Histoire 04

Prologue

Adam Thobias s’est assis à sa table en bois, dans son appartement du centre de Bruxelles. Il a regardé la jolie petite place, avec ses deux lampadaires et sa fontaine, puis il s’est remis au travail.
Tout est presque prêt. Dans une semaine, la grande expédition partira.
C’est le cœur de son opération Télémaque, qu’il a présentée il y a quelques jours à tous les membres de la Commission sur le Changement Climatique dont il a pris la tête en février dernier. L’expédition sera formée de spécialistes de toutes sortes et de tous âges, botanistes, géographes, artistes, naturalistes, zoologistes, géologues. 50 personnes en tout pour un voyage de deux mois et plusieurs missions – dont une principale, qu’Adam Thobias a appelée « L’Île mystérieuse », parce qu’il a toujours bien aimé Jules Verne.
Toute cette fine équipe va embarquer sur un bateau, Le Tribord, et s’élancer, depuis Rotterdam, vers les mers et les terres du monde entier.
Adam sifflote et se sert une nouvelle tasse de café. Tout se présente plutôt bien.
Il reprend sa conversation en ligne avec Salomé et Kamel.
- C’est une grande aventure qui vous attend, écrit Adam. Et comme toutes les grandes aventures, elle a besoin d’être écrite, elle a besoin de reporters, d’écrivains, de poètes, de musiciens : vous.
Kamel et Salomé, à 260 kilomètres de là, se tournent l’un vers l’autre. Cet homme est fou.
Tout a commencé il y a quelques jours, lorsqu’ils ont reçu un étrange message. Ils l’ont lu plusieurs fois. J’ai rien compris, dit Kamel. Moi non plus, dit Salomé. Ils se sont remis à leur nouvelle chanson, ils avaient du boulot.
Depuis un an, avec deux autres amis, ils ont monté un groupe de hip-hop. Ils adorent ça. Ils sont tous à la fac, ils jonglent entre les petits boulots, les études et la musique, c’est un peu le bordel, mais c’est un bordel créatif et joyeux.
Kamel vit à Belleville, Paris, Salomé juste à côté à Ménilmontant, ils se retrouvent chez Adrien et Carlota, à Oberkampf, ils jouent, et ils suent, et ils chantent.
Deux jours plus tard, ils reçoivent un appel sur WhatsApp. La voix grave d’Adam Thobias s’élève.
- On sait toujours pas trop… commence Salomé.
- Ecoutez, c’est une opportunité historique, l’interrompt Adam. Cette expédition a une grande mission que vous serez chargés de raconter. Parce que voilà le grand défi, derrière toute cette opération : raconter autrement le monde. Pour créer ce nouveau monde que nous espérons, il nous faut non seulement l’inventer, le façonner, mais aussi le dire et le raconter différemment. Et pour cela il faudra tenter plein de choses, d’autres manières, d’autres voix. On a besoin de nouvelles histoires. Je vais vous donner des pistes, mais ensuite ce sera à vous de décider comment vous allez raconter ce que vous verrez : vous pouvez écrire et chanter une chanson, écrire en rebus, faire une bande dessinée, des vidéos… Tout est permis ! Une seule contrainte : chaque étape de l’histoire, vous la raconterez différemment.
Salomé et Kamel roulent de grands yeux.
- Oui mais c’est-à-dire qu’on a des trucs à faire en ce moment.
- Voilà le trajet que suivra le bateau, poursuit Adam décidément infatigable – en fait c’est plutôt une ville flottante, une nouvelle manière de vivre sur l’eau, mais vous verrez ça. Vous partirez plein sud-ouest, traverserez l’Atlantique. Sur la route, les spécialistes procèderont à de nombreux relevés. Une fois passé le cap Horn, vous vous arrêterez sur la côte chilienne.
- Pour ?
- Faire monter des tortues à bord.
- Ok, pourquoi pas, dit Kamel. Et ensuite ?
- Ensuite, vous repartirez plein nord. C’est un bateau puissant, en quelques jours vous arriverez sur une île, en plein océan Pacifique. C’est un lieu incroyable.
- Vous êtes un as du teasing, dit Salomé.
- En deux mots, et gardez-le pour vous, c’est confidentiel : des chercheurs ont recueilli des espèces animales en voie d’extinction, un peu partout sur la planète, et les ont réunies là. C’est une espèce d’énorme sanctuaire, mais c’est aussi plus que ça. L’idée, c’est 1/de les protéger, puisque, comme vous le savez, elles sont en danger, et 2/ de les laisser repartir aux quatre coins de la planète, pour repeupler les zones sauvages.
- Waou, c’est génial ! Et qu’est-ce qu’on va faire nous là-bas ?
- Cette expédition a plein d’objectifs : amener de nouvelles espèces, s’occuper de celles qui sont déjà là (tigres, gorilles, rhinocéros, éléphants, pandas, entre autres) et les aider à se développer, organiser ces nouveaux écosystèmes. Mais je ne vous en dis pas plus, vous verrez bien sur place !
- Et pourquoi nous ?
- Parce que j’ai écouté vos chansons, et qu’on a besoin de gens comme vous. Allez, il est temps de se préparer. Bon voyage les amis !
Et Adam appuie déjà sur le bouton rouge. Le téléphone redevient noir.
Salomé et Kamel se regardent… Ils ne savent pas dans quoi ils se sont embarqués, mais c’est quand même drôlement excitant.

Histoire 04
Marc Alexandre OHO BAMBE

1/ Aux portes du désert marocain.

« Qui veut renoncer ? » gronde le passeur, en se retournant vers les gamins tremblants mais déterminés. La nuit tombe doucement doucement sur leurs pieds qui ont déjà tant marché. Personne ne répond. Renoncer ? il n’en est pas question. Pas après tous les risques encourus, tous les sacrifices consentis, les souffrances endurées. Renoncer ? C’est impossible pour ces jeunes gens aux regards hagards, en quête d’azur, ces jeunes gens prêts à tout pour une vie meilleure. La vie est soleil devant ! se répète Yaguine au fond de lui. La vie est soleil devant ! c’est son mot d’ordre, pour avancer, toujours avancer, sans se retourner, ni dévier de la route de ses rêves. Rêves qu’il trace, à l’encre de sa plume révoltée. Et c’est sur cette route, que Yaguine rencontre Fodé.
Ils ont le même âge. Et la même passion pour les mots et la musique. Le Rap qui les lie, les libère aussi. Très vite entre eux, c’est l’évidence de l’amitié, fraternité d’âmes déracinées. Très vite, des textes naissent, écrits à quatre mains.

Sur la route. Yaguine, Fodé et d’autres compagnons d’infortune, Isma, Ibra, Luc, Estelle, Félicité et vous.
Face à une mer de sable qui s’étend à l’infini, et à cette conscience si humaine, que la douleur s’allège, quand on la partage.

Bonjour mon frère, bonjour ma sœur, comment va ta douleur… ?

Histoire 04
Collège Jean Moulin

2/ Du désert à la mer

Ils voudraient avancer, avancer dans cette mer, avancer dans ce sable, mais une force les retient : la force de la peur, leur peur de la douleur.
Épuisés, fatigués, marchant à l’unisson vers ce voyage sans fin dans l’espoir d’un meilleur lendemain.
Ils traversent ce désert où seul le sable leur tient compagnie.
Peu à peu, la fatigue se fait sentir,
Piégés dans ce désert sans fin.
Nos jambes enlisées refusent d’avancer.
Une tempête fonce droit sur nous,
Elle semble invincible.
Nous nous regardons d’un œil anxieux,
Prêts à affronter ce nuage sableux.
Nous donnons corps et âme pour survivre,
Essayant de trouver un abri et un rocher, solide, protecteur, luttant lui aussi.
Le sable nous a énormément affaibli et nous sommes, pour la plupart, tombés malade à sa suite.
Luc est très affaibli et l’inquiétude est à son comble.
Et toi mon frère,
Et toi ma sœur,
Entends-tu sa souffrance ?
Entends-tu notre douleur ?
Qui le sauvera ?
Qui nous sauvera ?
Nous prions, nous crions, mais Luc ne répond pas.
Nous prions, nous crions mais ça ne sert à rien.
Ses lèvres s’assèchent et son corps s’affaisse.
Nous prions nous crions, le rap nous aide.
Nous prions nous crions mais Luc cède,
Son cœur s’arrête,
C’est la fin.
Au loin, une ligne de dromadaires apparaît dans le paysage.
Est-ce un mirage ?
Nous nous dirigeons vers les passeurs et ces braves gens acceptent de nous prendre.
Au bout de quelques jours ils nous abandonnent, prétextant que nous sommes trop encombrants.
Notre soulagement n’était donc qu’une illusion !
Les conditions sont dures mais encore une fois, le rap nous réconforte et nous rappelle qui nous sommes vraiment.
Tous les soirs nous nous asseyons et regardons les étoiles, pensons à Luc, chantons, pleurons.
Nous faisons cela pour construire notre vie, construire notre avenir.
Nous faisons cela pour changer, oublier ce qu’on a vécu avant.
Nous faisons du rap pour oublier.
Sans le rap nous ne sourions pas.
Nos amis tentent de garder la flamme allumée,
Malgré le froid de la nuit,
Dont l’étau se resserre sur leurs corps.
Soleil de plomb et lune d’argent,
Glaciales et froides nuits,
Tentent de guérir tant bien que mal
Leurs cœurs nostalgiques et mélancoliques
La peur de mourir les pousse à courir, à sourire et à croire en l’avenir.
Après de nombreux pas et de nombreux combats,
Le Maroc leur tend les bras.
Livrés à eux-mêmes, une petite barque s’échoue sur la plage.
Le petit groupe monte dedans.
L’embarcation tangue sous le poids de leur malheur,
Les emportant loin ;
Loin de leur misère,
Loin de leur douleur.

Histoire 04
Collège Laurent Mourguet

3/ Aux portes d’une nouvelle vie ?

Pendant le voyage, nous parlons de nos frères et sœurs qui nous manquent et de nos rêves. Tout le monde est tendu, le canot peut se retourner à tout moment et certains parmi nous ne savent pas nager. Les conversations servent à nous occuper durant ce long moment de tension. Yaguine n’a jamais navigué et découvre qu’il a le mal de mer. Certains sont effrayés par l’immensité qui les entoure, la difficulté de se repérer et la nuit qui tombe. Ils sont épuisés mais ne parviennent pas à s’assoupir de peur de déstabliliser le bateau. Comme nous sommes très nombreux dans cette barque, nous souffrons de la soif et de la faim parce que nous n’avons pas pu prendre assez de provisions.
Le vent se lève et les vagues se creusent.
Une goutte tombe sur la petite embarcation. Puis une deuxième. Et tout d’un coup, c’est le déluge comme s’il n’avait jamais plu depuis des mois. Des vagues commencent à se former et nous comprenons vite que la barque ne tiendra pas longtemps.
- Est ce que ça va Yaguine ? demande Fodé.
Yaguine espère pouvoir raconter un jour cette traversée à ses enfants. Certains parmi nous prient à voix basse, d’autres se racontent des histoires de leur village, d’autres encore sont habitués à la mer et restent calmes, entonnent une chanson pour rester vigilants.
Heureusement, la tempête se calme aussi vite qu’elle était arrivée. Les heures suivantes sont enfin plus calmes. Fatigués d’avoir été crispés et tendus pour anticiper les vagues, nous décidons de nous reposer à tour de rôle.
Ibra, qui s’est engourdi, se déplace précautionneusement pour changer de position mais le bateau heurte un OFNI et notre compagnon perd l’équilibre, bascule et tombe brusquement à l’eau. Nous voyons Ibra se débattre, tenter de maintenir sa tête hors de l’eau, tendre une main pour agripper le bord de l’embarcation.
Mais le courant est fort, la barque dérive et tangue dangereusement. Dans le bateau, nous voulons lui porter secours mais nous ne trouvons ni bouée, ni gilet de sauvetage ni corde à lui lancer. Le passeur ne nous a rien laissé. Alors, malgré les avertissements de ceux qui parmi nous sont accoutumés à la mer, nous nous déplaçons trop nombreux pour essayer de rattraper Ibra et le bateau chavire.
Aussitôt, nous nous retrouvons tous à l’eau à nous cramponner à la frêle embarcation, saisis par la température de l’eau et ballotés par les vagues.
Nous échangeons des regards, avec la terreur qu’à tout moment l’un d’entre nous lâche prise et se noie.
La nuit est tombée. Combien de temps pourrons-nous tenir ? Une lueur apparaît dans l’obscurité. Un navire ? Certains parmi nous crient pour attirer l’attention dans l’espoir d’être secourus. Quelques minutes plus tard, un bateau de pêche signale que nous avons été repérés en activant la corne de brume.
Nos mains glacées nous font mal. Nous grelottons. Nous allons tous être engloutis. Le chalutier arrive près de nous, une ombre crie quelque chose que nous n’entendons ni ne comprenons. Des silhouettes surgissent sur le pont, nous font des signes puis lancent dans notre direction des gilets de sauvetage, des bouées. Le bateau s’approche au plus près. Certains parmi nous parviennent seuls à se hisser à bord, d’autres dérivent en raison des remous et nous les perdons de vue. Nous ne savons pas à ce moment-là si ils auront été sauvés. Sur le pont, certains perdent connaissance, tandis que d’autres essaient de communiquer avec nos
sauveteurs qui nous tendent des couvertures. Le capitaine nous dit que nous allons vers l’Espagne.

Histoire 04
Marc Alexandre OHO BAMBE

4 Hasta la poesia siempre

L’Espagne, pays rêvé, pays réel.
L’Espagne, à l’horizon enfin.
L’Espagne, après tant de chemin parcouru.
L’Espagne, après tant de déroutes, d’incertitudes et de doutes.
Certains rêves aident à tenir debout dans le vide.
Et dans le vent du monde.
Certains rêves fondent l’existence dans son plein chant.
Certains rêves ne meurent jamais et gardent en vie les âmes déracinées.
Yaguine et Fodé viennent d’un rêve formé dans une poignée de main, un rêve simple comme bonjour où les jours et les nuits rappent pour conjurer le sort.
Et la peur des lendemains qui meurent avant d’être nés.
Yaguine et Fodé reviennent de loin en loin.
De là-bas au-tréfonds des silences qui assourdissent l’avenir et aveuglent le présent.
Yaguine et Fodé sont arrivés en Espagne, juchés sur les épaules de la mer.
Et ils savent qu’il n’y aura jamais assez de sel pour brûler leur langue.
Les deux garçons savent qu’il y aura toujours une chanson à écrire, un poème à chanter pour repousser les ténèbres et déployer leurs ailes d’enfants de la terre.
Yaguine et Fodé rappent et rapperont encore demain en choeur :
Hasta la poesia siempre !

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Marc Alexandre OHO BAMBE

1/ Aux portes du désert marocain.

« Qui veut renoncer ? » gronde le passeur, en se retournant vers les gamins tremblants mais déterminés. La nuit tombe doucement doucement sur leurs pieds qui ont déjà tant marché. Personne ne répond. Renoncer ? il n’en est pas question. Pas après tous les risques encourus, tous les sacrifices consentis, les souffrances endurées. Renoncer ? C’est impossible pour ces jeunes gens aux regards hagards, en quête d’azur, ces jeunes gens prêts à tout pour une vie meilleure. La vie est soleil devant ! se répète Yaguine au fond de lui. La vie est soleil devant ! c’est son mot d’ordre, pour avancer, toujours avancer, sans se retourner, ni dévier de la route de ses rêves. Rêves qu’il trace, à l’encre de sa plume révoltée. Et c’est sur cette route, que Yaguine rencontre Fodé.
Ils ont le même âge. Et la même passion pour les mots et la musique. Le Rap qui les lie, les libère aussi. Très vite entre eux, c’est l’évidence de l’amitié, fraternité d’âmes déracinées. Très vite, des textes naissent, écrits à quatre mains.

Sur la route. Yaguine, Fodé et d’autres compagnons d’infortune, Isma, Ibra, Luc, Estelle, Félicité et vous.
Face à une mer de sable qui s’étend à l’infini, et à cette conscience si humaine, que la douleur s’allège, quand on la partage.

Bonjour mon frère, bonjour ma sœur, comment va ta douleur… ?

Histoire 04
Collège Jean Moulin

2/ Du désert à la mer

Ils voudraient avancer, avancer dans cette mer, avancer dans ce sable, mais une force les retient : la force de la peur, leur peur de la douleur.
Épuisés, fatigués, marchant à l’unisson vers ce voyage sans fin dans l’espoir d’un meilleur lendemain.
Ils traversent ce désert où seul le sable leur tient compagnie.
Peu à peu, la fatigue se fait sentir,
Piégés dans ce désert sans fin.
Nos jambes enlisées refusent d’avancer.
Une tempête fonce droit sur nous,
Elle semble invincible.
Nous nous regardons d’un œil anxieux,
Prêts à affronter ce nuage sableux.
Nous donnons corps et âme pour survivre,
Essayant de trouver un abri et un rocher, solide, protecteur, luttant lui aussi.
Le sable nous a énormément affaibli et nous sommes, pour la plupart, tombés malade à sa suite.
Luc est très affaibli et l’inquiétude est à son comble.
Et toi mon frère,
Et toi ma sœur,
Entends-tu sa souffrance ?
Entends-tu notre douleur ?
Qui le sauvera ?
Qui nous sauvera ?
Nous prions, nous crions, mais Luc ne répond pas.
Nous prions, nous crions mais ça ne sert à rien.
Ses lèvres s’assèchent et son corps s’affaisse.
Nous prions nous crions, le rap nous aide.
Nous prions nous crions mais Luc cède,
Son cœur s’arrête,
C’est la fin.
Au loin, une ligne de dromadaires apparaît dans le paysage.
Est-ce un mirage ?
Nous nous dirigeons vers les passeurs et ces braves gens acceptent de nous prendre.
Au bout de quelques jours ils nous abandonnent, prétextant que nous sommes trop encombrants.
Notre soulagement n’était donc qu’une illusion !
Les conditions sont dures mais encore une fois, le rap nous réconforte et nous rappelle qui nous sommes vraiment.
Tous les soirs nous nous asseyons et regardons les étoiles, pensons à Luc, chantons, pleurons.
Nous faisons cela pour construire notre vie, construire notre avenir.
Nous faisons cela pour changer, oublier ce qu’on a vécu avant.
Nous faisons du rap pour oublier.
Sans le rap nous ne sourions pas.
Nos amis tentent de garder la flamme allumée,
Malgré le froid de la nuit,
Dont l’étau se resserre sur leurs corps.
Soleil de plomb et lune d’argent,
Glaciales et froides nuits,
Tentent de guérir tant bien que mal
Leurs cœurs nostalgiques et mélancoliques
La peur de mourir les pousse à courir, à sourire et à croire en l’avenir.
Après de nombreux pas et de nombreux combats,
Le Maroc leur tend les bras.
Livrés à eux-mêmes, une petite barque s’échoue sur la plage.
Le petit groupe monte dedans.
L’embarcation tangue sous le poids de leur malheur,
Les emportant loin ;
Loin de leur misère,
Loin de leur douleur.

Histoire 04
Collège Laurent Mourguet

3/ Aux portes d’une nouvelle vie ?

Pendant le voyage, nous parlons de nos frères et sœurs qui nous manquent et de nos rêves. Tout le monde est tendu, le canot peut se retourner à tout moment et certains parmi nous ne savent pas nager. Les conversations servent à nous occuper durant ce long moment de tension. Yaguine n’a jamais navigué et découvre qu’il a le mal de mer. Certains sont effrayés par l’immensité qui les entoure, la difficulté de se repérer et la nuit qui tombe. Ils sont épuisés mais ne parviennent pas à s’assoupir de peur de déstabliliser le bateau. Comme nous sommes très nombreux dans cette barque, nous souffrons de la soif et de la faim parce que nous n’avons pas pu prendre assez de provisions.
Le vent se lève et les vagues se creusent.
Une goutte tombe sur la petite embarcation. Puis une deuxième. Et tout d’un coup, c’est le déluge comme s’il n’avait jamais plu depuis des mois. Des vagues commencent à se former et nous comprenons vite que la barque ne tiendra pas longtemps.
- Est ce que ça va Yaguine ? demande Fodé.
Yaguine espère pouvoir raconter un jour cette traversée à ses enfants. Certains parmi nous prient à voix basse, d’autres se racontent des histoires de leur village, d’autres encore sont habitués à la mer et restent calmes, entonnent une chanson pour rester vigilants.
Heureusement, la tempête se calme aussi vite qu’elle était arrivée. Les heures suivantes sont enfin plus calmes. Fatigués d’avoir été crispés et tendus pour anticiper les vagues, nous décidons de nous reposer à tour de rôle.
Ibra, qui s’est engourdi, se déplace précautionneusement pour changer de position mais le bateau heurte un OFNI et notre compagnon perd l’équilibre, bascule et tombe brusquement à l’eau. Nous voyons Ibra se débattre, tenter de maintenir sa tête hors de l’eau, tendre une main pour agripper le bord de l’embarcation.
Mais le courant est fort, la barque dérive et tangue dangereusement. Dans le bateau, nous voulons lui porter secours mais nous ne trouvons ni bouée, ni gilet de sauvetage ni corde à lui lancer. Le passeur ne nous a rien laissé. Alors, malgré les avertissements de ceux qui parmi nous sont accoutumés à la mer, nous nous déplaçons trop nombreux pour essayer de rattraper Ibra et le bateau chavire.
Aussitôt, nous nous retrouvons tous à l’eau à nous cramponner à la frêle embarcation, saisis par la température de l’eau et ballotés par les vagues.
Nous échangeons des regards, avec la terreur qu’à tout moment l’un d’entre nous lâche prise et se noie.
La nuit est tombée. Combien de temps pourrons-nous tenir ? Une lueur apparaît dans l’obscurité. Un navire ? Certains parmi nous crient pour attirer l’attention dans l’espoir d’être secourus. Quelques minutes plus tard, un bateau de pêche signale que nous avons été repérés en activant la corne de brume.
Nos mains glacées nous font mal. Nous grelottons. Nous allons tous être engloutis. Le chalutier arrive près de nous, une ombre crie quelque chose que nous n’entendons ni ne comprenons. Des silhouettes surgissent sur le pont, nous font des signes puis lancent dans notre direction des gilets de sauvetage, des bouées. Le bateau s’approche au plus près. Certains parmi nous parviennent seuls à se hisser à bord, d’autres dérivent en raison des remous et nous les perdons de vue. Nous ne savons pas à ce moment-là si ils auront été sauvés. Sur le pont, certains perdent connaissance, tandis que d’autres essaient de communiquer avec nos
sauveteurs qui nous tendent des couvertures. Le capitaine nous dit que nous allons vers l’Espagne.

Histoire 04
Marc Alexandre OHO BAMBE

4 Hasta la poesia siempre

L’Espagne, pays rêvé, pays réel.
L’Espagne, à l’horizon enfin.
L’Espagne, après tant de chemin parcouru.
L’Espagne, après tant de déroutes, d’incertitudes et de doutes.
Certains rêves aident à tenir debout dans le vide.
Et dans le vent du monde.
Certains rêves fondent l’existence dans son plein chant.
Certains rêves ne meurent jamais et gardent en vie les âmes déracinées.
Yaguine et Fodé viennent d’un rêve formé dans une poignée de main, un rêve simple comme bonjour où les jours et les nuits rappent pour conjurer le sort.
Et la peur des lendemains qui meurent avant d’être nés.
Yaguine et Fodé reviennent de loin en loin.
De là-bas au-tréfonds des silences qui assourdissent l’avenir et aveuglent le présent.
Yaguine et Fodé sont arrivés en Espagne, juchés sur les épaules de la mer.
Et ils savent qu’il n’y aura jamais assez de sel pour brûler leur langue.
Les deux garçons savent qu’il y aura toujours une chanson à écrire, un poème à chanter pour repousser les ténèbres et déployer leurs ailes d’enfants de la terre.
Yaguine et Fodé rappent et rapperont encore demain en choeur :
Hasta la poesia siempre !