Histoire 03

Prologue

Adam Thobias s’est assis à sa table en bois, dans son appartement du centre de Bruxelles. Il a regardé la jolie petite place, avec ses deux lampadaires et sa fontaine, puis il s’est remis au travail.
Tout est presque prêt. Dans une semaine, la grande expédition partira.
C’est le cœur de son opération Télémaque, qu’il a présentée il y a quelques jours à tous les membres de la Commission sur le Changement Climatique dont il a pris la tête en février dernier. L’expédition sera formée de spécialistes de toutes sortes et de tous âges, botanistes, géographes, artistes, naturalistes, zoologistes, géologues. 50 personnes en tout pour un voyage de deux mois et plusieurs missions – dont une principale, qu’Adam Thobias a appelée « L’Île mystérieuse », parce qu’il a toujours bien aimé Jules Verne.
Toute cette fine équipe va embarquer sur un bateau, Le Tribord, et s’élancer, depuis Rotterdam, vers les mers et les terres du monde entier.
Adam sifflote et se sert une nouvelle tasse de café. Tout se présente plutôt bien.
Il reprend sa conversation en ligne avec Salomé et Kamel.
- C’est une grande aventure qui vous attend, écrit Adam. Et comme toutes les grandes aventures, elle a besoin d’être écrite, elle a besoin de reporters, d’écrivains, de poètes, de musiciens : vous.
Kamel et Salomé, à 260 kilomètres de là, se tournent l’un vers l’autre. Cet homme est fou.
Tout a commencé il y a quelques jours, lorsqu’ils ont reçu un étrange message. Ils l’ont lu plusieurs fois. J’ai rien compris, dit Kamel. Moi non plus, dit Salomé. Ils se sont remis à leur nouvelle chanson, ils avaient du boulot.
Depuis un an, avec deux autres amis, ils ont monté un groupe de hip-hop. Ils adorent ça. Ils sont tous à la fac, ils jonglent entre les petits boulots, les études et la musique, c’est un peu le bordel, mais c’est un bordel créatif et joyeux.
Kamel vit à Belleville, Paris, Salomé juste à côté à Ménilmontant, ils se retrouvent chez Adrien et Carlota, à Oberkampf, ils jouent, et ils suent, et ils chantent.
Deux jours plus tard, ils reçoivent un appel sur WhatsApp. La voix grave d’Adam Thobias s’élève.
- On sait toujours pas trop… commence Salomé.
- Ecoutez, c’est une opportunité historique, l’interrompt Adam. Cette expédition a une grande mission que vous serez chargés de raconter. Parce que voilà le grand défi, derrière toute cette opération : raconter autrement le monde. Pour créer ce nouveau monde que nous espérons, il nous faut non seulement l’inventer, le façonner, mais aussi le dire et le raconter différemment. Et pour cela il faudra tenter plein de choses, d’autres manières, d’autres voix. On a besoin de nouvelles histoires. Je vais vous donner des pistes, mais ensuite ce sera à vous de décider comment vous allez raconter ce que vous verrez : vous pouvez écrire et chanter une chanson, écrire en rebus, faire une bande dessinée, des vidéos… Tout est permis ! Une seule contrainte : chaque étape de l’histoire, vous la raconterez différemment.
Salomé et Kamel roulent de grands yeux.
- Oui mais c’est-à-dire qu’on a des trucs à faire en ce moment.
- Voilà le trajet que suivra le bateau, poursuit Adam décidément infatigable – en fait c’est plutôt une ville flottante, une nouvelle manière de vivre sur l’eau, mais vous verrez ça. Vous partirez plein sud-ouest, traverserez l’Atlantique. Sur la route, les spécialistes procèderont à de nombreux relevés. Une fois passé le cap Horn, vous vous arrêterez sur la côte chilienne.
- Pour ?
- Faire monter des tortues à bord.
- Ok, pourquoi pas, dit Kamel. Et ensuite ?
- Ensuite, vous repartirez plein nord. C’est un bateau puissant, en quelques jours vous arriverez sur une île, en plein océan Pacifique. C’est un lieu incroyable.
- Vous êtes un as du teasing, dit Salomé.
- En deux mots, et gardez-le pour vous, c’est confidentiel : des chercheurs ont recueilli des espèces animales en voie d’extinction, un peu partout sur la planète, et les ont réunies là. C’est une espèce d’énorme sanctuaire, mais c’est aussi plus que ça. L’idée, c’est 1/de les protéger, puisque, comme vous le savez, elles sont en danger, et 2/ de les laisser repartir aux quatre coins de la planète, pour repeupler les zones sauvages.
- Waou, c’est génial ! Et qu’est-ce qu’on va faire nous là-bas ?
- Cette expédition a plein d’objectifs : amener de nouvelles espèces, s’occuper de celles qui sont déjà là (tigres, gorilles, rhinocéros, éléphants, pandas, entre autres) et les aider à se développer, organiser ces nouveaux écosystèmes. Mais je ne vous en dis pas plus, vous verrez bien sur place !
- Et pourquoi nous ?
- Parce que j’ai écouté vos chansons, et qu’on a besoin de gens comme vous. Allez, il est temps de se préparer. Bon voyage les amis !
Et Adam appuie déjà sur le bouton rouge. Le téléphone redevient noir.
Salomé et Kamel se regardent… Ils ne savent pas dans quoi ils se sont embarqués, mais c’est quand même drôlement excitant.

Histoire 03
Marc Alexandre OHO BAMBE

1/ Aux portes du désert marocain.

« Qui veut renoncer ? » gronde le passeur, en se retournant vers les gamins tremblants mais déterminés. La nuit tombe doucement doucement sur leurs pieds qui ont déjà tant marché. Personne ne répond. Renoncer ? il n’en est pas question. Pas après tous les risques encourus, tous les sacrifices consentis, les souffrances endurées. Renoncer ? C’est impossible pour ces jeunes gens aux regards hagards, en quête d’azur, ces jeunes gens prêts à tout pour une vie meilleure. La vie est soleil devant ! se répète Yaguine au fond de lui. La vie est soleil devant ! c’est son mot d’ordre, pour avancer, toujours avancer, sans se retourner, ni dévier de la route de ses rêves. Rêves qu’il trace, à l’encre de sa plume révoltée. Et c’est sur cette route, que Yaguine rencontre Fodé.
Ils ont le même âge. Et la même passion pour les mots et la musique. Le Rap qui les lie, les libère aussi. Très vite entre eux, c’est l’évidence de l’amitié, fraternité d’âmes déracinées. Très vite, des textes naissent, écrits à quatre mains.

Sur la route. Yaguine, Fodé et d’autres compagnons d’infortune, Isma, Ibra, Luc, Estelle, Félicité et vous.
Face à une mer de sable qui s’étend à l’infini, et à cette conscience si humaine, que la douleur s’allège, quand on la partage.

Bonjour mon frère, bonjour ma sœur, comment va ta douleur… ?

Histoire 03
Collège Laurent Mourguet

2/ L’exil est une espèce de longue insomnie

La petite bande est variée, les personnes qui y figurent sont liées comme une famille et se connaissent parfaitement, vous aussi vous les connaissez bien maintenant. À chaque pas, les pieds s’enfoncent un peu plus dans le sable. Une seule motivation : l’espoir d’une nouvelle vie, une vie meilleure en Europe. Même si chacun parle peu, la culpabilité, la tristesse, l’anxiété sont dans chaque mot. Quitter son pays est une douleur. Yaguine ressasse inlassablement ce qu’il a enduré.
C’était l’après-midi, la chaleur était écrasante après le passage de la frontière. Assoiffé, il savait que s’il ne trouvait pas vite de l’eau, il mourrait. Au moment où il perdait connaissance, il avait cru apercevoir des silhouettes s’avancer vers lui, sûr qu’il s’agissait des militaires. C’étaient ceux qui sont devenus ses compagnons.

La petite bande marche dans le désert infini du Maroc. La nuit tombe ; le groupe décide de trouver un endroit pour passer la nuit. Les adolescents dorment à même le sol, serrés pour se protéger du froid. Yaguine observe, à l’affût du moindre bruit ou mouvement suspect. Il pense au jour où il les a rencontrés. Chacun s’était présenté. Ibra a quitté le Mali et Isma vient du Sénégal, Félicité du Congo. Luc et Estelle sont frère et sœur. Il ne sait pas d’où ils viennent.

« Ma mère est malade, elle a besoin d’argent pour se soigner. Mon père est mort, avait commencé Isma. J’ai quitté mon foyer pour trouver un travail. Je vais en France. Et toi Ibra ?
- Je vais jusqu’en Espagne pour réaliser mon rêve qui est de devenir joueur de football
professionnel, avait continué Ibra. Et pour y arriver, je vais essayer de trouver un club. Je vais rejoindre un cousin. Il travaille dans les champs, en Andalousie. Il m’aidera.

Yaguine se met à murmurer des paroles :
L’exil est une espèce de longue insomnie,
J’y ai laissé ma famille et mon pays,
Ô ma douleur,

Je suis parti tel un voleur,
En mon cœur sommeillait la peur,
De pleur en pleur elle prenait de l’ampleur…

Des voix l’incitent à continuer lorsque Fodé se met à l’accompagner :

Elle grandissait en moi telle une épidémie,
Que des souvenirs de mes vieux amis,
Ô ma nostalgie…

Un sanglot brise sa voix, il avance en titubant, les yeux clos. La nuit s’empare de vous.

Alors que l’aube se lève, la petite bande prépare l’itinéraire pour la journée. Ils sont tous là, Yaguine, Fodé, Isma, Ibra, Luc, Estelle, Félicité, vous... tous différents mais tous avec un petit bagage à la main ou sur le dos. Un grand frère a déjà contacté un passeur depuis le village, Ibra l’affirme. Tous décident de lui faire confiance malgré leurs doutes et leurs craintes. Vous avez déjà entendu parler de personnes qui ont perdu des dizaines de milliers de dirhams. Il ne vous reste donc qu’à espérer que le grand frère ne s’est pas trompé. Chacun suit aveuglément Ibra en écoutant Yaguine et Fodé rapper pour se donner du courage. Le chemin est long, et vous n’avez pas la moindre idée d’où vous êtes. Combien d’heures de marche ? Combien d’arrêts ? La petite bande arrive à la tombée de la nuit près d’une piste, là où Ibra les guidait. Chacun somnole, dans l’attente. Bientôt s’arrête pour quelques heures un énorme camion rempli de passagers, sans doute d’autres migrants, de tous les âges : des enfants, des adolescents, des adultes, des personnes plus âgées et même des nourrissons. Le chauffeur descend et s’avance vers la petite troupe d’un air las montrant le camion surchargé.

« Il ne nous reste que trois places, dit-il. Soit trois d’entre vous partent demain, soit vous attendez le prochain qui passe dans quelques jours. »

Les adolescents se consultent du regard : c’est une opportunité à ne pas perdre, même s’ils doivent se séparer.

Évidemment, tout le monde est envieux de la place, mais personne n’ose se proposer. Le frère et la sœur ont sorti prudemment de sous leurs vêtements l’argent du trajet.

« Dans ce cas, Luc et Estelle partiront les premiers. Mais qui sera le troisième ? »
Finalement, tous s’accordent pour que Félicité les rejoigne. Vous regardez le camion s’éloigner sous le levant du soleil, avec lui vos trois amis que vous ne reverrez peut-être plus jamais.

La Mort, joliment vêtue d’une cape fleurie, les suit, assise sur le dos d’un magnifique oiseau bleu.
Compagne discrète, elle veille... Yaguine, Fodé, Isma, Ibra attendez tous ensemble, courbés par la fatigue et la tristesse. Et soudain, dans votre rêve, vous apercevez la mer... Tous vous vous précipitez pour monter dans une barque bien fragile qui ne pourra supporter tout ce poids et finira par craquer. La Mort attend le bon moment...

Histoire 03
Marc Alexandre OHO BAMBE

3/ Traverser

Fodé range son carnet après avoir partagé avec Yaguine, ces mots qui ont surgi :

Des notes

Dans le ciel

De la musique

Dans le vent

Un poème

Dans le ventre

Pour combler

Le vide

Et l’absence

De sens

Ensemencer

Le jour

Recommencer

L’amour

(R)allumer

Les étoiles

La joie inaliénable

Les rêves

Et les boucans d’espérance

Traverser

La vie

...

- C’est magnifique mon frère

- I ni ce mon frère

Les deux garçons poussent un grand rire aux éclats de vivre.

Exténués de fatigue, ils décident ensuite d’aller dormir un peu, leur nouvelle chanson en tête.

"Traverser" comme disent celles et ceux qui se jettent sur la route, n’est pas facile.

Tout ne tient qu’à un fil souvent, et pourtant des femmes et des hommes marchent sur la terre.

Yaguine et Fodé aussi marchent, même quand rien ne marche, ils marchent encore.

Et ils rappent, composent dans la nuit du monde, pour ne pas oublier leurs visages.

Visages pour être aimés. Visages d’enfants du siècle, à la dérive.

Yaguine et Fodé rêvent.

Histoire 03

{{A nos actes rêvés !}}

A nos actes rêvés

Aux portes de leur Paradis, tant espéré, tant rêvé, enfin trouvé, ils contemplent cette nouvelle destinée qui leur tend les bras.

Il y a Yaguine qui rêve de composer des chansons pour Fodé
Il y a Fodé qui rêve de rêver
Il y a là-bas des dérives pour écrire la mélodie
Il y a des marchés à l’odeur épicée
Il y a Yaguine qui rêve de mafé
Il y a des wagons sur la voie de ma vie
Il y a comme un rideau obscurcissant ma destinée.

J’imagine !
J’imagine un monde rempli de solidarité et que tout ça se termine.
Je souhaite !
Je souhaite ça pour moi et mon ami Yaguine.
Je veux !
Je veux que tout ça prenne fin car mon ventre crie la faim.
J’exige !
J’exige qu’ils ne m’oublient jamais et qu’ils gardent toujours en tête mon visage.
Je chante !
Je chante pour m’apaiser, apaiser mon cœur, m’exprimer et me libérer.

J’irai me battre pour vaincre mes peurs
Découvrir un autre paysage, un monde rêveur
J’irai à la recherche d’un univers qui m’offre un paisible avenir
Dans lequel je pourrai fraternellement m’épanouir
J’irai alors dans ce monde émerveillé pour goûter au bonheur de l’éternité
moi Yaguine avec Fodé.

J’invoque ces femmes et ces hommes marchant sur terre
Qui ne se doutent de rien dans cet univers de pierres.
J’invoque Fraternité dans ce monde sans lien
Fil qui nous relie n’est plus qu’un fil qui nous retient.
Je quitte le rêve pour rejoindre Humanité, terre des frères sans frontière.

A nos plus grands rêves souhaités depuis l’âge de la maturité.
A nos douces soirées, nos journées ensoleillées.
J’ai espéré, j’espère, j’espérerais même encore.
Ils rêvent de rêver, ils rêvent de voyager .
« Transformer la boue en or », la tristesse en réconfort.

A nos actes rêvés !

Histoire 03

5/ Titre du chapitre

Histoire 03
Marc Alexandre OHO BAMBE

1/ Aux portes du désert marocain.

« Qui veut renoncer ? » gronde le passeur, en se retournant vers les gamins tremblants mais déterminés. La nuit tombe doucement doucement sur leurs pieds qui ont déjà tant marché. Personne ne répond. Renoncer ? il n’en est pas question. Pas après tous les risques encourus, tous les sacrifices consentis, les souffrances endurées. Renoncer ? C’est impossible pour ces jeunes gens aux regards hagards, en quête d’azur, ces jeunes gens prêts à tout pour une vie meilleure. La vie est soleil devant ! se répète Yaguine au fond de lui. La vie est soleil devant ! c’est son mot d’ordre, pour avancer, toujours avancer, sans se retourner, ni dévier de la route de ses rêves. Rêves qu’il trace, à l’encre de sa plume révoltée. Et c’est sur cette route, que Yaguine rencontre Fodé.
Ils ont le même âge. Et la même passion pour les mots et la musique. Le Rap qui les lie, les libère aussi. Très vite entre eux, c’est l’évidence de l’amitié, fraternité d’âmes déracinées. Très vite, des textes naissent, écrits à quatre mains.

Sur la route. Yaguine, Fodé et d’autres compagnons d’infortune, Isma, Ibra, Luc, Estelle, Félicité et vous.
Face à une mer de sable qui s’étend à l’infini, et à cette conscience si humaine, que la douleur s’allège, quand on la partage.

Bonjour mon frère, bonjour ma sœur, comment va ta douleur… ?

Histoire 03
Collège Laurent Mourguet

2/ L’exil est une espèce de longue insomnie

La petite bande est variée, les personnes qui y figurent sont liées comme une famille et se connaissent parfaitement, vous aussi vous les connaissez bien maintenant. À chaque pas, les pieds s’enfoncent un peu plus dans le sable. Une seule motivation : l’espoir d’une nouvelle vie, une vie meilleure en Europe. Même si chacun parle peu, la culpabilité, la tristesse, l’anxiété sont dans chaque mot. Quitter son pays est une douleur. Yaguine ressasse inlassablement ce qu’il a enduré.
C’était l’après-midi, la chaleur était écrasante après le passage de la frontière. Assoiffé, il savait que s’il ne trouvait pas vite de l’eau, il mourrait. Au moment où il perdait connaissance, il avait cru apercevoir des silhouettes s’avancer vers lui, sûr qu’il s’agissait des militaires. C’étaient ceux qui sont devenus ses compagnons.

La petite bande marche dans le désert infini du Maroc. La nuit tombe ; le groupe décide de trouver un endroit pour passer la nuit. Les adolescents dorment à même le sol, serrés pour se protéger du froid. Yaguine observe, à l’affût du moindre bruit ou mouvement suspect. Il pense au jour où il les a rencontrés. Chacun s’était présenté. Ibra a quitté le Mali et Isma vient du Sénégal, Félicité du Congo. Luc et Estelle sont frère et sœur. Il ne sait pas d’où ils viennent.

« Ma mère est malade, elle a besoin d’argent pour se soigner. Mon père est mort, avait commencé Isma. J’ai quitté mon foyer pour trouver un travail. Je vais en France. Et toi Ibra ?
- Je vais jusqu’en Espagne pour réaliser mon rêve qui est de devenir joueur de football
professionnel, avait continué Ibra. Et pour y arriver, je vais essayer de trouver un club. Je vais rejoindre un cousin. Il travaille dans les champs, en Andalousie. Il m’aidera.

Yaguine se met à murmurer des paroles :
L’exil est une espèce de longue insomnie,
J’y ai laissé ma famille et mon pays,
Ô ma douleur,

Je suis parti tel un voleur,
En mon cœur sommeillait la peur,
De pleur en pleur elle prenait de l’ampleur…

Des voix l’incitent à continuer lorsque Fodé se met à l’accompagner :

Elle grandissait en moi telle une épidémie,
Que des souvenirs de mes vieux amis,
Ô ma nostalgie…

Un sanglot brise sa voix, il avance en titubant, les yeux clos. La nuit s’empare de vous.

Alors que l’aube se lève, la petite bande prépare l’itinéraire pour la journée. Ils sont tous là, Yaguine, Fodé, Isma, Ibra, Luc, Estelle, Félicité, vous... tous différents mais tous avec un petit bagage à la main ou sur le dos. Un grand frère a déjà contacté un passeur depuis le village, Ibra l’affirme. Tous décident de lui faire confiance malgré leurs doutes et leurs craintes. Vous avez déjà entendu parler de personnes qui ont perdu des dizaines de milliers de dirhams. Il ne vous reste donc qu’à espérer que le grand frère ne s’est pas trompé. Chacun suit aveuglément Ibra en écoutant Yaguine et Fodé rapper pour se donner du courage. Le chemin est long, et vous n’avez pas la moindre idée d’où vous êtes. Combien d’heures de marche ? Combien d’arrêts ? La petite bande arrive à la tombée de la nuit près d’une piste, là où Ibra les guidait. Chacun somnole, dans l’attente. Bientôt s’arrête pour quelques heures un énorme camion rempli de passagers, sans doute d’autres migrants, de tous les âges : des enfants, des adolescents, des adultes, des personnes plus âgées et même des nourrissons. Le chauffeur descend et s’avance vers la petite troupe d’un air las montrant le camion surchargé.

« Il ne nous reste que trois places, dit-il. Soit trois d’entre vous partent demain, soit vous attendez le prochain qui passe dans quelques jours. »

Les adolescents se consultent du regard : c’est une opportunité à ne pas perdre, même s’ils doivent se séparer.

Évidemment, tout le monde est envieux de la place, mais personne n’ose se proposer. Le frère et la sœur ont sorti prudemment de sous leurs vêtements l’argent du trajet.

« Dans ce cas, Luc et Estelle partiront les premiers. Mais qui sera le troisième ? »
Finalement, tous s’accordent pour que Félicité les rejoigne. Vous regardez le camion s’éloigner sous le levant du soleil, avec lui vos trois amis que vous ne reverrez peut-être plus jamais.

La Mort, joliment vêtue d’une cape fleurie, les suit, assise sur le dos d’un magnifique oiseau bleu.
Compagne discrète, elle veille... Yaguine, Fodé, Isma, Ibra attendez tous ensemble, courbés par la fatigue et la tristesse. Et soudain, dans votre rêve, vous apercevez la mer... Tous vous vous précipitez pour monter dans une barque bien fragile qui ne pourra supporter tout ce poids et finira par craquer. La Mort attend le bon moment...

Histoire 03
Marc Alexandre OHO BAMBE

3/ Traverser

Fodé range son carnet après avoir partagé avec Yaguine, ces mots qui ont surgi :

Des notes

Dans le ciel

De la musique

Dans le vent

Un poème

Dans le ventre

Pour combler

Le vide

Et l’absence

De sens

Ensemencer

Le jour

Recommencer

L’amour

(R)allumer

Les étoiles

La joie inaliénable

Les rêves

Et les boucans d’espérance

Traverser

La vie

...

- C’est magnifique mon frère

- I ni ce mon frère

Les deux garçons poussent un grand rire aux éclats de vivre.

Exténués de fatigue, ils décident ensuite d’aller dormir un peu, leur nouvelle chanson en tête.

"Traverser" comme disent celles et ceux qui se jettent sur la route, n’est pas facile.

Tout ne tient qu’à un fil souvent, et pourtant des femmes et des hommes marchent sur la terre.

Yaguine et Fodé aussi marchent, même quand rien ne marche, ils marchent encore.

Et ils rappent, composent dans la nuit du monde, pour ne pas oublier leurs visages.

Visages pour être aimés. Visages d’enfants du siècle, à la dérive.

Yaguine et Fodé rêvent.

Histoire 03

{{A nos actes rêvés !}}

A nos actes rêvés

Aux portes de leur Paradis, tant espéré, tant rêvé, enfin trouvé, ils contemplent cette nouvelle destinée qui leur tend les bras.

Il y a Yaguine qui rêve de composer des chansons pour Fodé
Il y a Fodé qui rêve de rêver
Il y a là-bas des dérives pour écrire la mélodie
Il y a des marchés à l’odeur épicée
Il y a Yaguine qui rêve de mafé
Il y a des wagons sur la voie de ma vie
Il y a comme un rideau obscurcissant ma destinée.

J’imagine !
J’imagine un monde rempli de solidarité et que tout ça se termine.
Je souhaite !
Je souhaite ça pour moi et mon ami Yaguine.
Je veux !
Je veux que tout ça prenne fin car mon ventre crie la faim.
J’exige !
J’exige qu’ils ne m’oublient jamais et qu’ils gardent toujours en tête mon visage.
Je chante !
Je chante pour m’apaiser, apaiser mon cœur, m’exprimer et me libérer.

J’irai me battre pour vaincre mes peurs
Découvrir un autre paysage, un monde rêveur
J’irai à la recherche d’un univers qui m’offre un paisible avenir
Dans lequel je pourrai fraternellement m’épanouir
J’irai alors dans ce monde émerveillé pour goûter au bonheur de l’éternité
moi Yaguine avec Fodé.

J’invoque ces femmes et ces hommes marchant sur terre
Qui ne se doutent de rien dans cet univers de pierres.
J’invoque Fraternité dans ce monde sans lien
Fil qui nous relie n’est plus qu’un fil qui nous retient.
Je quitte le rêve pour rejoindre Humanité, terre des frères sans frontière.

A nos plus grands rêves souhaités depuis l’âge de la maturité.
A nos douces soirées, nos journées ensoleillées.
J’ai espéré, j’espère, j’espérerais même encore.
Ils rêvent de rêver, ils rêvent de voyager .
« Transformer la boue en or », la tristesse en réconfort.

A nos actes rêvés !

Histoire 03

5/ Titre du chapitre