Prologue
La décision de quitter la ville pour s’installer à la campagne murissait depuis plusieurs années dans l’esprit de Monsieur et Madame Morin-Diallo. Les problèmes d’asthme de Sarah, la petite dernière, et les plaintes incessantes des voisins lorsque les jumeaux Lucas et Salomon jouaient dans la cour de leur résidence du centre-ville de Lyon avaient fini par les convaincre de faire le grand saut. Alors, un matin d’août, les cinq Lyonnais accompagnés de leur chien et de leur chat s’étaient installés dans un coin reculé d’Ardèche au bord de la rivière la Bourges, dans une jolie maison de pierre abandonnée depuis seulement six mois. La santé déclinante du couple de retraités qui y avait vécu les avait poussés à rejoindre la vallée non loin d’un centre hospitalier et des services qu’il proposait aux personnes âgées. Les parents Morin-Diallo, Laurence et Driss, tout sourires, se réjouissaient. Enfin ils réalisaient leur rêve, offraient à leurs enfants de sept et douze ans un cadre de vie proche de la vie sauvage, où l’air était peu pollué et qui permettrait à leur progéniture d’évoluer au grand air, dans un milieu sain au plus près de la nature. Dès les premiers jours, la respiration de Sarah se fit plus fluide, aucun accès de toux à déplorer, son teint s’était éclairci, elle était radieuse, son père et sa mère s’en félicitait. Quant aux garçons, ils n’en revenaient pas de disposer d’un terrain de jeu qui leur semblait illimité. Ils couraient dans les bois, dévalaient les pentes à s’en couper le souffle, sautaient dans les cascades, s’aspergeaient d’eau dans la rivière, hurlant et riant sans déranger personne, un vrai bonheur.
Or, ce dont aucun d’entre eux ne se doutait, c’était que le vide de la maison qu’ils venaient d’investir n’était qu’apparent. En effet, cachés dans les nombreux recoins des deux étages que les Morin-Diallo occupaient, ainsi que dans le grenier, dans la cave, au beau milieu de ce qui avait été un potager, sur la rivière et partout sur ses rives, fourmillait un grand nombre d’espèces de la faune et de la flore locale. Des bactéries invisibles à l’œil nu, des insectes plus ou moins faciles à vivre, des reptiles surtout de petites tailles, des mammifères petits et grands, jusqu’aux oiseaux qui volaient librement au-dessus de la nouvelle demeure de Laurence et de Driss. Sans le savoir, les cinq bipèdes citadins et leurs deux animaux de compagnie bouleversaient tout un écosystème qui avait appris à exister sans devoir composer avec des humains.
Laurence entreprit d’abord de s’occuper du jardin qu’elle voulait rendre joli. Elle s’arma d’une énorme paire de ciseaux en métal et d’autres ustensiles et commença par se charger des mauvaises herbes : elle défrichait, éliminait toutes les plantes qui lui semblaient laides ou inutiles, une hécatombe. Dans la remise, Driss fut ravi de trouver une tondeuse à gazon dont le réservoir contenait encore suffisamment de carburant. Afin de rendre les alentours de leur propriété plus ordonnée, il sortit l’engin, et l’alluma. Un bruit de moteur vint perturber le calme à une centaine de mètres à la ronde, semant l’effroi dans la nature, d’autant que la fumée noire qui s’en échappait était irrespirable. Alors qu’ils jouaient dans le lit de la rivière, les deux garçons n’hésitaient pas à s’emparer de cailloux qu’ils jetaient à la surface pour s’éclabousser, sans se rendre compte qu’ils retiraient leurs abris à des crustacés livrés subitement sans secours aux attaques de leurs prédateurs. Leur chien, encore jeune et turbulent, ne sachant plus où donner du museau, pourchassait les papillons affolés, creusait la terre en arrachant les racines nécessaires à la survie des plantes, ses jeux détruisaient aussi l’habitat d’insectes incapables de vivre au grand jour. Le chat aussi jubilait, il avait à sa disposition un vaste terrain de chasse où les rongeurs dont il raffolait, découvraient bien trop tard son habileté et sa redoutable efficacité. Le petit félin ne mit pas vingt-quatre heures à s’adapter à son nouvel environnement, il en devint le principal prédateur.
En se rencontrant, deux univers qui n’aspiraient pourtant qu’à vivre en paix entraient en collision. Mais, ignorés par les humains, c’était au monde des plantes et des animaux de réagir, d’observer attentivement le comportement des nouveaux venus afin de s’y adapter, puis de trouver rapidement les moyens de cohabiter avec ceux qu’ils considéraient comme des intrus qui leur compliquaient l’existence.
En route vers l’île mystérieuse
La ville flottante largue les amarres. Il règne une belle ambiance à bord. Salomé fait la connaissance d’Octavio, botaniste mexicain, et d’Olabisi, océanologue congolaise, pendant que Kamel échange avec Stacey, peintre néo-zélandaise, et un biologiste brésilien, Roberto.
Ils passent quelques journées ainsi, à courir partout sur le bateau, à rencontrer tout le monde, à ouvrir grands les yeux devant ce qui apparaît au large : immensités bleues, bouts de terres isolées, dauphins qui sautent, et le soleil qui s’étale le soir sur l’horizon rose ardent. C’est magnifique, et les deux amis ne s’en lassent pas.
Des jours passent. L’incroyable ville flottante avance, attachée aux gigantesques voiles. Voilà à quoi elle ressemble :
Photo en pièce jointe
On peut vivre sur ou sous l’eau. On nage avec les orques. La mer devient leur jardin.
Le Tribord accoste une première fois sur les côtes sénégalaises. Chacun part alors faire ses relevés, et on se retrouve à la nuit tombée pour manger des légumes aux noms rares cuits au feu de bois. On s’endort comme ça, dans l’air frais du soir.
– En fait, c’est un peu le tour du monde de Darwin, mais 160 ans plus tard, dit Roberto.
– Oui, c’est ça, dit Kamel qui ne voit pas du tout de quoi il parle.
Réveil à l’aube, on a encore du chemin – le capitaine reprend les commandes. Il reste plus de deux semaines de navigation jusqu’à la fameuse île. Le Tribord file sur les eaux carbone.
Kamel observe ses nouveaux amis qui s’activent sans cesse. Il faut notamment explorer le fond des océans, dont 40% nous sont encore inconnus ! Mais aussi détailler les nouvelles espèces marines, explorer les terres abordées, guetter dans le ciel les oiseaux migrateurs… Le monde est immense et complexe, pense Kamel, accoudé au bastingage, et je ne le connais pas.
Salomé est à côté de lui, qui regarde en silence le soleil se noyer dans l’océan.
Puis ils vont dormir dans leurs petits lits étroits. Salomé aimerait bien tenir la main de Kamel, mais celui-ci s’endort, comme toujours, en deux secondes.
Ils se réveillent avec le mal de mer, se lèvent tout de suite et se mettent au travail : Salomé au piano, Kamel à son ordinateur pour mixer, et chanter aussi. Tout leur matériel est installé dans leur cabine. Ils veulent trouver la meilleure manière de raconter ce voyage.
Et finalement, un matin, quelque chose se dessine au loin.
Une forme, une île.
Terre ! Terre !
Le bateau accoste, et tous les membres de l’équipage se ruent vers l’île, sidérés par sa beauté.
Salomé et Kamel font la connaissance de l’équipe qui vit toute l’année ici. Patrick et Vivian les emmènent faire un grand tour de l’île.
Et là, au premier virage, les voilà qui surgissent de partout : des tigres, des rhinocéros, des oiseaux si beaux dont ils ignorent le nom, des papillons ; il y a même, au loin, un panda qui caresse son enfant.
– Et puis il y a tout ce que vous ne voyez pas, dit Patrick, les insectes, les plantes, tout le tissu du vivant qu’on a implanté ici, d’une complexité et d’une puissance folle.
– Et ça fonctionne ? demande Kamel. Les espèces arrivent à cohabiter ?
– Oui, dit Vivian. On a fait en sorte qu’elles soient « compatibles », qu’elles se connaissent, qu’elles puissent vivre ensemble.
– C’est incroyable, dit Salomé. L’arche de Noé du 21e siècle.
Le soir, toute l’expédition se réunit. Il y a eu des disputes ces derniers jours, dans l’équipe : on n’est pas d’accord sur les directions à prendre. Olabisi, notamment, est en colère :
– C’est artificiel, cette île. C’est pas comme ça qu’on va sauver le monde, en le préservant. Il faut le réinventer, pas le sauvegarder comme sur un disque dur.
– Et puis il y a un problème, dit Caroline : les animaux meurent, ici aussi. Ils ne retrouvent pas leur milieu idéal.
– Ce que vous oubliez, dit Patrick, c’est que ce lieu n’est que provisoire. On se rassemble ici, on sauve, on évite que le tigre du Bengale ou le rhinocéros de Java disparaissent complètement, puis on les laisse se reproduire et repeupler le monde.
– C’est pareil : il faut changer notre manière d’être, sinon on ne changera pas. Ce n’est pas comme ça qu’on va y arriver, dit Olabisi.
– Il y a quand même eu des choses intéressantes. Il y a notamment eu des hybridations nouvelles, quelque part sur l’île, entre certaines espèces. C’est peut-être une voie à suivre.
– On avait dit des alliances entre les espèces, dit Roberto, pas des mélanges.
La conversation court ainsi quand on entend, tout à coup, un grand bruit.
Salomé se retourne vers la porte. Elle passe la tête. Elle n’arrive pas à croire ce qu’elle voit.
2/ le Cetorhinus Oceanus Plasticus, une espèce en voie d’apparition
Face à elle, une sorte d’immense aquarium, relié directement à l’océan, contient des dizaines de requins. Une centaine sans doute. Salomé regarde les imposantes masses grises avec effroi : certaines nagent tranquillement dans le peu d’espace qui leur est réservé, d’autres semblent comme immobiles.
Une des créatures remonte des fonds et vient cogner contre la paroi. Salomé sort de cet état second dans lequel elle était plongée et s’approche à son tour : la bête est énorme, elle fait dix mètres à vue d’œil. Elle semble n’avoir aucune dent, mais la jeune femme aperçoit des sortes de fanons. Ses flancs sont constellés de petites taches grises. Mais déjà, le squale disparaît dans les profondeurs de sa prison, ne laissant pas à Salomé le loisir de l’observer plus longtemps.
Soudain un bruit sourd, plus fort encore que le premier, l’interrompt dans sa contemplation. Une alarme stridente se déclenche, la faisant grimacer et porter ses mains à ses oreilles. Les portes du laboratoire s’ouvrent, laissant passer une dizaine de scientifiques en blouses blanches. Tous semblent très inquiets : un premier se précipite vers la salle de contrôle et coupe le signal sonore ; certains consultent les ordinateurs et dialoguent avec agitation ; d’autres enfilent des combinaisons de plongée.
– Que faites-vous ici ? l’apostrophe un scientifique qui s’est aperçu de sa présence.
– Pourquoi tous ces requins sont enfermés dans des aquariums ? rétorque Salomé avec agressivité. Je croyais que les biologistes étaient là pour prendre soin des espèces en voie d’extinction, pas pour les enfermer et leur faire subir des expériences !
– Ce n’est pas une espèce en voie d’extinction. A partir du requin pèlerin qui a des capacités naturelles de filtration, nos généticiens ont créé une nouvelle espèce de squale, le COP (Cetorhinus Oceanus Plasticus), capable de digérer le plastique grâce à une bactérie spéciale dans sa flore intestinale qui le transforme en nutriment. Cela fait d’eux de véritables aspirateurs à plastique qui pourraient donc nettoyer les océans et ainsi libérer des espaces pour d’autres espèces.
– Pourquoi Adam Thobias ne nous a pas parlé de ce projet ?
– Cette expérimentation ne fait pas l’unanimité et doit rester confidentielle pour l’instant.
– Alerte rouge, annonce celui qui semble être le chef. Les trappes des aquariums sont en train de s’ouvrir ! Impossible de les verrouiller. Les requins vont être libérés dans l’océan. Chacun à son poste…
– Et alors ? C’est une bonne chose, non ? Moi je trouve qu’ils n’ont absolument rien à faire dans ces cages de verre ! s’indigne Salomé.
– Les requins COP sont encore en phase d’expérimentation, explique le scientifique. Avec tout le plastique présent dans les océans, il risque de se surdévelopper. L’espèce peut donc devenir invasive et troubler l’écosystème en colonisant les habitats des autres espèces marines. En ingérant massivement le plancton, ces sélachimorphes détruiront la base des chaînes alimentaires... Les océans et mers du monde entier seront vidés de leur faune maritime !
– Tu as autre chose à faire qu’à te justifier ! l’interrompt un collègue visiblement excédé. Ils embauchent vraiment n’importe qui pour cette expédition ! Vous les artistes, toujours en train de rêvasser au lieu d’agir ! Bon, maintenant, déguerpissez, intime-t-il à Salomé d’un ton menaçant. Ici, nous sommes dans un laboratoire et c’est aux scientifiques de faire leur travail, pas aux poètes ! Nous avons besoin de concentration pour essayer d’implanter des balises sur les requins, afin de pouvoir les pister après leur libération ! C’est une opération extrêmement complexe et nous n’avons pas besoin d’artistes dans les pattes, conclut-il, poussant sans ménagement la jeune femme vers la sortie.
Salomé se retrouve seule dans le couloir, complètement sonnée. Si seulement Kamel était là… Elle doit reprendre ses esprits et prévenir Adam du désastre. Elle compose son numéro et visage souriant de Thobias s’affiche aussitôt.
– Vous nous avez envoyés sur cette île pour protéger des espèces animales et des écosystèmes, hurle Salomé sans même le saluer, et vous nous cachez que des expériences sont réalisées sur des requins qui n’ont rien demandé à personne pour en faire des aspirateurs océaniques ! Et par des incompétents incapables de les garder dans leurs aquariums ! Ecoutez, si…
– Attendez, l’interrompt Adam Thobias d’un ton grave, comment ça, incapables de les garder dans leurs aquariums ?
3/ La traque
– Les requins s’accouplent donc se multiplient en quantité et à une vitesse astronomique ! Dans l’aquarium souterrain relié à l’océan, on en dénombre déjà plus de cinquante en captivité et ils continuent de proliférer.
– A-t-on un moyen pour les évacuer dans un autre endroit ? demande Adam d’un air inquiet.
– Malheureusement non, je ne pense pas, rétorque le scientifique, accablé. Il n’y a plus de place ! complète-t-il. Et si nous ne trouvons pas de solution rapidement, ils vont fissurer l’aquarium et se répandre dans les divers océans du monde !"
Au loin, Kamel et Salomé voient un bateau se rapprocher, ils comprennent qu’une nouvelle recrue arrive au sein de l’équipe. Elle se prénomme Olivia. Adam Thobias s’empresse de lui expliquer les détails de leur mission. Ils commencent par lui faire une visite guidée de l’aquarium contenant les requins. Puis le groupe de scientifiques explique à la recrue le rôle de l’enzyme implanté dans l’estomac des requins pèlerins. "Comme vous le savez, les requins sont ici pour nous aider dans la lourde tâche qu’est la dépollution des océans. Pour cela nous avons eu l’idée de changer le régime alimentaire des requins pèlerins en leur introduisant dans l’estomac une enzyme pour qu’ils soient capables de digérer du plastique. Nous avons donc eu l’idée de les mettre dans un aquarium. Notre but est qu’ils se reproduisent en transmettant cette enzyme de génération en génération. Pour l’instant nous les contenons sur l’île et nous les rejetterons quand ils seront prêts."
Un requin se dirige vers le conduit des eaux usées et tente alors de le forcer pour s’échapper. Après tout, mieux vaut la liberté, non ? Il regarde les vis qui retiennent la plaque et essaye de forcer celle-ci avec sa mâchoire. Après cinq tentatives ratées, l’une des vis tombe. Il se précipite alors pour aller avertir les autres requins et leur demander de l’aider pour forcer la trappe car il y est presque parvenu. Suite à cette infime lueur d’espoir, les requins se précipitent sur la trappe de toutes leurs forces et d’un coup sec et fort cette dernière cède et les requins se déversent dans l’océan. Ils s’éparpillent dans toutes les mers du globe avec une irrésistible envie de plastique sous l’action de l’enzyme ingérée.
"C’est reparti !" s’écrie Cédric, le capitaine du sous-marin USS Missouri.
Les chercheurs s’enfoncent dans les profondeurs de l’océan. Au bout de trois semaines de recherche, l’équipage du Missouri arrive vers une grotte sous-marine. L’un des membres de l’équipage aperçoit à travers le hublot la silhouette d’un animal mourant. Il crie au capitaine du sous-marin :
"CAPITAINE, à bâbord, je crois que j’ai trouvé l’un de nos requins !
– Triples buses ce n’est pas un requin ! C’est un orque ; il faudrait revoir tes connaissances !
– Ah oui vous avez raison ! Excusez-moi.
– Tâche de faire plus attention la prochaine fois. Je vous propose une pause, cela fait plus de sept heures que nous sommes sous l’eau."
L’équipage s’arrête sur une île pour faire une pause.
"Capitaine ! Capitaine ! s’écrie un membre de l’équipage.
– Que se passe-t-il ? Encore un orque ?
– Non mon capitaine, venez voir ce que j’ai trouvé !
– J’arrive, j’arrive ! Mille millions de mille sabords, c’est un bébé requin pèlerin ! Amenons-le au laboratoire pour une analyse. Rassemblons l’équipage et mettons le cap sur le retour."
Le requin est agité et mourant. Une fois celui-ci ramené au laboratoire, on examine l’animal.
Ils étaient vingt scientifiques sur l’île, mais Jean et Rose sont les deux seuls restants, les autres sont partis en expédition pour chercher les requins. Ils posent l’animal sur une table métallique afin de pratiquer des scanners pour analyser l’intérieur de son estomac. C’est alors qu’ils découvrent des morceaux de plastiques dans son ventre. Ils comprennent donc que l’espèce a évolué et que l’enzyme fait maintenant partie du microbiote intestinal de l’animal. Les chercheurs découvrent également de gros poissons, ce qui est anormal, car il se nourrit habituellement de plancton. Ce nouveau mode d’alimentation risque de déséquilibrer les réseaux trophiques maritimes. Alarmés, les scientifiques vont prévenir Adam Thobias. Une fois qu’il est averti, Jean et Rose se dirigent vers le laboratoire.
Ils se sont chargés volontiers du problème. Ils veulent tous deux sauver la chaîne alimentaire et ces beaux êtres. Après une longue réflexion, il se rendent compte que la seule solution pour que les requins cessent de manger des poissons est de leur injecter une nouvelle enzyme modifiée.
Quand ils arrivent au centre de recherche, ils commencent à observer la bactérie.
Rose n’arrive pas à se mettre au travail, elle regarde du côté de Jean, qui poursuit ses recherches, très concentré. Il est sur une piste. Rose vient vers lui et demande :
"Est-ce que tu as une idée pour modifier l’enzyme ?
– Oui, lui répond Jean. Mais les requins ne vont probablement pas l’aimer ..."
Adam nous aurait-il trahi ?
Nous sommes rentrés de cet enfer,
Où tout n’était que mensonger.
Adam nous aurait-il trahi ?
J’ai vu Adam sur le chemin,
J’ai vu une mer de requins
Nous sommes revenus perdus
Adam Thobias nous a bien eus
Nous sommes rentrés de cet enfer,
Où tout n’était que mensonger.
Adam nous aurait-il trahi ?
J’ai vu des déchets de plastiques
Mais pas vraiment écologiques
J’ai pu nettoyer l’océan
Il ne restait plus rien dedans
Nous sommes rentrés de cet enfer,
Où tout n’était que mensonger.
Adam nous aurait-il trahi ?
Mission : les animaux sauvages,
Personne n’était dans les parages,
A part des tonnes de baleines,
Avachies sur une grande plaine
Nous sommes rentrés de cet enfer,
Où tout n’était que mensonger.
Adam nous aurait-il trahi ?
En route vers l’île mystérieuse
La ville flottante largue les amarres. Il règne une belle ambiance à bord. Salomé fait la connaissance d’Octavio, botaniste mexicain, et d’Olabisi, océanologue congolaise, pendant que Kamel échange avec Stacey, peintre néo-zélandaise, et un biologiste brésilien, Roberto.
Ils passent quelques journées ainsi, à courir partout sur le bateau, à rencontrer tout le monde, à ouvrir grands les yeux devant ce qui apparaît au large : immensités bleues, bouts de terres isolées, dauphins qui sautent, et le soleil qui s’étale le soir sur l’horizon rose ardent. C’est magnifique, et les deux amis ne s’en lassent pas.
Des jours passent. L’incroyable ville flottante avance, attachée aux gigantesques voiles. Voilà à quoi elle ressemble :
Photo en pièce jointe
On peut vivre sur ou sous l’eau. On nage avec les orques. La mer devient leur jardin.
Le Tribord accoste une première fois sur les côtes sénégalaises. Chacun part alors faire ses relevés, et on se retrouve à la nuit tombée pour manger des légumes aux noms rares cuits au feu de bois. On s’endort comme ça, dans l’air frais du soir.
– En fait, c’est un peu le tour du monde de Darwin, mais 160 ans plus tard, dit Roberto.
– Oui, c’est ça, dit Kamel qui ne voit pas du tout de quoi il parle.
Réveil à l’aube, on a encore du chemin – le capitaine reprend les commandes. Il reste plus de deux semaines de navigation jusqu’à la fameuse île. Le Tribord file sur les eaux carbone.
Kamel observe ses nouveaux amis qui s’activent sans cesse. Il faut notamment explorer le fond des océans, dont 40% nous sont encore inconnus ! Mais aussi détailler les nouvelles espèces marines, explorer les terres abordées, guetter dans le ciel les oiseaux migrateurs… Le monde est immense et complexe, pense Kamel, accoudé au bastingage, et je ne le connais pas.
Salomé est à côté de lui, qui regarde en silence le soleil se noyer dans l’océan.
Puis ils vont dormir dans leurs petits lits étroits. Salomé aimerait bien tenir la main de Kamel, mais celui-ci s’endort, comme toujours, en deux secondes.
Ils se réveillent avec le mal de mer, se lèvent tout de suite et se mettent au travail : Salomé au piano, Kamel à son ordinateur pour mixer, et chanter aussi. Tout leur matériel est installé dans leur cabine. Ils veulent trouver la meilleure manière de raconter ce voyage.
Et finalement, un matin, quelque chose se dessine au loin.
Une forme, une île.
Terre ! Terre !
Le bateau accoste, et tous les membres de l’équipage se ruent vers l’île, sidérés par sa beauté.
Salomé et Kamel font la connaissance de l’équipe qui vit toute l’année ici. Patrick et Vivian les emmènent faire un grand tour de l’île.
Et là, au premier virage, les voilà qui surgissent de partout : des tigres, des rhinocéros, des oiseaux si beaux dont ils ignorent le nom, des papillons ; il y a même, au loin, un panda qui caresse son enfant.
– Et puis il y a tout ce que vous ne voyez pas, dit Patrick, les insectes, les plantes, tout le tissu du vivant qu’on a implanté ici, d’une complexité et d’une puissance folle.
– Et ça fonctionne ? demande Kamel. Les espèces arrivent à cohabiter ?
– Oui, dit Vivian. On a fait en sorte qu’elles soient « compatibles », qu’elles se connaissent, qu’elles puissent vivre ensemble.
– C’est incroyable, dit Salomé. L’arche de Noé du 21e siècle.
Le soir, toute l’expédition se réunit. Il y a eu des disputes ces derniers jours, dans l’équipe : on n’est pas d’accord sur les directions à prendre. Olabisi, notamment, est en colère :
– C’est artificiel, cette île. C’est pas comme ça qu’on va sauver le monde, en le préservant. Il faut le réinventer, pas le sauvegarder comme sur un disque dur.
– Et puis il y a un problème, dit Caroline : les animaux meurent, ici aussi. Ils ne retrouvent pas leur milieu idéal.
– Ce que vous oubliez, dit Patrick, c’est que ce lieu n’est que provisoire. On se rassemble ici, on sauve, on évite que le tigre du Bengale ou le rhinocéros de Java disparaissent complètement, puis on les laisse se reproduire et repeupler le monde.
– C’est pareil : il faut changer notre manière d’être, sinon on ne changera pas. Ce n’est pas comme ça qu’on va y arriver, dit Olabisi.
– Il y a quand même eu des choses intéressantes. Il y a notamment eu des hybridations nouvelles, quelque part sur l’île, entre certaines espèces. C’est peut-être une voie à suivre.
– On avait dit des alliances entre les espèces, dit Roberto, pas des mélanges.
La conversation court ainsi quand on entend, tout à coup, un grand bruit.
Salomé se retourne vers la porte. Elle passe la tête. Elle n’arrive pas à croire ce qu’elle voit.
2/ le Cetorhinus Oceanus Plasticus, une espèce en voie d’apparition
Face à elle, une sorte d’immense aquarium, relié directement à l’océan, contient des dizaines de requins. Une centaine sans doute. Salomé regarde les imposantes masses grises avec effroi : certaines nagent tranquillement dans le peu d’espace qui leur est réservé, d’autres semblent comme immobiles.
Une des créatures remonte des fonds et vient cogner contre la paroi. Salomé sort de cet état second dans lequel elle était plongée et s’approche à son tour : la bête est énorme, elle fait dix mètres à vue d’œil. Elle semble n’avoir aucune dent, mais la jeune femme aperçoit des sortes de fanons. Ses flancs sont constellés de petites taches grises. Mais déjà, le squale disparaît dans les profondeurs de sa prison, ne laissant pas à Salomé le loisir de l’observer plus longtemps.
Soudain un bruit sourd, plus fort encore que le premier, l’interrompt dans sa contemplation. Une alarme stridente se déclenche, la faisant grimacer et porter ses mains à ses oreilles. Les portes du laboratoire s’ouvrent, laissant passer une dizaine de scientifiques en blouses blanches. Tous semblent très inquiets : un premier se précipite vers la salle de contrôle et coupe le signal sonore ; certains consultent les ordinateurs et dialoguent avec agitation ; d’autres enfilent des combinaisons de plongée.
– Que faites-vous ici ? l’apostrophe un scientifique qui s’est aperçu de sa présence.
– Pourquoi tous ces requins sont enfermés dans des aquariums ? rétorque Salomé avec agressivité. Je croyais que les biologistes étaient là pour prendre soin des espèces en voie d’extinction, pas pour les enfermer et leur faire subir des expériences !
– Ce n’est pas une espèce en voie d’extinction. A partir du requin pèlerin qui a des capacités naturelles de filtration, nos généticiens ont créé une nouvelle espèce de squale, le COP (Cetorhinus Oceanus Plasticus), capable de digérer le plastique grâce à une bactérie spéciale dans sa flore intestinale qui le transforme en nutriment. Cela fait d’eux de véritables aspirateurs à plastique qui pourraient donc nettoyer les océans et ainsi libérer des espaces pour d’autres espèces.
– Pourquoi Adam Thobias ne nous a pas parlé de ce projet ?
– Cette expérimentation ne fait pas l’unanimité et doit rester confidentielle pour l’instant.
– Alerte rouge, annonce celui qui semble être le chef. Les trappes des aquariums sont en train de s’ouvrir ! Impossible de les verrouiller. Les requins vont être libérés dans l’océan. Chacun à son poste…
– Et alors ? C’est une bonne chose, non ? Moi je trouve qu’ils n’ont absolument rien à faire dans ces cages de verre ! s’indigne Salomé.
– Les requins COP sont encore en phase d’expérimentation, explique le scientifique. Avec tout le plastique présent dans les océans, il risque de se surdévelopper. L’espèce peut donc devenir invasive et troubler l’écosystème en colonisant les habitats des autres espèces marines. En ingérant massivement le plancton, ces sélachimorphes détruiront la base des chaînes alimentaires... Les océans et mers du monde entier seront vidés de leur faune maritime !
– Tu as autre chose à faire qu’à te justifier ! l’interrompt un collègue visiblement excédé. Ils embauchent vraiment n’importe qui pour cette expédition ! Vous les artistes, toujours en train de rêvasser au lieu d’agir ! Bon, maintenant, déguerpissez, intime-t-il à Salomé d’un ton menaçant. Ici, nous sommes dans un laboratoire et c’est aux scientifiques de faire leur travail, pas aux poètes ! Nous avons besoin de concentration pour essayer d’implanter des balises sur les requins, afin de pouvoir les pister après leur libération ! C’est une opération extrêmement complexe et nous n’avons pas besoin d’artistes dans les pattes, conclut-il, poussant sans ménagement la jeune femme vers la sortie.
Salomé se retrouve seule dans le couloir, complètement sonnée. Si seulement Kamel était là… Elle doit reprendre ses esprits et prévenir Adam du désastre. Elle compose son numéro et visage souriant de Thobias s’affiche aussitôt.
– Vous nous avez envoyés sur cette île pour protéger des espèces animales et des écosystèmes, hurle Salomé sans même le saluer, et vous nous cachez que des expériences sont réalisées sur des requins qui n’ont rien demandé à personne pour en faire des aspirateurs océaniques ! Et par des incompétents incapables de les garder dans leurs aquariums ! Ecoutez, si…
– Attendez, l’interrompt Adam Thobias d’un ton grave, comment ça, incapables de les garder dans leurs aquariums ?
3/ La traque
– Les requins s’accouplent donc se multiplient en quantité et à une vitesse astronomique ! Dans l’aquarium souterrain relié à l’océan, on en dénombre déjà plus de cinquante en captivité et ils continuent de proliférer.
– A-t-on un moyen pour les évacuer dans un autre endroit ? demande Adam d’un air inquiet.
– Malheureusement non, je ne pense pas, rétorque le scientifique, accablé. Il n’y a plus de place ! complète-t-il. Et si nous ne trouvons pas de solution rapidement, ils vont fissurer l’aquarium et se répandre dans les divers océans du monde !"
Au loin, Kamel et Salomé voient un bateau se rapprocher, ils comprennent qu’une nouvelle recrue arrive au sein de l’équipe. Elle se prénomme Olivia. Adam Thobias s’empresse de lui expliquer les détails de leur mission. Ils commencent par lui faire une visite guidée de l’aquarium contenant les requins. Puis le groupe de scientifiques explique à la recrue le rôle de l’enzyme implanté dans l’estomac des requins pèlerins. "Comme vous le savez, les requins sont ici pour nous aider dans la lourde tâche qu’est la dépollution des océans. Pour cela nous avons eu l’idée de changer le régime alimentaire des requins pèlerins en leur introduisant dans l’estomac une enzyme pour qu’ils soient capables de digérer du plastique. Nous avons donc eu l’idée de les mettre dans un aquarium. Notre but est qu’ils se reproduisent en transmettant cette enzyme de génération en génération. Pour l’instant nous les contenons sur l’île et nous les rejetterons quand ils seront prêts."
Un requin se dirige vers le conduit des eaux usées et tente alors de le forcer pour s’échapper. Après tout, mieux vaut la liberté, non ? Il regarde les vis qui retiennent la plaque et essaye de forcer celle-ci avec sa mâchoire. Après cinq tentatives ratées, l’une des vis tombe. Il se précipite alors pour aller avertir les autres requins et leur demander de l’aider pour forcer la trappe car il y est presque parvenu. Suite à cette infime lueur d’espoir, les requins se précipitent sur la trappe de toutes leurs forces et d’un coup sec et fort cette dernière cède et les requins se déversent dans l’océan. Ils s’éparpillent dans toutes les mers du globe avec une irrésistible envie de plastique sous l’action de l’enzyme ingérée.
"C’est reparti !" s’écrie Cédric, le capitaine du sous-marin USS Missouri.
Les chercheurs s’enfoncent dans les profondeurs de l’océan. Au bout de trois semaines de recherche, l’équipage du Missouri arrive vers une grotte sous-marine. L’un des membres de l’équipage aperçoit à travers le hublot la silhouette d’un animal mourant. Il crie au capitaine du sous-marin :
"CAPITAINE, à bâbord, je crois que j’ai trouvé l’un de nos requins !
– Triples buses ce n’est pas un requin ! C’est un orque ; il faudrait revoir tes connaissances !
– Ah oui vous avez raison ! Excusez-moi.
– Tâche de faire plus attention la prochaine fois. Je vous propose une pause, cela fait plus de sept heures que nous sommes sous l’eau."
L’équipage s’arrête sur une île pour faire une pause.
"Capitaine ! Capitaine ! s’écrie un membre de l’équipage.
– Que se passe-t-il ? Encore un orque ?
– Non mon capitaine, venez voir ce que j’ai trouvé !
– J’arrive, j’arrive ! Mille millions de mille sabords, c’est un bébé requin pèlerin ! Amenons-le au laboratoire pour une analyse. Rassemblons l’équipage et mettons le cap sur le retour."
Le requin est agité et mourant. Une fois celui-ci ramené au laboratoire, on examine l’animal.
Ils étaient vingt scientifiques sur l’île, mais Jean et Rose sont les deux seuls restants, les autres sont partis en expédition pour chercher les requins. Ils posent l’animal sur une table métallique afin de pratiquer des scanners pour analyser l’intérieur de son estomac. C’est alors qu’ils découvrent des morceaux de plastiques dans son ventre. Ils comprennent donc que l’espèce a évolué et que l’enzyme fait maintenant partie du microbiote intestinal de l’animal. Les chercheurs découvrent également de gros poissons, ce qui est anormal, car il se nourrit habituellement de plancton. Ce nouveau mode d’alimentation risque de déséquilibrer les réseaux trophiques maritimes. Alarmés, les scientifiques vont prévenir Adam Thobias. Une fois qu’il est averti, Jean et Rose se dirigent vers le laboratoire.
Ils se sont chargés volontiers du problème. Ils veulent tous deux sauver la chaîne alimentaire et ces beaux êtres. Après une longue réflexion, il se rendent compte que la seule solution pour que les requins cessent de manger des poissons est de leur injecter une nouvelle enzyme modifiée.
Quand ils arrivent au centre de recherche, ils commencent à observer la bactérie.
Rose n’arrive pas à se mettre au travail, elle regarde du côté de Jean, qui poursuit ses recherches, très concentré. Il est sur une piste. Rose vient vers lui et demande :
"Est-ce que tu as une idée pour modifier l’enzyme ?
– Oui, lui répond Jean. Mais les requins ne vont probablement pas l’aimer ..."
Adam nous aurait-il trahi ?
Nous sommes rentrés de cet enfer,
Où tout n’était que mensonger.
Adam nous aurait-il trahi ?
J’ai vu Adam sur le chemin,
J’ai vu une mer de requins
Nous sommes revenus perdus
Adam Thobias nous a bien eus
Nous sommes rentrés de cet enfer,
Où tout n’était que mensonger.
Adam nous aurait-il trahi ?
J’ai vu des déchets de plastiques
Mais pas vraiment écologiques
J’ai pu nettoyer l’océan
Il ne restait plus rien dedans
Nous sommes rentrés de cet enfer,
Où tout n’était que mensonger.
Adam nous aurait-il trahi ?
Mission : les animaux sauvages,
Personne n’était dans les parages,
A part des tonnes de baleines,
Avachies sur une grande plaine
Nous sommes rentrés de cet enfer,
Où tout n’était que mensonger.
Adam nous aurait-il trahi ?