Coexister, dominer, recommencer

Prologue

Localisation : Un bunker sous terre au milieu du Sahara
Année : 2050
Jour et heure : cela ne nous importe plus, maintenant que le monde est détruit, nous n’avons plus l’heure mais nous avons le temps : enfin !

Je n’ai rien oublié de mon ancienne vie, de tout ce que j’ai perdu, de la beauté d’un coucher de soleil, du mouvement lent et majestueux des vagues sur la plage de mon enfance, des histoires que me racontait ma mère. Je n’ai rien oublié du rire joyeux de mes propres enfants jouant à la balle au prisonnier dans le jardin. Rien non plus de ma sœur et mon frère, de notre enfance de petits noirs dans un village de France qui nous a tôt appris à affronter l’adversité. Je n’oublie pas que j’ai été heureuse. J’ai construit ma force et mon énergie, j’ai pu penser l’avenir malgré le Grand Effondrement parce que je savais que ce bonheur-là était possible, qu’une communauté bienveillante, imaginative pouvait sauver du pire des malheurs.
Je suis la plus vieille du projet, c’est moi qui l’ait conçu. Ici, il m’appelle tous Vieille Mère.
J’ai tout perdu au moment du Grand Effondrement en 2030. Tous ceux que j’aimais, ma maison, ma famille, les couchers de soleil, la mer, le chant doux des oiseaux au printemps, la caresse du vent sur mon visage, la table garnie et les amis en fête. Tout !
Depuis des décennies les puissants se faisaient la guerre. Ils fabriquaient des armes sophistiquées, ils n’avaient pas envisagé que leur avidité, leur quête d’un pouvoir hégémonique finiraient par créer notre perte à tous. Le budget de la défense était de plus en plus important, au détriment de la santé, du bien commun. L’éducation avait été abandonnée, la santé des plus fragiles délaissée, ils nous avaient transformés en corps brisés, malades, mal-éduqués, effrayés et méchants. Ils avaient permis que la terre soit abimée pour le confort immédiat de certains, ils avaient moqués, contredits les scientifiques qui prédisaient le désastre écologique en cours. Alors même que les tempêtes étaient plus virulentes, les incendies plus destructeurs et que des sécheresses terribles nous rendaient plus fragiles, ils avaient réussi à nous convaincre que l’étranger était le plus grand danger qui soit, à nous monter les uns contre les autres jusque dans notre intimité. Et quand ils avaient utilisé leurs armes, leurs bombes, nous avions applaudi parce que ce n’était pas contre nous mais contre des hommes, des femmes, des enfants que l’on nous désignait comme ennemis. Des personnes que nous n’avions jamais vu, qui vivaient à des milliers de kilomètres de nous et que nous les autorisions à massacrer parce qu’ils nous répétaient « c’est eux ou vous ! »
Je suis née à la fin du siècle dernier, j’étais là, j’ai tout vu. J’ai, inscrit dans ma mémoire comme un tatouage au fer rouge, la première bombe nucléaire et celles qui ont suivies en rétorsion. Je ne sais plus qui a commencé. Il n’y a plus personne pour écrire cette histoire. Je ne sais plus si c’était la Chine, les USA, la Russie, Israël ou la France. Dans le Projet Anticipation, nous avons compris qu’aucune guerre n’est nécessaire, aucune ne se gagne. Le premier sang versé à l’origine du monde crie vengeance et dans un cercle pervers, dévastateur, les mêmes horreurs se reproduisent.
J’étais ce qu’on appelait en ce temps-là une nerd. Très jeune, j’avais compris l’intérêt de l’informatique, du numérique et de la façon dont on pouvait s’en servir soit pour abêtir, dominer, s’enrichir, soit pour rendre les nôtres plus conscients de leur vulnérabilité et plus solidaires. J’ai choisi la seconde option.
Nous étions six femmes : Joyce et Annabella qui nous viennent des Etats Unis et du Brésil, Hua qui est chinoise, Rim qui est libanaise, Chloé française et moi, Sol, diminutif de mon prénom car mes parents m’ont appelée Soleil, prénom que j’ai transformé en Sol, comme le plancher où j’ai besoin de m’arrimer. Pas aussi vaste que la terre, mais Sol, comme l’endroit à la fois modeste et essentiel où tu poses tes pieds à chaque pas.
Le monde allait à vau-l’eau, j’ai contacté les femmes les plus brillantes de leur génération et elles m’ont écoutées quand je leur ai dit, « tout ça va mal se finir, nous devons nous préparer dès à présent à accoucher de l’avenir »
C’est ainsi qu’est né le Projet Anticipation. Le plan B d’un monde qui, c’était à prévoir, a implosé. Nous avons inventé la machine à remonter le temps et décider de réparer notre monde cassé en sauvant Les Vulnérables.

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Wilfried N’SONDE

1/ Retour à la vie sauvage

C’est d’abord un couple d’étourneaux qui fait son nid dans les parties hautes du manoir en attendant d’y accueillir leurs petits. Quant aux rats et aux souris, ils n’ont plus peur d’être surpris par les habitants et commencent à se promener librement un peu partout dans le manoir. Les uns occupent le rez-de-chaussée, les autres l’étage. Des pissenlits couvrent petit à petit le sol de la cuisine, puis des salons, de la mousse et du lichen viennent les rejoindre, au-dessus s’élèvent des fougères. Les murs extérieurs s’effritent sous l’effet de la croissance des plantes grimpantes dont leurs racines brisent le béton et fissurent la brique. Les fenêtres se cassent, le métal rouille. Dans le jardin, les rosiers, les plans de tomates et les salades sont envahis par des plantes plus sauvages, une formidable diversité remplace la nature sélectionnée jadis par les Gaillard. Arrivent alors des papillons, des araignées des tritons, des grives et des hirondelles. Au rythme des saisons, un équilibre naturel se met en place. Ici, les orties prospèrent et servent de pouponnières à des centaines de chenilles qui, une fois devenues papillons, pollinisent les fleurs du jardin. Puis elles servent à leur tour de repas aux hirondelles, qui viennent d’élire domicile de l’autre côté du grenier pour élever leur progéniture. Le manoir et son jardin abritent un incroyable écosystème qui n’en finit pas de se développer. Un monde merveilleux et sauvage qui se croise et se confronte parfois en se disputant des territoires. Pour chasser, déjà des rapaces se mettent à roder au-dessus du domaine. Maintenant qu’il n’y a plus d’hommes pour les traquer, des renards osent s’aventurer dans toutes les pièces en rendant la vie des rongeurs plus difficile. Les fondements de la construction du manoir commencent à se lézarder, un arbre pousse sous le parquet en chêne, menace de le transpercer et de détruire le nouvel habitat des petits animaux et des plantes…

La faune, des bactéries microscopiques aux insectes sous la terre, jusqu’aux oiseaux dans le ciel et, les plantes, des plus petites comme les minuscules champignons aux mousses et aux grands arbres : le monde sauvage réinvestit le manoir. Peu à peu, son aspect change et, au fil du temps, disparaitra complètement et ne sera plus qu’un vague souvenir dans la mémoire de ceux qui l’ont connu. Avec autorité, la nature retrouve ses droits et montre qu’elle est capable d’avaler ce que les humains avaient construit.

Wilfried N’Sondé

Coexister, dominer, recommencer
Collège Jean Moulin

2/ A l’assaut

Tout est froid...je vois tant de chose...tout est si froid...
Dans son tunnel de bois, un petit cocon se déchira, laissant sortir une petite bête molle et fragile, qui bougeait lentement son corps fripé. La douce et chaude lumière du soleil, qui filtrait à travers les feuilles, caressait son corps pour la première fois depuis des semaines.
Lumière...tout se brise...tout me brûle..
La petite lyctus découvrit le monde extérieur. Elle avait alors 6 pattes et une chaude couleur brunâtre. Le nouvel environnement lui parut alors d’une taille infinie, elle qui était habituée à la chaleur protectrice de son tunnel.
Petit à petit, elle s’était transformée ; plus lentement mais comme les autres ; la larve jaunâtre avait laissé place à un beau corps allongé . Depuis quelques jours, ils étaient en train de grandir. Elle était habituée à être à part mais parfois, elle aurait bien aimé pouvoir courir comme les autres. Ses petites pattes ne la portaient pas encore.
Elle attendit quelques heures pour s’assurer d’aucune présence dangereuse, puis elle se lança. Il y avait une longue route pour aller jusqu’à cette demeure, surtout pour un petit insecte de cinq millimètres de long.
Le jardin avait déjà commencé à s’installer : Les belles allées avaient disparu, laissant place à une jungle où chaque légume semblait vouloir prendre le dessus sur l’autre.
A l’intérieur, des mousses couvraient les murs, des arbres avaient transpercé le sol, quelques oiseaux nichaient sous le plafond, dans leur nid coincé entre les pierres usées.
Elle quitta son abri et s’enfonça dans la « forêt » du jardin. Elle n’y voyait pas grand-chose à cause des herbes hautes qui n’avaient pas était entretenues depuis un long moment. La terre humide lui chatouillait le ventre. Elle accéléra lorsqu’elle sentit au loin une vieille souche d’arbre en décomposition, à moitié embourbée. Elle était dans un coin du manoir abandonné. Un petit espace humide et à l’ombre. L’endroit rêvé pour s’y réfugier, se nourrir et surtout, se reproduire...

Coexister, dominer, recommencer
Wilfried N’SONDE

3/ LE PERIL ROUX

D’abord elle se détendit, s’enivra du parfum rassurant du bois gorgé de pluie qui se dégradait au contact de l’air. Pour elle, un univers rêvé, un havre de paix, une incroyable perspective de bonheur. Son corps se mit à frétiller, elle commençait à se frayer une place dans ce qui allait devenir son foyer.
À l’extérieur, de gros nuages gris roulaient dans le ciel ombragé, le vent se leva, il se mit à balayer la campagne de plus en plus fort. Le souffle soulevait les feuilles mortes, les brindilles, les branches tremblaient tant que des peuples entiers d’insectes habitants en haut des grands arbres de la forêt perdaient l’équilibre. Certains planaient dans les airs en attendant d’échouer sur la terre ferme. Quant à ceux qui pouvaient voler, ils se dépêchaient de déployer leurs ailes en essayant de redresser leurs courses contrariées par la puissance des bourrasques qui les faisaient tourbillonner sur elles-mêmes.
Un premier éclair zébra le ciel d’une ligne dorée, au moment où elle s’était déjà enfoncée d’au moins un centimètre à la base de la souche, là où le mélange de liquide et de terre lui offrait un asile idéal. Le grondement rageux du tonnerre ne l’inquiéta pas non plus, la musique des gouttes qui rythmaient leur symphonie sur le toit, le sol et le sous-bois la rassura. Or, la mélodie de l’orage étouffa le bruit des quatre coussinets de velours qui retombèrent simultanément sur le parquet en partie vermoulu à quelques mètres seulement d’elle qui se délectait de l’intempérie et du délice de s’installer. Le félin glissa d’à peine un millimètre avant de se retrouver en équilibre parfait après le saut qui lui avait permis d’atteindre le hall d’entrée pour échapper à l’eau, l’élément qu’il détestait plus que tout au monde. D’avoir était rattrapé par la pluie le contrariait, il inspecta les alentours d’un regard sombre et se dit que quelque chose ne tournait pas rond. Ce lieu ressemblait à l’habitat humain qu’il avait l’habitude de fréquenter, mais en même temps son aspect avait complètement changé. Les odeurs et les bruits n’étaient plus les mêmes, à croire que la vieille humaine avait disparu… Il n’entendait plus que les sons du mauvais temps qui sévissait dehors. Alors, il secoua son pelage tigré roux et blanc, puis se lécha le corps méthodiquement.
Son ouïe hypersensible détecta comme un bourdonnement : quelque chose de vivant bougeait là-bas. « Du menu fretin », se dit-il, « Ça ne me rassasiera pas mais un peu d’exercice ne peut pas faire de mal ! ». Il tendit l’oreille et, parmi les nombreuses aspérités à la surface de la souche, repéra celle d’où venait le bruit. Le trou creusé par l’insecte qui pensait s’y réfugier et fonder une famille se transforma en piège mortel. Le chat plaqua ses membres sous son ventre, les yeux écarquillés fixés sur sa proie, progressait très lentement en direction de son encas. Une lente avancée, centimètre par centimètre, sans faire le moindre bruit, comme s’il se fondait dans l’environnement, ne faisait plus qu’un avec l’atmosphère ou se diluait dans les lattes de bois. Il fallait tout de même se presser, un imprévu était si vite arrivé, un rien pouvait advenir et gâcher tout le travail de préparation de l’assaut. Il agita son bassin quelques secondes, s’élança vers sa proie et s’abattit sur elle qui n’eut même pas le temps de réaliser qu’elle passait de vie à trépas. L’attaque avait été fulgurante, un être s’était éteint, un autre se léchait tranquillement les babines.
Après cette distraction passagère, le chat en revint à ses préoccupations et se demanda d’abord où était passée la vieille humaine qui y demeurait ? Il se souvint qu’elle l’avait recueilli au milieu d’une clairière alors qu’il n’était qu’un nourrisson miaulant d’inquiétude en appelant sa mère qui ne revint jamais. Elle l’avait recueilli, nourri et protégé mais toujours respecté sa liberté d’aller et venir comme bon lui semblait. Le chat se coucha en position de sphinx, ferma les yeux et se mit à rêver du temps où il vivait parmi les humains, au temps où il était le seul animal toléré dans le manoir.

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Collège Jean Jaurès

4/ L’effondrement

La famille qui était propriétaire du manoir avait enfin trouvé un arrangement, et comptait bien le reprendre à la nature.
Pendant ce temps le chat qui cherchait un logement tomba soudainement sur ce manoir au beau milieu de nulle part dans un foret déserte. Aucun bruit, aucun signe de vie rien ... mais à contre cœur il fut obligé d’y aller car cela faisait bien longtemps qu’il cherchait une habitation et il avait enfin trouvé une. Il n’allait tout de même pas se plaindre.
Le manoir était infesté de termites, la charpente, le plancher et les pilier de bois étaient sur le point de s’effondrer. Dans l’obscurité, les couloirs autrefois animés été désormais des simples couloirs poussiéreux.Constamment un bruit sourd résonnait, des portes claquaient à cause du vent et grinçaient... Des rais de lumière éclairaient les lieux à travers des trous avaient percé les murs avec le temps. Epuisé par sa découverte, il partit dormir dans un coin humide troué par les insectes.
En arrivant à leur tour au manoir, les propriétaires furent étonnés de voir que la nature avait repris l’état sauvage. Ils rentrèrent dans le bâtiment avant d’être interpellés par un de leurs enfants resté à l’extérieur. N’entendant pas ce que le bambin leur criait, ils retournèrent inspecter l’intérieur. C’est alors que le chat roux sortit d’un trou creusé dans le bois d’un pilier et miaula si fort qu’on aurait cru entendre une sirène. Les parents, intrigués par ces miaulements étranges, suivirent le chat jusqu’à l’extérieur. A peine furent-ils sortis que la majeure partie de bâtiment s’écroula.

C’en était fini du manoir, les lieux revenaient définitivement à la nature.

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1/ Retour à la vie sauvage

C’est d’abord un couple d’étourneaux qui fait son nid dans les parties hautes du manoir en attendant d’y accueillir leurs petits. Quant aux rats et aux souris, ils n’ont plus peur d’être surpris par les habitants et commencent à se promener librement un peu partout dans le manoir. Les uns occupent le rez-de-chaussée, les autres l’étage. Des pissenlits couvrent petit à petit le sol de la cuisine, puis des salons, de la mousse et du lichen viennent les rejoindre, au-dessus s’élèvent des fougères. Les murs extérieurs s’effritent sous l’effet de la croissance des plantes grimpantes dont leurs racines brisent le béton et fissurent la brique. Les fenêtres se cassent, le métal rouille. Dans le jardin, les rosiers, les plans de tomates et les salades sont envahis par des plantes plus sauvages, une formidable diversité remplace la nature sélectionnée jadis par les Gaillard. Arrivent alors des papillons, des araignées des tritons, des grives et des hirondelles. Au rythme des saisons, un équilibre naturel se met en place. Ici, les orties prospèrent et servent de pouponnières à des centaines de chenilles qui, une fois devenues papillons, pollinisent les fleurs du jardin. Puis elles servent à leur tour de repas aux hirondelles, qui viennent d’élire domicile de l’autre côté du grenier pour élever leur progéniture. Le manoir et son jardin abritent un incroyable écosystème qui n’en finit pas de se développer. Un monde merveilleux et sauvage qui se croise et se confronte parfois en se disputant des territoires. Pour chasser, déjà des rapaces se mettent à roder au-dessus du domaine. Maintenant qu’il n’y a plus d’hommes pour les traquer, des renards osent s’aventurer dans toutes les pièces en rendant la vie des rongeurs plus difficile. Les fondements de la construction du manoir commencent à se lézarder, un arbre pousse sous le parquet en chêne, menace de le transpercer et de détruire le nouvel habitat des petits animaux et des plantes…

La faune, des bactéries microscopiques aux insectes sous la terre, jusqu’aux oiseaux dans le ciel et, les plantes, des plus petites comme les minuscules champignons aux mousses et aux grands arbres : le monde sauvage réinvestit le manoir. Peu à peu, son aspect change et, au fil du temps, disparaitra complètement et ne sera plus qu’un vague souvenir dans la mémoire de ceux qui l’ont connu. Avec autorité, la nature retrouve ses droits et montre qu’elle est capable d’avaler ce que les humains avaient construit.

Wilfried N’Sondé

Coexister, dominer, recommencer
Collège Jean Moulin

2/ A l’assaut

Tout est froid...je vois tant de chose...tout est si froid...
Dans son tunnel de bois, un petit cocon se déchira, laissant sortir une petite bête molle et fragile, qui bougeait lentement son corps fripé. La douce et chaude lumière du soleil, qui filtrait à travers les feuilles, caressait son corps pour la première fois depuis des semaines.
Lumière...tout se brise...tout me brûle..
La petite lyctus découvrit le monde extérieur. Elle avait alors 6 pattes et une chaude couleur brunâtre. Le nouvel environnement lui parut alors d’une taille infinie, elle qui était habituée à la chaleur protectrice de son tunnel.
Petit à petit, elle s’était transformée ; plus lentement mais comme les autres ; la larve jaunâtre avait laissé place à un beau corps allongé . Depuis quelques jours, ils étaient en train de grandir. Elle était habituée à être à part mais parfois, elle aurait bien aimé pouvoir courir comme les autres. Ses petites pattes ne la portaient pas encore.
Elle attendit quelques heures pour s’assurer d’aucune présence dangereuse, puis elle se lança. Il y avait une longue route pour aller jusqu’à cette demeure, surtout pour un petit insecte de cinq millimètres de long.
Le jardin avait déjà commencé à s’installer : Les belles allées avaient disparu, laissant place à une jungle où chaque légume semblait vouloir prendre le dessus sur l’autre.
A l’intérieur, des mousses couvraient les murs, des arbres avaient transpercé le sol, quelques oiseaux nichaient sous le plafond, dans leur nid coincé entre les pierres usées.
Elle quitta son abri et s’enfonça dans la « forêt » du jardin. Elle n’y voyait pas grand-chose à cause des herbes hautes qui n’avaient pas était entretenues depuis un long moment. La terre humide lui chatouillait le ventre. Elle accéléra lorsqu’elle sentit au loin une vieille souche d’arbre en décomposition, à moitié embourbée. Elle était dans un coin du manoir abandonné. Un petit espace humide et à l’ombre. L’endroit rêvé pour s’y réfugier, se nourrir et surtout, se reproduire...

Coexister, dominer, recommencer
Wilfried N’SONDE

3/ LE PERIL ROUX

D’abord elle se détendit, s’enivra du parfum rassurant du bois gorgé de pluie qui se dégradait au contact de l’air. Pour elle, un univers rêvé, un havre de paix, une incroyable perspective de bonheur. Son corps se mit à frétiller, elle commençait à se frayer une place dans ce qui allait devenir son foyer.
À l’extérieur, de gros nuages gris roulaient dans le ciel ombragé, le vent se leva, il se mit à balayer la campagne de plus en plus fort. Le souffle soulevait les feuilles mortes, les brindilles, les branches tremblaient tant que des peuples entiers d’insectes habitants en haut des grands arbres de la forêt perdaient l’équilibre. Certains planaient dans les airs en attendant d’échouer sur la terre ferme. Quant à ceux qui pouvaient voler, ils se dépêchaient de déployer leurs ailes en essayant de redresser leurs courses contrariées par la puissance des bourrasques qui les faisaient tourbillonner sur elles-mêmes.
Un premier éclair zébra le ciel d’une ligne dorée, au moment où elle s’était déjà enfoncée d’au moins un centimètre à la base de la souche, là où le mélange de liquide et de terre lui offrait un asile idéal. Le grondement rageux du tonnerre ne l’inquiéta pas non plus, la musique des gouttes qui rythmaient leur symphonie sur le toit, le sol et le sous-bois la rassura. Or, la mélodie de l’orage étouffa le bruit des quatre coussinets de velours qui retombèrent simultanément sur le parquet en partie vermoulu à quelques mètres seulement d’elle qui se délectait de l’intempérie et du délice de s’installer. Le félin glissa d’à peine un millimètre avant de se retrouver en équilibre parfait après le saut qui lui avait permis d’atteindre le hall d’entrée pour échapper à l’eau, l’élément qu’il détestait plus que tout au monde. D’avoir était rattrapé par la pluie le contrariait, il inspecta les alentours d’un regard sombre et se dit que quelque chose ne tournait pas rond. Ce lieu ressemblait à l’habitat humain qu’il avait l’habitude de fréquenter, mais en même temps son aspect avait complètement changé. Les odeurs et les bruits n’étaient plus les mêmes, à croire que la vieille humaine avait disparu… Il n’entendait plus que les sons du mauvais temps qui sévissait dehors. Alors, il secoua son pelage tigré roux et blanc, puis se lécha le corps méthodiquement.
Son ouïe hypersensible détecta comme un bourdonnement : quelque chose de vivant bougeait là-bas. « Du menu fretin », se dit-il, « Ça ne me rassasiera pas mais un peu d’exercice ne peut pas faire de mal ! ». Il tendit l’oreille et, parmi les nombreuses aspérités à la surface de la souche, repéra celle d’où venait le bruit. Le trou creusé par l’insecte qui pensait s’y réfugier et fonder une famille se transforma en piège mortel. Le chat plaqua ses membres sous son ventre, les yeux écarquillés fixés sur sa proie, progressait très lentement en direction de son encas. Une lente avancée, centimètre par centimètre, sans faire le moindre bruit, comme s’il se fondait dans l’environnement, ne faisait plus qu’un avec l’atmosphère ou se diluait dans les lattes de bois. Il fallait tout de même se presser, un imprévu était si vite arrivé, un rien pouvait advenir et gâcher tout le travail de préparation de l’assaut. Il agita son bassin quelques secondes, s’élança vers sa proie et s’abattit sur elle qui n’eut même pas le temps de réaliser qu’elle passait de vie à trépas. L’attaque avait été fulgurante, un être s’était éteint, un autre se léchait tranquillement les babines.
Après cette distraction passagère, le chat en revint à ses préoccupations et se demanda d’abord où était passée la vieille humaine qui y demeurait ? Il se souvint qu’elle l’avait recueilli au milieu d’une clairière alors qu’il n’était qu’un nourrisson miaulant d’inquiétude en appelant sa mère qui ne revint jamais. Elle l’avait recueilli, nourri et protégé mais toujours respecté sa liberté d’aller et venir comme bon lui semblait. Le chat se coucha en position de sphinx, ferma les yeux et se mit à rêver du temps où il vivait parmi les humains, au temps où il était le seul animal toléré dans le manoir.

Coexister, dominer, recommencer
Collège Jean Jaurès

4/ L’effondrement

La famille qui était propriétaire du manoir avait enfin trouvé un arrangement, et comptait bien le reprendre à la nature.
Pendant ce temps le chat qui cherchait un logement tomba soudainement sur ce manoir au beau milieu de nulle part dans un foret déserte. Aucun bruit, aucun signe de vie rien ... mais à contre cœur il fut obligé d’y aller car cela faisait bien longtemps qu’il cherchait une habitation et il avait enfin trouvé une. Il n’allait tout de même pas se plaindre.
Le manoir était infesté de termites, la charpente, le plancher et les pilier de bois étaient sur le point de s’effondrer. Dans l’obscurité, les couloirs autrefois animés été désormais des simples couloirs poussiéreux.Constamment un bruit sourd résonnait, des portes claquaient à cause du vent et grinçaient... Des rais de lumière éclairaient les lieux à travers des trous avaient percé les murs avec le temps. Epuisé par sa découverte, il partit dormir dans un coin humide troué par les insectes.
En arrivant à leur tour au manoir, les propriétaires furent étonnés de voir que la nature avait repris l’état sauvage. Ils rentrèrent dans le bâtiment avant d’être interpellés par un de leurs enfants resté à l’extérieur. N’entendant pas ce que le bambin leur criait, ils retournèrent inspecter l’intérieur. C’est alors que le chat roux sortit d’un trou creusé dans le bois d’un pilier et miaula si fort qu’on aurait cru entendre une sirène. Les parents, intrigués par ces miaulements étranges, suivirent le chat jusqu’à l’extérieur. A peine furent-ils sortis que la majeure partie de bâtiment s’écroula.

C’en était fini du manoir, les lieux revenaient définitivement à la nature.