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Prologue

La décision de quitter la ville pour s’installer à la campagne murissait depuis plusieurs années dans l’esprit de Monsieur et Madame Morin-Diallo. Les problèmes d’asthme de Sarah, la petite dernière, et les plaintes incessantes des voisins lorsque les jumeaux Lucas et Salomon jouaient dans la cour de leur résidence du centre-ville de Lyon avaient fini par les convaincre de faire le grand saut. Alors, un matin d’août, les cinq Lyonnais accompagnés de leur chien et de leur chat s’étaient installés dans un coin reculé d’Ardèche au bord de la rivière la Bourges, dans une jolie maison de pierre abandonnée depuis seulement six mois. La santé déclinante du couple de retraités qui y avait vécu les avait poussés à rejoindre la vallée non loin d’un centre hospitalier et des services qu’il proposait aux personnes âgées. Les parents Morin-Diallo, Laurence et Driss, tout sourires, se réjouissaient. Enfin ils réalisaient leur rêve, offraient à leurs enfants de sept et douze ans un cadre de vie proche de la vie sauvage, où l’air était peu pollué et qui permettrait à leur progéniture d’évoluer au grand air, dans un milieu sain au plus près de la nature. Dès les premiers jours, la respiration de Sarah se fit plus fluide, aucun accès de toux à déplorer, son teint s’était éclairci, elle était radieuse, son père et sa mère s’en félicitait. Quant aux garçons, ils n’en revenaient pas de disposer d’un terrain de jeu qui leur semblait illimité. Ils couraient dans les bois, dévalaient les pentes à s’en couper le souffle, sautaient dans les cascades, s’aspergeaient d’eau dans la rivière, hurlant et riant sans déranger personne, un vrai bonheur.
Or, ce dont aucun d’entre eux ne se doutait, c’était que le vide de la maison qu’ils venaient d’investir n’était qu’apparent. En effet, cachés dans les nombreux recoins des deux étages que les Morin-Diallo occupaient, ainsi que dans le grenier, dans la cave, au beau milieu de ce qui avait été un potager, sur la rivière et partout sur ses rives, fourmillait un grand nombre d’espèces de la faune et de la flore locale. Des bactéries invisibles à l’œil nu, des insectes plus ou moins faciles à vivre, des reptiles surtout de petites tailles, des mammifères petits et grands, jusqu’aux oiseaux qui volaient librement au-dessus de la nouvelle demeure de Laurence et de Driss. Sans le savoir, les cinq bipèdes citadins et leurs deux animaux de compagnie bouleversaient tout un écosystème qui avait appris à exister sans devoir composer avec des humains.
Laurence entreprit d’abord de s’occuper du jardin qu’elle voulait rendre joli. Elle s’arma d’une énorme paire de ciseaux en métal et d’autres ustensiles et commença par se charger des mauvaises herbes : elle défrichait, éliminait toutes les plantes qui lui semblaient laides ou inutiles, une hécatombe. Dans la remise, Driss fut ravi de trouver une tondeuse à gazon dont le réservoir contenait encore suffisamment de carburant. Afin de rendre les alentours de leur propriété plus ordonnée, il sortit l’engin, et l’alluma. Un bruit de moteur vint perturber le calme à une centaine de mètres à la ronde, semant l’effroi dans la nature, d’autant que la fumée noire qui s’en échappait était irrespirable. Alors qu’ils jouaient dans le lit de la rivière, les deux garçons n’hésitaient pas à s’emparer de cailloux qu’ils jetaient à la surface pour s’éclabousser, sans se rendre compte qu’ils retiraient leurs abris à des crustacés livrés subitement sans secours aux attaques de leurs prédateurs. Leur chien, encore jeune et turbulent, ne sachant plus où donner du museau, pourchassait les papillons affolés, creusait la terre en arrachant les racines nécessaires à la survie des plantes, ses jeux détruisaient aussi l’habitat d’insectes incapables de vivre au grand jour. Le chat aussi jubilait, il avait à sa disposition un vaste terrain de chasse où les rongeurs dont il raffolait, découvraient bien trop tard son habileté et sa redoutable efficacité. Le petit félin ne mit pas vingt-quatre heures à s’adapter à son nouvel environnement, il en devint le principal prédateur.
En se rencontrant, deux univers qui n’aspiraient pourtant qu’à vivre en paix entraient en collision. Mais, ignorés par les humains, c’était au monde des plantes et des animaux de réagir, d’observer attentivement le comportement des nouveaux venus afin de s’y adapter, puis de trouver rapidement les moyens de cohabiter avec ceux qu’ils considéraient comme des intrus qui leur compliquaient l’existence.

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Wilfried N’SONDE

1/ Retour à la vie sauvage

C’est d’abord un couple d’étourneaux qui fait son nid dans les parties hautes du manoir en attendant d’y accueillir leurs petits. Quant aux rats et aux souris, ils n’ont plus peur d’être surpris par les habitants et commencent à se promener librement un peu partout dans le manoir. Les uns occupent le rez-de-chaussée, les autres l’étage. Des pissenlits couvrent petit à petit le sol de la cuisine, puis des salons, de la mousse et du lichen viennent les rejoindre, au-dessus s’élèvent des fougères. Les murs extérieurs s’effritent sous l’effet de la croissance des plantes grimpantes dont leurs racines brisent le béton et fissurent la brique. Les fenêtres se cassent, le métal rouille. Dans le jardin, les rosiers, les plans de tomates et les salades sont envahis par des plantes plus sauvages, une formidable diversité remplace la nature sélectionnée jadis par les Gaillard. Arrivent alors des papillons, des araignées des tritons, des grives et des hirondelles. Au rythme des saisons, un équilibre naturel se met en place. Ici, les orties prospèrent et servent de pouponnières à des centaines de chenilles qui, une fois devenues papillons, pollinisent les fleurs du jardin. Puis elles servent à leur tour de repas aux hirondelles, qui viennent d’élire domicile de l’autre côté du grenier pour élever leur progéniture. Le manoir et son jardin abritent un incroyable écosystème qui n’en finit pas de se développer. Un monde merveilleux et sauvage qui se croise et se confronte parfois en se disputant des territoires. Pour chasser, déjà des rapaces se mettent à roder au-dessus du domaine. Maintenant qu’il n’y a plus d’hommes pour les traquer, des renards osent s’aventurer dans toutes les pièces en rendant la vie des rongeurs plus difficile. Les fondements de la construction du manoir commencent à se lézarder, un arbre pousse sous le parquet en chêne, menace de le transpercer et de détruire le nouvel habitat des petits animaux et des plantes…

La faune, des bactéries microscopiques aux insectes sous la terre, jusqu’aux oiseaux dans le ciel et, les plantes, des plus petites comme les minuscules champignons aux mousses et aux grands arbres : le monde sauvage réinvestit le manoir. Peu à peu, son aspect change et, au fil du temps, disparaitra complètement et ne sera plus qu’un vague souvenir dans la mémoire de ceux qui l’ont connu. Avec autorité, la nature retrouve ses droits et montre qu’elle est capable d’avaler ce que les humains avaient construit.

Wilfried N’Sondé

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école du carreau

2/ Une nouvelle vie

Des années plus tard la nature a déjà bien repris ses droits dans le manoir. C’est le début de l’hiver et la nourriture commence à se faire rare pour certains.
Des jours que je n’ai rien avalé ; ni de bon lapin gras ni la moindre sucrerie. J’ère dans la forêt à la recherche de nourriture.
Arrivé à la lisière, j’aperçois un manoir au loin. Je flaire une bonne odeur de fraises sauvages. L’état du bâtiment m’indique qu’il a l’air abandonné, et comme j’ai faim je prends le risque humain ou pas. Je saute par-dessus une première clôture, je traverse un grand champ de blé envahit par des mauvaises herbes. Je passe par le trou d’une deuxième vieille clôture rouillée. Je contourne le manoir, me retrouve coincé par des haies immenses et infranchissables. Je sens que les fraises juteuses et sucrées sont toutes proches mais je dois pour les atteindre roder et trouver une faille dans ces haies. Je trouve enfin un jeune cerisier, l’escalade et à l’aide d’une branche basse, franchis enfin cette haie qui n’était finalement pas un si gros obstacle. Me voici dans ce qui reste d’un ancien jardin. Mon excitation est incroyable, je peux enfin les dévorer et calmer mon estomac.
Après m’être régalé de ces délicieuses fraises juteuses, je décide d’explorer un peu plus les lieux. Peut-être y a-t-il encore à manger dans cette immense bâtisse. Je grimpe sur le tronc d’un vieux cerisier qui poussait dans le jardin et qui est tombé sur le toit du manoir. Par chance il enjambe les haies et dans sa chute il a même percé la toiture.
Je rentre donc dans le manoir par cette ouverture et me retrouve dans ce qui me semble être le grenier. Je regarde s’il y a des lapins pour poursuivre mon repas, car comme tout le monde le sait les fraises ça ne nourrit pas assez et j’adore le lapin rôti. Malheureusement pour moi, il n’y en a point.
Pour oublier ma faim je descends les escaliers avec précaution, saute par-dessus les marches abimées jusqu’à ce qu’il disparaisse et m’oblige à faire l’équilibriste sur la rambarde. Arrivé à l’étage du dessous je vois un énorme arbre avec un trou en bas du tronc. Je décide de m’y loger un moment pour tester le confort du lieu. Epuisé je m’y endors profondément.
Quelques jours plus tard, il fait très beau et je veux prendre l’air. Je décide de descendre au rez-de-chaussée. En franchissant la dernière marche je salue une famille de hérissons. Ils sont blottis les uns contre les autres, dans un coin sombre. En tournant la tête j’aperçois une foule d’animaux, tous installés de manière différente. Des oiseaux nichés dans l’arbre de la maison, des araignées pendues au coin des plafonds, des cafards se baladant dans les fissures des murs qui servent aussi d’autoroute aux rats. Des geckos bronzent devant les vitres disparues. Des mulots semblent avoir envahi les tiroirs des meubles poussiéreux de la cuisine. Quelque part au-dessus de mes oreilles un nid de guêpe bourdonne. Deux jeunes campagnols jouent à faire des glissades dans la baignoire.

Mon estomac se réveille lorsque, en poursuivant mon inspection, j’entrevois deux petits lièvres appétissants. A ma vue, ils s’enfuient en sautant par une des fenêtres brisées qui donnent sur le jardin. Trop rapides pour moi, dommage. Je décide tout de même d’aller faire un tour dehors.
En me promenant dehors, j’aperçois un loup, au loin, dans la forêt. Il tente de me poursuivre mais heurte la clôture de plein fouet. Visiblement, il n’a pas vu le trou que j’ai emprunté la veille. En tombant elle lui blesse une patte. Il gémit, fait demi-tour en boitant et retourne dans la forêt, exaspéré.
Après avoir semé le loup, je retourne dans le manoir en sautant encore une fois par une fenêtre. J’atterris les quatre pattes dans l’eau. En tournant la tête je me rends compte que la salle est inondée à cause des pluies abondantes des derniers jours. Des grenouilles coassent en nageant tranquillement dans cette nouvelle mare.
Soudain, je tombe nez à nez avec une chose orange, des oreilles noires, deux yeux féroces. Par curiosité Je m’approche de cette bête jusqu’à coller mon museau au sien. Je bondis de peur au contact de l’eau glacée. Curieusement, l’autre fait de même. Je tourne à gauche, l’autre m’imite. Après toutes sortes de mouvements qu’il reproduit simultanément je finis par comprendre que c’est simplement mon reflet ; celui d’un vieux renard qui commence à être fatigué de courir partout et qui vient peut-être de trouver son dernier lieu de vie, une maison sans humain, mais pleine de vie, avec un confortable couchage dans le creux d’un arbre.
Et puis qui sait, ce ne sont peut-être pas mes dernières aventures

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Soizic ARNAUD

3/ Drôle de rencontre

Les jours, les semaines, les mois passent… L’ensemble de la communauté du manoir, les animaux comme les végétaux, cohabite sereinement. Le vieux renard a pris une place importante, du fait de son grand âge, et bien sûr aussi de sa malice. Tous le respectent pour son expérience et sa sagesse, et tous lui demandent conseil en cas de difficulté ou de problème. Son avis éclairé a toujours force de loi.
En une matinée de mai, pluvieuse et brumeuse, toute la communauté est réveillée promptement par un cri assourdissant… Celui-ci, bien que lointain, semble se rapprocher progressivement. Il n’est connu d’aucun animal, ni même du doyen du manoir. Le cri ne cessant pas, le bon vieux renard prend les devants à la vue de ses amis, effarouchés. L’hardi renard, d’un pas assuré, s’aventure dans la forêt, et trouve l’origine de ces hurlements : une bipède ! Étrangement, à la vue du renard, celle-ci s’apaise, ses pleurs cessent. Le rusé canidé rassure alors les membres de la communauté : cette jeune bipède, aux cheveux longs, soyeux, blonds et aux yeux ébène, est inoffensive et a besoin d’aide, perdue et abandonnée. À l’initiative du renard et d’un accord unanime, les habitants du manoir la prennent sous leur aile. À la nuit tombée, elle est déjà bien intégrée, malgré son langage si différent.
Quelques jours plus tard, le corps du renard est retrouvé, sans vie, au creux de son arbre. Il semble apaisé, comme si le sauvetage de la fillette et son « adoption » avaient constitué ses dernières missions en ce bas monde…
Un spectacle inédit aux yeux des humains commence alors devant la petite fille, désemparée face à la mort de celui qui était devenu son protecteur : elle voit l’équilibre de la nature se fragiliser sous le poids du deuil. Les fleurs ont l’air fanées ; une violente averse s’abat sur le manoir ; seul le bruit du tonnerre résonne. Tous les animaux et végétaux se réunissent, silencieusement. Ils enveloppent le renard dans des feuille des laurier et le placent au creux du grand arbre. Ils ajoutent des graines de sorbier qui au contact du corps fleurissent et se transforment, comme une poche de protection pour ce camarade qui leur avait tant appris. Les végétaux sentent quelques unes de leurs feuilles tomber au moment où l’écorce du grand arbre se referme sur le corps inerte du renard. La petite fille observe cette scène, muette, abasourdie face à la magie de la nature et à cet hommage mystérieux et poétique, auquel jamais un humain n’avait pu assister.
Plusieurs semaines passent ; la fillette aux cheveux blonds ayant désormais des reflets verdâtres, ornée d’une couronne de fleurs toujours magnifiques, a pris une place centrale au sein de la communauté du manoir. A la sagesse du vieux renard a succédé l’innocence et la pureté de cette enfant, comme un ciment fédérateur du microcosme de la vieille bâtisse. Elle-même paraît épanouie au sein de cette nature si douce et paisible, libérée des sentiments néfastes et des mauvais traitements que lui avaient fait subir les humains, et qui avaient conduit à sa fuite. Grace à cette harmonie bienveillante et fédératrice, elle ressent une plénitude totale à laquelle elle n’aurait jamais cru pouvoir accéder quand elle était avec ses semblables.
Un beau matin, elle décide de partir se promener un peu plus loin qu’à son habitude. Curieuse, et rassurée par l’omniprésence protectrice de la nature, elle décide de s’aventurer dans l’inconnu. Au détour d’un chemin elle aperçoit un village, qui la ramène à son passé. La tentation est trop forte… Elle s’approche à pas feutrés… et tombe sur un paysan qui s’écrie en la voyant : « C’est la sauvage dont ils parlent à la télé ! ». Prise d’effroi, elle s’enfuit, l’homme s’élançant à ses trousses. Elle ne pense qu’à rejoindre sa nouvelle famille. Sur son passage, les arbustes s’écartent, le sol s’adoucit ; la nature la protège, avant de de présenter son visage le plus hostile au poursuivant, subissant les assauts des ronces et des racines, et les attaques d’essaims d’insectes déterminés à protéger leur nouvelle « princesse ». Le bipède renonce à la rattraper.
De retour au manoir, plus de doute : la petite fille ne quittera plus cet endroit, si éloigné de la méchanceté des hommes, qui avait provoqué sa fuite. Elle décide de consacrer sa vie à la préservation de cette harmonieuse nature, comme un héritage légué par le sage renard, qui lui avait permis d’ouvrir les yeux.

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Collège Valdo

4/ L’espoir

La jeune fille vit seule pendant trois longues journées sans ni boire ni manger. Affamée, elle se lève au matin du troisième jour dans l’espoir de trouver quelque chose mais le bruit de la porte la stoppe. Discrètement, elle s’approche peu à peu de celle-ci.
Un garçon aux cheveux bruns et aux yeux vairons apparaît de nulle part et se précipite vers elle pour lui brailler des paroles incompréhensibles. Il reprend ses esprits puis dit : « Fuis ! Cache-toi ! Ils sont là, les hommes ! ». Sans attendre, elle part à tout vitesse se cacher tout en espérant que personne ne la trouve.
Tout à coup, la porte se claque brusquement. Elle lève la tête, regarde autour d’elle, et sans faire de bruit, elle soulève son corps qui lui paraît plus lourd que jamais puis se dirige vers la porte. Elle ne voit personne, pas même le garçon à peine plus âgé qu’elle.
Après un long moment d’attente, la fillette sort de la maison, avec l’espoir de trouver de quoi se nourrir. Elle trouve un fruit, une pomme. Elle l’avale. Sa gorge est aussi sèche que le Sahara. La petite fille fait alors le tour des environs pour trouver de l’eau. Une grande rivière s’offre à elle. Elle en profite puis rentre dans la vieille baraque qui l’attend.
A sa grande surprise, elle trouve les hommes qui la cherchent, assoupis dans un coin. Son corps se fige, elle n’ose plus respirer, quand elle voit un des paysans ouvrir les yeux, elle sent son corps la lâcher. Quand celui-ci l’aperçoit, il se lève d’un bond. Elle reprend contrôle de son corps et s’en va, elle trouve une trappe et se cache dedans.
Une lumière s’allume... Ce n’est pas de l’électricité, coupée depuis longtemps, mais des lucioles ! Elle s’en approche et remarque qu’il y a tout un garde-manger dans ce sous-sol. Cette découverte lui fait oublier les hommes qui sont probablement encore dans la maison en ce moment. La fillette se remplit la panse comme si c’était la dernière fois qu’elle mangeait de sa vie. Elle repense au garçon qui l’a prévenue en se demandant « Qui est-il donc ? »
Quelques heures passent quand elle se décide enfin à sortir de sa cachette. Les hommes ne sont plus là, le manoir est vide. La petite sort de la maison, elle respire l’air frais quand une fleur atterrit dans sa main. Émerveillée, elle la porte à son oreille. Elle jette un petit coup d’œil à la maison et est éblouie : elle voit des iris, des chrysanthèmes, du jasmin éclore et recouvrir la maison ; le mur semble peint de couleurs vives et éclatantes : du rose, du blanc, du violet recouvrent désormais ses murs.
En s’approchant de la demeure maintenant décorée de roses, la fille s’aperçoit que les vêtements de l’homme qui l’a chassée il y a de cela quelques heures y sont accrochés. Est-ce la nature qui l’a sauvée de ce malotru ? Comment cela est-il possible ? L’apparition du garçon, les fleurs, la maison : il y a des mystères qu’elle n’éclaircira pas.
Elle qui n’avait plus aucun espoir de s’en sortir se jure maintenant de protéger cette maison quoi qu’il en coûte : pour elle, cette maison l’a sauvée. Elle va la sauver à son tour et continuera à se battre pour que la maison reste en vie. L’espoir continue de survivre, et même s’il est faible, même si des obstacles se présentent, elle tentera de les surmonter : l’espoir laisse toujours une lueur derrière lui.

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Wilfried N’SONDE

1/ Retour à la vie sauvage

C’est d’abord un couple d’étourneaux qui fait son nid dans les parties hautes du manoir en attendant d’y accueillir leurs petits. Quant aux rats et aux souris, ils n’ont plus peur d’être surpris par les habitants et commencent à se promener librement un peu partout dans le manoir. Les uns occupent le rez-de-chaussée, les autres l’étage. Des pissenlits couvrent petit à petit le sol de la cuisine, puis des salons, de la mousse et du lichen viennent les rejoindre, au-dessus s’élèvent des fougères. Les murs extérieurs s’effritent sous l’effet de la croissance des plantes grimpantes dont leurs racines brisent le béton et fissurent la brique. Les fenêtres se cassent, le métal rouille. Dans le jardin, les rosiers, les plans de tomates et les salades sont envahis par des plantes plus sauvages, une formidable diversité remplace la nature sélectionnée jadis par les Gaillard. Arrivent alors des papillons, des araignées des tritons, des grives et des hirondelles. Au rythme des saisons, un équilibre naturel se met en place. Ici, les orties prospèrent et servent de pouponnières à des centaines de chenilles qui, une fois devenues papillons, pollinisent les fleurs du jardin. Puis elles servent à leur tour de repas aux hirondelles, qui viennent d’élire domicile de l’autre côté du grenier pour élever leur progéniture. Le manoir et son jardin abritent un incroyable écosystème qui n’en finit pas de se développer. Un monde merveilleux et sauvage qui se croise et se confronte parfois en se disputant des territoires. Pour chasser, déjà des rapaces se mettent à roder au-dessus du domaine. Maintenant qu’il n’y a plus d’hommes pour les traquer, des renards osent s’aventurer dans toutes les pièces en rendant la vie des rongeurs plus difficile. Les fondements de la construction du manoir commencent à se lézarder, un arbre pousse sous le parquet en chêne, menace de le transpercer et de détruire le nouvel habitat des petits animaux et des plantes…

La faune, des bactéries microscopiques aux insectes sous la terre, jusqu’aux oiseaux dans le ciel et, les plantes, des plus petites comme les minuscules champignons aux mousses et aux grands arbres : le monde sauvage réinvestit le manoir. Peu à peu, son aspect change et, au fil du temps, disparaitra complètement et ne sera plus qu’un vague souvenir dans la mémoire de ceux qui l’ont connu. Avec autorité, la nature retrouve ses droits et montre qu’elle est capable d’avaler ce que les humains avaient construit.

Wilfried N’Sondé

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2/ Une nouvelle vie

Des années plus tard la nature a déjà bien repris ses droits dans le manoir. C’est le début de l’hiver et la nourriture commence à se faire rare pour certains.
Des jours que je n’ai rien avalé ; ni de bon lapin gras ni la moindre sucrerie. J’ère dans la forêt à la recherche de nourriture.
Arrivé à la lisière, j’aperçois un manoir au loin. Je flaire une bonne odeur de fraises sauvages. L’état du bâtiment m’indique qu’il a l’air abandonné, et comme j’ai faim je prends le risque humain ou pas. Je saute par-dessus une première clôture, je traverse un grand champ de blé envahit par des mauvaises herbes. Je passe par le trou d’une deuxième vieille clôture rouillée. Je contourne le manoir, me retrouve coincé par des haies immenses et infranchissables. Je sens que les fraises juteuses et sucrées sont toutes proches mais je dois pour les atteindre roder et trouver une faille dans ces haies. Je trouve enfin un jeune cerisier, l’escalade et à l’aide d’une branche basse, franchis enfin cette haie qui n’était finalement pas un si gros obstacle. Me voici dans ce qui reste d’un ancien jardin. Mon excitation est incroyable, je peux enfin les dévorer et calmer mon estomac.
Après m’être régalé de ces délicieuses fraises juteuses, je décide d’explorer un peu plus les lieux. Peut-être y a-t-il encore à manger dans cette immense bâtisse. Je grimpe sur le tronc d’un vieux cerisier qui poussait dans le jardin et qui est tombé sur le toit du manoir. Par chance il enjambe les haies et dans sa chute il a même percé la toiture.
Je rentre donc dans le manoir par cette ouverture et me retrouve dans ce qui me semble être le grenier. Je regarde s’il y a des lapins pour poursuivre mon repas, car comme tout le monde le sait les fraises ça ne nourrit pas assez et j’adore le lapin rôti. Malheureusement pour moi, il n’y en a point.
Pour oublier ma faim je descends les escaliers avec précaution, saute par-dessus les marches abimées jusqu’à ce qu’il disparaisse et m’oblige à faire l’équilibriste sur la rambarde. Arrivé à l’étage du dessous je vois un énorme arbre avec un trou en bas du tronc. Je décide de m’y loger un moment pour tester le confort du lieu. Epuisé je m’y endors profondément.
Quelques jours plus tard, il fait très beau et je veux prendre l’air. Je décide de descendre au rez-de-chaussée. En franchissant la dernière marche je salue une famille de hérissons. Ils sont blottis les uns contre les autres, dans un coin sombre. En tournant la tête j’aperçois une foule d’animaux, tous installés de manière différente. Des oiseaux nichés dans l’arbre de la maison, des araignées pendues au coin des plafonds, des cafards se baladant dans les fissures des murs qui servent aussi d’autoroute aux rats. Des geckos bronzent devant les vitres disparues. Des mulots semblent avoir envahi les tiroirs des meubles poussiéreux de la cuisine. Quelque part au-dessus de mes oreilles un nid de guêpe bourdonne. Deux jeunes campagnols jouent à faire des glissades dans la baignoire.

Mon estomac se réveille lorsque, en poursuivant mon inspection, j’entrevois deux petits lièvres appétissants. A ma vue, ils s’enfuient en sautant par une des fenêtres brisées qui donnent sur le jardin. Trop rapides pour moi, dommage. Je décide tout de même d’aller faire un tour dehors.
En me promenant dehors, j’aperçois un loup, au loin, dans la forêt. Il tente de me poursuivre mais heurte la clôture de plein fouet. Visiblement, il n’a pas vu le trou que j’ai emprunté la veille. En tombant elle lui blesse une patte. Il gémit, fait demi-tour en boitant et retourne dans la forêt, exaspéré.
Après avoir semé le loup, je retourne dans le manoir en sautant encore une fois par une fenêtre. J’atterris les quatre pattes dans l’eau. En tournant la tête je me rends compte que la salle est inondée à cause des pluies abondantes des derniers jours. Des grenouilles coassent en nageant tranquillement dans cette nouvelle mare.
Soudain, je tombe nez à nez avec une chose orange, des oreilles noires, deux yeux féroces. Par curiosité Je m’approche de cette bête jusqu’à coller mon museau au sien. Je bondis de peur au contact de l’eau glacée. Curieusement, l’autre fait de même. Je tourne à gauche, l’autre m’imite. Après toutes sortes de mouvements qu’il reproduit simultanément je finis par comprendre que c’est simplement mon reflet ; celui d’un vieux renard qui commence à être fatigué de courir partout et qui vient peut-être de trouver son dernier lieu de vie, une maison sans humain, mais pleine de vie, avec un confortable couchage dans le creux d’un arbre.
Et puis qui sait, ce ne sont peut-être pas mes dernières aventures

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Les jours, les semaines, les mois passent… L’ensemble de la communauté du manoir, les animaux comme les végétaux, cohabite sereinement. Le vieux renard a pris une place importante, du fait de son grand âge, et bien sûr aussi de sa malice. Tous le respectent pour son expérience et sa sagesse, et tous lui demandent conseil en cas de difficulté ou de problème. Son avis éclairé a toujours force de loi.
En une matinée de mai, pluvieuse et brumeuse, toute la communauté est réveillée promptement par un cri assourdissant… Celui-ci, bien que lointain, semble se rapprocher progressivement. Il n’est connu d’aucun animal, ni même du doyen du manoir. Le cri ne cessant pas, le bon vieux renard prend les devants à la vue de ses amis, effarouchés. L’hardi renard, d’un pas assuré, s’aventure dans la forêt, et trouve l’origine de ces hurlements : une bipède ! Étrangement, à la vue du renard, celle-ci s’apaise, ses pleurs cessent. Le rusé canidé rassure alors les membres de la communauté : cette jeune bipède, aux cheveux longs, soyeux, blonds et aux yeux ébène, est inoffensive et a besoin d’aide, perdue et abandonnée. À l’initiative du renard et d’un accord unanime, les habitants du manoir la prennent sous leur aile. À la nuit tombée, elle est déjà bien intégrée, malgré son langage si différent.
Quelques jours plus tard, le corps du renard est retrouvé, sans vie, au creux de son arbre. Il semble apaisé, comme si le sauvetage de la fillette et son « adoption » avaient constitué ses dernières missions en ce bas monde…
Un spectacle inédit aux yeux des humains commence alors devant la petite fille, désemparée face à la mort de celui qui était devenu son protecteur : elle voit l’équilibre de la nature se fragiliser sous le poids du deuil. Les fleurs ont l’air fanées ; une violente averse s’abat sur le manoir ; seul le bruit du tonnerre résonne. Tous les animaux et végétaux se réunissent, silencieusement. Ils enveloppent le renard dans des feuille des laurier et le placent au creux du grand arbre. Ils ajoutent des graines de sorbier qui au contact du corps fleurissent et se transforment, comme une poche de protection pour ce camarade qui leur avait tant appris. Les végétaux sentent quelques unes de leurs feuilles tomber au moment où l’écorce du grand arbre se referme sur le corps inerte du renard. La petite fille observe cette scène, muette, abasourdie face à la magie de la nature et à cet hommage mystérieux et poétique, auquel jamais un humain n’avait pu assister.
Plusieurs semaines passent ; la fillette aux cheveux blonds ayant désormais des reflets verdâtres, ornée d’une couronne de fleurs toujours magnifiques, a pris une place centrale au sein de la communauté du manoir. A la sagesse du vieux renard a succédé l’innocence et la pureté de cette enfant, comme un ciment fédérateur du microcosme de la vieille bâtisse. Elle-même paraît épanouie au sein de cette nature si douce et paisible, libérée des sentiments néfastes et des mauvais traitements que lui avaient fait subir les humains, et qui avaient conduit à sa fuite. Grace à cette harmonie bienveillante et fédératrice, elle ressent une plénitude totale à laquelle elle n’aurait jamais cru pouvoir accéder quand elle était avec ses semblables.
Un beau matin, elle décide de partir se promener un peu plus loin qu’à son habitude. Curieuse, et rassurée par l’omniprésence protectrice de la nature, elle décide de s’aventurer dans l’inconnu. Au détour d’un chemin elle aperçoit un village, qui la ramène à son passé. La tentation est trop forte… Elle s’approche à pas feutrés… et tombe sur un paysan qui s’écrie en la voyant : « C’est la sauvage dont ils parlent à la télé ! ». Prise d’effroi, elle s’enfuit, l’homme s’élançant à ses trousses. Elle ne pense qu’à rejoindre sa nouvelle famille. Sur son passage, les arbustes s’écartent, le sol s’adoucit ; la nature la protège, avant de de présenter son visage le plus hostile au poursuivant, subissant les assauts des ronces et des racines, et les attaques d’essaims d’insectes déterminés à protéger leur nouvelle « princesse ». Le bipède renonce à la rattraper.
De retour au manoir, plus de doute : la petite fille ne quittera plus cet endroit, si éloigné de la méchanceté des hommes, qui avait provoqué sa fuite. Elle décide de consacrer sa vie à la préservation de cette harmonieuse nature, comme un héritage légué par le sage renard, qui lui avait permis d’ouvrir les yeux.

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4/ L’espoir

La jeune fille vit seule pendant trois longues journées sans ni boire ni manger. Affamée, elle se lève au matin du troisième jour dans l’espoir de trouver quelque chose mais le bruit de la porte la stoppe. Discrètement, elle s’approche peu à peu de celle-ci.
Un garçon aux cheveux bruns et aux yeux vairons apparaît de nulle part et se précipite vers elle pour lui brailler des paroles incompréhensibles. Il reprend ses esprits puis dit : « Fuis ! Cache-toi ! Ils sont là, les hommes ! ». Sans attendre, elle part à tout vitesse se cacher tout en espérant que personne ne la trouve.
Tout à coup, la porte se claque brusquement. Elle lève la tête, regarde autour d’elle, et sans faire de bruit, elle soulève son corps qui lui paraît plus lourd que jamais puis se dirige vers la porte. Elle ne voit personne, pas même le garçon à peine plus âgé qu’elle.
Après un long moment d’attente, la fillette sort de la maison, avec l’espoir de trouver de quoi se nourrir. Elle trouve un fruit, une pomme. Elle l’avale. Sa gorge est aussi sèche que le Sahara. La petite fille fait alors le tour des environs pour trouver de l’eau. Une grande rivière s’offre à elle. Elle en profite puis rentre dans la vieille baraque qui l’attend.
A sa grande surprise, elle trouve les hommes qui la cherchent, assoupis dans un coin. Son corps se fige, elle n’ose plus respirer, quand elle voit un des paysans ouvrir les yeux, elle sent son corps la lâcher. Quand celui-ci l’aperçoit, il se lève d’un bond. Elle reprend contrôle de son corps et s’en va, elle trouve une trappe et se cache dedans.
Une lumière s’allume... Ce n’est pas de l’électricité, coupée depuis longtemps, mais des lucioles ! Elle s’en approche et remarque qu’il y a tout un garde-manger dans ce sous-sol. Cette découverte lui fait oublier les hommes qui sont probablement encore dans la maison en ce moment. La fillette se remplit la panse comme si c’était la dernière fois qu’elle mangeait de sa vie. Elle repense au garçon qui l’a prévenue en se demandant « Qui est-il donc ? »
Quelques heures passent quand elle se décide enfin à sortir de sa cachette. Les hommes ne sont plus là, le manoir est vide. La petite sort de la maison, elle respire l’air frais quand une fleur atterrit dans sa main. Émerveillée, elle la porte à son oreille. Elle jette un petit coup d’œil à la maison et est éblouie : elle voit des iris, des chrysanthèmes, du jasmin éclore et recouvrir la maison ; le mur semble peint de couleurs vives et éclatantes : du rose, du blanc, du violet recouvrent désormais ses murs.
En s’approchant de la demeure maintenant décorée de roses, la fille s’aperçoit que les vêtements de l’homme qui l’a chassée il y a de cela quelques heures y sont accrochés. Est-ce la nature qui l’a sauvée de ce malotru ? Comment cela est-il possible ? L’apparition du garçon, les fleurs, la maison : il y a des mystères qu’elle n’éclaircira pas.
Elle qui n’avait plus aucun espoir de s’en sortir se jure maintenant de protéger cette maison quoi qu’il en coûte : pour elle, cette maison l’a sauvée. Elle va la sauver à son tour et continuera à se battre pour que la maison reste en vie. L’espoir continue de survivre, et même s’il est faible, même si des obstacles se présentent, elle tentera de les surmonter : l’espoir laisse toujours une lueur derrière lui.