Chaque soir, de plus en plus de gens viennent les acclamer. Peu à peu, grâce à la musique de Yaguine et Fodé, le café refuse du monde tant on vient de tout Madrid pour écouter nos deux amis.
La date du festival approchant, notre envie d’y aller grandissante et nos économies rassemblées nous décidons de nous y rendre. C’est le plus grand festival d’Espagne, tous les grands producteurs seront présents. Ils ne doivent pas rater leur chance. Après plusieurs jours d’appréhension, c’est le jour J. Ils se fraient un chemin parmi la foule. Un vigile les arrête : « Attendez ! Ne bougez pas ! ». Le stress monte. Soudain un homme arrive : « Je les connais, laissez les ». Puis il se présente : Pedro, régisseur technique, et habitué du bar. Il les emmène en coulisse et les charge de l’entrée des artistes. Les deux amis sont impressionnés par la grandeur des coulisses et de la scène. Une vague de stress les envahit bien qu’ils aient hâte de monter sur scène.
Seulement, dix minutes avant le concert, un accident se produit : le chanteur se fracture la cheville. Après désarroi et réflexion, Yaguine et Fodé prennent alors la décision de monter sur scène, à la surprise générale. Le temps que les vigiles arrivent pour les faire sortir, ils commencent à chanter. Le public, réticent les premières minutes à la vue de ces inconnus, se laisse conquérir par leurs textes touchants et leurs puissantes voix. La chanson s’arrête. Silence dans l’assemblée. Soudain, un tonnerre d’applaudissement qui restera à jamais dans les mémoires.
La foule est émerveillée, touchée au cœur par les paroles. Chose que Yaguine et Fodé ne savaient pas, leur prestation a été retransmise. Des lives TikTok, Instagram, propagent le morceau à travers le monde. En quelques jours seulement, les vidéos passent les millions de vues et tout s’emballe. Des gens s’arrêtent devant le café où ils travaillent. On les reconnaît dans la rue, on leur propose sponsor, gloire et fortune et il raconte leur histoire. Cette histoire incroyable que leur chanson a bâtie, ils se rappelleront toujours de cette chanson.

Histoire 01

5/ Titre du chapitre

Histoire 01
Marc Alexandre OHO BAMBE

1/ Aux portes du désert marocain.

« Qui veut renoncer ? » gronde le passeur, en se retournant vers les gamins tremblants mais déterminés. La nuit tombe doucement doucement sur leurs pieds qui ont déjà tant marché. Personne ne répond. Renoncer ? il n’en est pas question. Pas après tous les risques encourus, tous les sacrifices consentis, les souffrances endurées. Renoncer ? C’est impossible pour ces jeunes gens aux regards hagards, en quête d’azur, ces jeunes gens prêts à tout pour une vie meilleure. La vie est soleil devant ! se répète Yaguine au fond de lui. La vie est soleil devant ! c’est son mot d’ordre, pour avancer, toujours avancer, sans se retourner, ni dévier de la route de ses rêves. Rêves qu’il trace, à l’encre de sa plume révoltée. Et c’est sur cette route, que Yaguine rencontre Fodé.
Ils ont le même âge. Et la même passion pour les mots et la musique. Le Rap qui les lie, les libère aussi. Très vite entre eux, c’est l’évidence de l’amitié, fraternité d’âmes déracinées. Très vite, des textes naissent, écrits à quatre mains.

Sur la route. Yaguine, Fodé et d’autres compagnons d’infortune, Isma, Ibra, Luc, Estelle, Félicité et vous. Face à une mer de sable qui s’étend à l’infini, et à cette conscience si humaine, que la douleur s’allège, quand on la partage. Bonjour mon frère, bonjour ma sœur, comment va ta douleur… ?

Histoire 01
Collège Laurent Mourguet

2/ Et toi, pourquoi tu pars ?

Bonjour mon frère, bonjour ma sœur, comment va ta douleur… ?
Voilà ce que Yaguine chantonne et reprend en boucle. Le groupe a décidé de s’arrêter près d’une piste. Vous attendez le passage d’un camion qui vous conduira plus au Nord jusqu’à ce que vous n’ayez plus l’argent pour continuer, épuisés déjà mais pleins d’espérance. Vous voilà à l’entrée du désert, sur la longue route vers Ceuta. Fodé sort de son sac une poignée de dattes et une kora. La nuit commence à tomber, Félicité s’enveloppe d’une couverture rouge et comme si elle chuchotait pour elle-même vous raconte son départ :
« ... mon père me sort de ma couchette et me dit de partir. Ma mère est malade depuis quelques semaines. Son état s’aggrave. La veille mon père avait donc proposé que je parte en Europe pour trouver des soins capables de la guérir. Il m’a indiqué le chemin avec une carte à moitié déchirée qu’il me donne. Je suis donc partie après avoir rassemblé mes affaires... »
Sa voix est lasse, vous l’entendez à peine.
« j’ai quitté le Mali... après la frontière, j’ai rencontré Luc et Estelle. »
Bonjour mon frère, bonjour ma sœur, comment va ta douleur… ?
« La guerre a éclaté et nous avons dû quitter le village en laissant nos familles qui ne voulaient pas quitter leur domicile. Au début du voyage nous n’avions pas assez de quoi nous nourrir, heureusement nous avons trouvé un petit marchand qui, contre quelques pièces, nous a donné de quoi manger et de l’eau. On a traversé le Mali sans problème et nous avons aperçu Félicité que nous avons rejointe. »
« Est-ce-que vous aviez déjà pensé à partir en Europe ? »
Bonjour mon frère, bonjour ma sœur, comment va ta douleur… ?
Estelle est déjà partie en Europe. Son père voulait la marier de force avec un homme riche et elle préférait faire ses études et se marier plus tard avec quelqu’un qu’elle aimerait. Elle a fui. Son expérience a été douloureuse. En arrivant en France, elle a trouvé un métier de femme de ménage non déclaré pour payer sa part de loyer aux personnes qui l’hébergeaient mais après des mois de travail acharné, tous ceux qui vivaient dans ces logements ont été expulsés car ils n’arrivaient plus à payer. Ceux qui ont pu être logés chez des proches ont disparu. Elle ne les a plus jamais revus. Estelle s’est retrouvée dans la rue. La police l’a surprise. L’a reconduite au pays. La honte. La rage. Elle repart plus déterminée à avoir une nouvelle vie.

Fodé range soigneusement la kora. Il serre les poings. Yaguine murmure
Bonjour mon frère, bonjour ma sœur, comment va ta douleur… ?
Isma est né dans une famille très pauvre. Il ne dit pas de quel pays ni de quel village. La sécheresse a ravagé les champs et puis l’invasion des criquets a ruiné les dernières récoltes. Il n’a prévenu personne. Un matin, il est parti.

Quand ses parents sont décédés dans un incendie criminel, Ibra s’est fait chasser de son village. Il n’en dit pas davantage.
Fodé qui tient un journal de bord sur le voyage qui se déroule écrit tout cela.
Yaguine fredonne un air que Fodé reconnaît immédiatement et qu’il commence à chanter :
« Que mon père a contribué à me lier avec la rue
J’ai eu l’illusion de trouver mieux, j’ai vu
Ce qu’un gamin de quatorze ans, avec le décalage de l’âge
Peut entrevoir, c’était comme un mirage... »
Yaguine et Fodé se regardent en souriant. Isma étonné par leur performance s’exclame :
« Vous êtes forts ! »
Yaguine et Fodé se connaissent déjà depuis bien longtemps.
Fodé rit :
« Yaguine et moi avons quitté notre village pour réaliser notre rêve, devenir rappeurs en Europe . Depuis toujours nous adorons le rap ! »
Quant à vous, vous restez discret et décidez de ne pas parler de la soirée. 
Le camion qui va vous emmener à Marrakech ou plus loin encore, arrive au loin. Vous montez tous dans le véhicule déjà bondé. Des hommes sont même sur le toit. Le chauffeur demande à chacun d’entre vous de payer. Quand vous avez donné votre argent, vous vous installez au fond du camion, là où il fait trop chaud et où il reste un peu de place. Le camion roule. Les passagers sont somnolents mais aux aguets. Chacun voudrait fouiller les affaires de son voisin à la recherche d’argent pour payer la poursuite voyage. Le camion roule. Plusieurs heures après le départ, dans la nuit, le chauffeur s’arrête, coupe le moteur et demande à chaque passager une nouvelle somme. Comme vous n’avez plus assez d’argent, il vous demande de sortir. Inutile de discuter. Quand vous êtes tous sortis, la portière claque et le camion redémarre. Vous êtes aux portes d’une ville.

Histoire 01

« La vie est un songe »

Comme ils vivent tous la même chose, traversent la même galère, ils sont tous épuisés. Certains le sont plus que d’autres. Ils ne s’attendaient pas à ce que leur « voyage » soit si rude, si éprouvant, si déroutant – naïveté ou beauté de l’adolescence ?
On remarque que le voyage a duré pas mal de temps, les cheveux ont poussés, les vêtements sont parfois troués. Yaguine et Fodé ne font pas exception, eux aussi sont fatigués, épuisés, ils manquent de force mais ils essaient malgré tout de redonner l’Espoir au groupe, ils essaient de les motiver car ils en sont sûrs : la fin du voyage est proche, ils touchent au but.
Esther, elle, n’en peut plus.. sa routine, sa famille lui manquent... les bons plats de sa mère, son fameux couscous... semoule grains moyens, courgettes fondantes mijotées dans un délicieux bouillon de tomates, l’odeur du ras-el-hanout... la chaleur d’un bon repas rempli d’amour... son père... son père lui manque tant. Ibra, lui, c’est tout le contraire ! Il tient le coup, a toujours des pensées positives. Même épuisé, il va de l’avant car l’espoir le motive, l’espoir d’un avenir meilleur, l’espoir de pouvoir à nouveau rêver...
Tous se regardent du fond de l’âme et se redonnent espoir : l’Espoir est contagieux.

Nous rêvons d’un voyage
Pour chercher d’autres âmes
Nous rêvons d’un paysage
Pour éviter les rames

Nous rêvons d’une utopie
Pour oublier nos soucis
Nous rêvons de grandir
Afin d’avoir le sourire

Nous rêvons de naissance
Autant que d’adolescence
Nous rêvons de nous en aller plus loin que l’horizon
Pour nous sentir libre comme un faucon

* * * * * *

Marrakech, place Jemaa el- Fna … beaucoup de monde, des petits marchands vendant souvenirs et chapeaux de paille. Place toujours bondée quelque soit l’heure, c’est une fourmilière. On entend les bruits des passants, des motos, des singes, la musique des charmeurs de serpents. Quelle belle agitation !
Nous entendons aussi l’appel à la prière qui provient d’une très grande et belle mosquée : la Koutoubia, à l’ouest de la Medina. Nous constatons que cette place est toujours illuminée tels des éclats de bijoux brillants. Nous déambulons dans les ruelles du souks, on dirait de vrais touristes, insouciants... Des odeurs appétissantes nous traversent les narines. Ce sont les épices du Maroc.
Les ruelles étroites de la Medina filtrent le soleil et on entend des voix hurler des prix, on voit des bras vous tendre toutes sortes d’objets – la Vie.

Les compagnons d’infortune déambulent dans les Souks de la Médina à la recherche de renseignements, d’un contact qui pourraient les aider à reprendre leur route. Sans espoir, découragés, déprimés les jeunes gens s’adressent au vieux vendeur de toile de soie. : - « Nous sommes à la recherche d’un passeur qui pourrait nous faire quitter la ville »
- « Je connais bien un passeur » répond le commerçant M. Ali.- « C’est le plus expérimenté, un ami à moi - Abdela … Je vais voir comment vous mettre en lien avec lui, j’ai entendu parler de vous, jeunes compagnons ». M. Ali, ajoute, avant de prendre congé de nos camarades, qu’il les préviendra de l’arrivée de son ami en ville.

A la nuit tombée, un Imam voyant les compagnons vagabonder dans les rues de la Medina leur propose l’hospitalité. Un délicieux repas les attende spécialement préparé par les femmes du quartier... Ce repas réchauffe les cœurs endoloris tout comme la prière dite avant le repas …

Les semaines passent, les jeunes gens ont réussi à se faire un peu d’argent grâce à l’imam qui leur a trouvé des petites missions dans le bâtiment et des travaux de couture. Ils ont pu dormir dans une petite salle, au fond de la mosquée du généreux homme pieux. C’est dans ce semblant de quotidien que la destinée de nos compagnons va prendre un nouveau tournant : M. Ali, devenu un ami depuis, les informe de l’arrivée d’Abdela le soir même, à la nuit tombée. Il faut faire vite, les compagnons d’infortune réunissent leurs misérables affaires et se préparent à partir.

Nous rêvons d’être heureux
et d’oublier les envieux
Nous rêvons de bonheur et de joie
Et d’avoir simplement le choix
Nous rêvons d’amour et de cadeaux
Comme d’alentours et d’eau

Nous rêvons d’être un nuage
Pour survoler tous les rivages
Nous rêvons d’égalité, d’humanité
de sérénité, de fraternité

* * * * * *

Les portes de la ville s’estompent, s’estompent au fil des traces... Le sable s’étend à nouveau à perte de vue. Nous avons quitté Marrakech depuis au moins cinq jours direction Tanger. Nous espérons qu’à partir de ce point, nous pourrons rejoindre l’Espagne par bateau. Le départ que nous prenons en direction de l’Europe est pour nous une chance de ne pas rater une opportunité de réussir.
Fodé se dispute souvent avec Ibra, la fatigue prend le dessus. On s’inquiète de notre situation. Comment allons nous arriver à Tanger ? Qu’allons nous faire en Espagne ? si nous parvenons jusque là.

Nous rêvons. Ils rêvent. Elles rêvent. Nous imaginons comment la vie- non- notre vie peut prendre un nouveau tournant. Quelque fois, l’espace d’un instant, nous nous remémorons le poème du vieux passeur, il nous le récitait « pour le moral » comme il disait.

Histoire 01
Collège Jean Moulin

4/ La nueva vida !

Nos compagnons d’infortune, seuls et démunis, perdus au beau milieu de la campagne espagnole marchent dans l’espoir de trouver un jour la ville qui les fait tant rêver : Madrid. Mais comment y arriver alors que nous ne savons pas où nous sommes ? Après quelques heures de stop une âme charitable vint nous aider.
C’est un jeune homme rentrant de vacances. Nous lui demandons son chemin et découvrons que le voyageur va lui aussi à Madrid et nous propose de monter avec lui pour les quelques heures qui nous séparent de notre destination. Nous remercions l’homme de nous avoir amener là où commence notre nouvelle vie. En plein centre de Madrid, nous nous séparons car il nous faut trouver un emploi.
Nous finissons par en trouver un dans un café, le bar le plus populaire de la ville, c’est au black bien sûr. Après de longues journées épuisantes, à servir et à ranger, nous avons eu l’opportunité de chanter. Le barman nous surprend et nous applaudit. Un soir, le barman propose à Yaguine et Fodé de chanter sur la scène du bar. Tout le monde les regarde, la musique s’arrête et le public se met à applaudir. Chaque soir, leurs chansons résonnent dans la salle. Chaque soir, de plus en plus de gens viennent les acclamer. Peu à peu, grâce à la musique de Yaguine et Fodé, le café refuse du monde tant on vient de tout Madrid pour écouter nos deux amis.
La date du festival approchant, notre envie d’y aller grandissante et nos économies rassemblées nous décidons de nous y rendre. C’est le plus grand festival d’Espagne, tous les grands producteurs seront présents. Ils ne doivent pas rater leur chance. Après plusieurs jours d’appréhension, c’est le jour J. Ils se fraient un chemin parmi la foule. Un vigile les arrête : « Attendez ! Ne bougez pas ! ». Le stress monte. Soudain un homme arrive : « Je les connais, laissez les ». Puis il se présente : Pedro, régisseur technique, et habitué du bar. Il les emmène en coulisse et les charge de l’entrée des artistes. Les deux amis sont impressionnés par la grandeur des coulisses et de la scène. Une vague de stress les envahit bien qu’ils aient hâte de monter sur scène.
Seulement, dix minutes avant le concert, un accident se produit : le chanteur se fracture la cheville. Après désarroi et réflexion, Yaguine et Fodé prennent alors la décision de monter sur scène, à la surprise générale. Le temps que les vigiles arrivent pour les faire sortir, ils commencent à chanter. Le public, réticent les premières minutes à la vue de ces inconnus, se laisse conquérir par leurs textes touchants et leurs puissantes voix. La chanson s’arrête. Silence dans l’assemblée. Soudain, un tonnerre d’applaudissement qui restera à jamais dans les mémoires.
La foule est émerveillée, touchée au cœur par les paroles. Chose que Yaguine et Fodé ne savaient pas, leur prestation a été retransmise. Des lives TikTok, Instagram, propagent le morceau à travers le monde. En quelques jours seulement, les vidéos passent les millions de vues et tout s’emballe. Des gens s’arrêtent devant le café où ils travaillent. On les reconnaît dans la rue, on leur propose sponsor, gloire et fortune et il raconte leur histoire. Cette histoire incroyable que leur chanson a bâtie, ils se rappelleront toujours de cette chanson.

Histoire 01

5/ Titre du chapitre