Coexister, dominer, recommencer

Prologue

La décision de quitter la ville pour s’installer à la campagne murissait depuis plusieurs années dans l’esprit de Monsieur et Madame Morin-Diallo. Les problèmes d’asthme de Sarah, la petite dernière, et les plaintes incessantes des voisins lorsque les jumeaux Lucas et Salomon jouaient dans la cour de leur résidence du centre-ville de Lyon avaient fini par les convaincre de faire le grand saut. Alors, un matin d’août, les cinq Lyonnais accompagnés de leur chien et de leur chat s’étaient installés dans un coin reculé d’Ardèche au bord de la rivière la Bourges, dans une jolie maison de pierre abandonnée depuis seulement six mois. La santé déclinante du couple de retraités qui y avait vécu les avait poussés à rejoindre la vallée non loin d’un centre hospitalier et des services qu’il proposait aux personnes âgées. Les parents Morin-Diallo, Laurence et Driss, tout sourires, se réjouissaient. Enfin ils réalisaient leur rêve, offraient à leurs enfants de sept et douze ans un cadre de vie proche de la vie sauvage, où l’air était peu pollué et qui permettrait à leur progéniture d’évoluer au grand air, dans un milieu sain au plus près de la nature. Dès les premiers jours, la respiration de Sarah se fit plus fluide, aucun accès de toux à déplorer, son teint s’était éclairci, elle était radieuse, son père et sa mère s’en félicitait. Quant aux garçons, ils n’en revenaient pas de disposer d’un terrain de jeu qui leur semblait illimité. Ils couraient dans les bois, dévalaient les pentes à s’en couper le souffle, sautaient dans les cascades, s’aspergeaient d’eau dans la rivière, hurlant et riant sans déranger personne, un vrai bonheur.
Or, ce dont aucun d’entre eux ne se doutait, c’était que le vide de la maison qu’ils venaient d’investir n’était qu’apparent. En effet, cachés dans les nombreux recoins des deux étages que les Morin-Diallo occupaient, ainsi que dans le grenier, dans la cave, au beau milieu de ce qui avait été un potager, sur la rivière et partout sur ses rives, fourmillait un grand nombre d’espèces de la faune et de la flore locale. Des bactéries invisibles à l’œil nu, des insectes plus ou moins faciles à vivre, des reptiles surtout de petites tailles, des mammifères petits et grands, jusqu’aux oiseaux qui volaient librement au-dessus de la nouvelle demeure de Laurence et de Driss. Sans le savoir, les cinq bipèdes citadins et leurs deux animaux de compagnie bouleversaient tout un écosystème qui avait appris à exister sans devoir composer avec des humains.
Laurence entreprit d’abord de s’occuper du jardin qu’elle voulait rendre joli. Elle s’arma d’une énorme paire de ciseaux en métal et d’autres ustensiles et commença par se charger des mauvaises herbes : elle défrichait, éliminait toutes les plantes qui lui semblaient laides ou inutiles, une hécatombe. Dans la remise, Driss fut ravi de trouver une tondeuse à gazon dont le réservoir contenait encore suffisamment de carburant. Afin de rendre les alentours de leur propriété plus ordonnée, il sortit l’engin, et l’alluma. Un bruit de moteur vint perturber le calme à une centaine de mètres à la ronde, semant l’effroi dans la nature, d’autant que la fumée noire qui s’en échappait était irrespirable. Alors qu’ils jouaient dans le lit de la rivière, les deux garçons n’hésitaient pas à s’emparer de cailloux qu’ils jetaient à la surface pour s’éclabousser, sans se rendre compte qu’ils retiraient leurs abris à des crustacés livrés subitement sans secours aux attaques de leurs prédateurs. Leur chien, encore jeune et turbulent, ne sachant plus où donner du museau, pourchassait les papillons affolés, creusait la terre en arrachant les racines nécessaires à la survie des plantes, ses jeux détruisaient aussi l’habitat d’insectes incapables de vivre au grand jour. Le chat aussi jubilait, il avait à sa disposition un vaste terrain de chasse où les rongeurs dont il raffolait, découvraient bien trop tard son habileté et sa redoutable efficacité. Le petit félin ne mit pas vingt-quatre heures à s’adapter à son nouvel environnement, il en devint le principal prédateur.
En se rencontrant, deux univers qui n’aspiraient pourtant qu’à vivre en paix entraient en collision. Mais, ignorés par les humains, c’était au monde des plantes et des animaux de réagir, d’observer attentivement le comportement des nouveaux venus afin de s’y adapter, puis de trouver rapidement les moyens de cohabiter avec ceux qu’ils considéraient comme des intrus qui leur compliquaient l’existence.

Coexister, dominer, recommencer
Wilfried N’SONDE

1/ Retour à la vie sauvage

C’est d’abord un couple d’étourneaux qui fait son nid dans les parties hautes du manoir en attendant d’y accueillir leurs petits. Quant aux rats et aux souris, ils n’ont plus peur d’être surpris par les habitants et commencent à se promener librement un peu partout dans le manoir. Les uns occupent le rez-de-chaussée, les autres l’étage. Des pissenlits couvrent petit à petit le sol de la cuisine, puis des salons, de la mousse et du lichen viennent les rejoindre, au-dessus s’élèvent des fougères. Les murs extérieurs s’effritent sous l’effet de la croissance des plantes grimpantes dont leurs racines brisent le béton et fissurent la brique. Les fenêtres se cassent, le métal rouille. Dans le jardin, les rosiers, les plans de tomates et les salades sont envahis par des plantes plus sauvages, une formidable diversité remplace la nature sélectionnée jadis par les Gaillard. Arrivent alors des papillons, des araignées des tritons, des grives et des hirondelles. Au rythme des saisons, un équilibre naturel se met en place. Ici, les orties prospèrent et servent de pouponnières à des centaines de chenilles qui, une fois devenues papillons, pollinisent les fleurs du jardin. Puis elles servent à leur tour de repas aux hirondelles, qui viennent d’élire domicile de l’autre côté du grenier pour élever leur progéniture. Le manoir et son jardin abritent un incroyable écosystème qui n’en finit pas de se développer. Un monde merveilleux et sauvage qui se croise et se confronte parfois en se disputant des territoires. Pour chasser, déjà des rapaces se mettent à roder au-dessus du domaine. Maintenant qu’il n’y a plus d’hommes pour les traquer, des renards osent s’aventurer dans toutes les pièces en rendant la vie des rongeurs plus difficile. Les fondements de la construction du manoir commencent à se lézarder, un arbre pousse sous le parquet en chêne, menace de le transpercer et de détruire le nouvel habitat des petits animaux et des plantes…

La faune, des bactéries microscopiques aux insectes sous la terre, jusqu’aux oiseaux dans le ciel et, les plantes, des plus petites comme les minuscules champignons aux mousses et aux grands arbres : le monde sauvage réinvestit le manoir. Peu à peu, son aspect change et, au fil du temps, disparaitra complètement et ne sera plus qu’un vague souvenir dans la mémoire de ceux qui l’ont connu. Avec autorité, la nature retrouve ses droits et montre qu’elle est capable d’avaler ce que les humains avaient construit.

Wilfried N’Sondé

Coexister, dominer, recommencer
Collège Jean Moulin

2/ A l’assaut

Tout est froid...je vois tant de chose...tout est si froid...
Dans son tunnel de bois, un petit cocon se déchira, laissant sortir une petite bête molle et fragile, qui bougeait lentement son corps fripé. La douce et chaude lumière du soleil, qui filtrait à travers les feuilles, caressait son corps pour la première fois depuis des semaines.
Lumière...tout se brise...tout me brûle..
La petite lyctus découvrit le monde extérieur. Elle avait alors 6 pattes et une chaude couleur brunâtre. Le nouvel environnement lui parut alors d’une taille infinie, elle qui était habituée à la chaleur protectrice de son tunnel.
Petit à petit, elle s’était transformée ; plus lentement mais comme les autres ; la larve jaunâtre avait laissé place à un beau corps allongé . Depuis quelques jours, ils étaient en train de grandir. Elle était habituée à être à part mais parfois, elle aurait bien aimé pouvoir courir comme les autres. Ses petites pattes ne la portaient pas encore.
Elle attendit quelques heures pour s’assurer d’aucune présence dangereuse, puis elle se lança. Il y avait une longue route pour aller jusqu’à cette demeure, surtout pour un petit insecte de cinq millimètres de long.
Le jardin avait déjà commencé à s’installer : Les belles allées avaient disparu, laissant place à une jungle où chaque légume semblait vouloir prendre le dessus sur l’autre.
A l’intérieur, des mousses couvraient les murs, des arbres avaient transpercé le sol, quelques oiseaux nichaient sous le plafond, dans leur nid coincé entre les pierres usées.
Elle quitta son abri et s’enfonça dans la « forêt » du jardin. Elle n’y voyait pas grand-chose à cause des herbes hautes qui n’avaient pas était entretenues depuis un long moment. La terre humide lui chatouillait le ventre. Elle accéléra lorsqu’elle sentit au loin une vieille souche d’arbre en décomposition, à moitié embourbée. Elle était dans un coin du manoir abandonné. Un petit espace humide et à l’ombre. L’endroit rêvé pour s’y réfugier, se nourrir et surtout, se reproduire...

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Wilfried N’SONDE

3/ LE PERIL ROUX

D’abord elle se détendit, s’enivra du parfum rassurant du bois gorgé de pluie qui se dégradait au contact de l’air. Pour elle, un univers rêvé, un havre de paix, une incroyable perspective de bonheur. Son corps se mit à frétiller, elle commençait à se frayer une place dans ce qui allait devenir son foyer.
À l’extérieur, de gros nuages gris roulaient dans le ciel ombragé, le vent se leva, il se mit à balayer la campagne de plus en plus fort. Le souffle soulevait les feuilles mortes, les brindilles, les branches tremblaient tant que des peuples entiers d’insectes habitants en haut des grands arbres de la forêt perdaient l’équilibre. Certains planaient dans les airs en attendant d’échouer sur la terre ferme. Quant à ceux qui pouvaient voler, ils se dépêchaient de déployer leurs ailes en essayant de redresser leurs courses contrariées par la puissance des bourrasques qui les faisaient tourbillonner sur elles-mêmes.
Un premier éclair zébra le ciel d’une ligne dorée, au moment où elle s’était déjà enfoncée d’au moins un centimètre à la base de la souche, là où le mélange de liquide et de terre lui offrait un asile idéal. Le grondement rageux du tonnerre ne l’inquiéta pas non plus, la musique des gouttes qui rythmaient leur symphonie sur le toit, le sol et le sous-bois la rassura. Or, la mélodie de l’orage étouffa le bruit des quatre coussinets de velours qui retombèrent simultanément sur le parquet en partie vermoulu à quelques mètres seulement d’elle qui se délectait de l’intempérie et du délice de s’installer. Le félin glissa d’à peine un millimètre avant de se retrouver en équilibre parfait après le saut qui lui avait permis d’atteindre le hall d’entrée pour échapper à l’eau, l’élément qu’il détestait plus que tout au monde. D’avoir était rattrapé par la pluie le contrariait, il inspecta les alentours d’un regard sombre et se dit que quelque chose ne tournait pas rond. Ce lieu ressemblait à l’habitat humain qu’il avait l’habitude de fréquenter, mais en même temps son aspect avait complètement changé. Les odeurs et les bruits n’étaient plus les mêmes, à croire que la vieille humaine avait disparu… Il n’entendait plus que les sons du mauvais temps qui sévissait dehors. Alors, il secoua son pelage tigré roux et blanc, puis se lécha le corps méthodiquement.
Son ouïe hypersensible détecta comme un bourdonnement : quelque chose de vivant bougeait là-bas. « Du menu fretin », se dit-il, « Ça ne me rassasiera pas mais un peu d’exercice ne peut pas faire de mal ! ». Il tendit l’oreille et, parmi les nombreuses aspérités à la surface de la souche, repéra celle d’où venait le bruit. Le trou creusé par l’insecte qui pensait s’y réfugier et fonder une famille se transforma en piège mortel. Le chat plaqua ses membres sous son ventre, les yeux écarquillés fixés sur sa proie, progressait très lentement en direction de son encas. Une lente avancée, centimètre par centimètre, sans faire le moindre bruit, comme s’il se fondait dans l’environnement, ne faisait plus qu’un avec l’atmosphère ou se diluait dans les lattes de bois. Il fallait tout de même se presser, un imprévu était si vite arrivé, un rien pouvait advenir et gâcher tout le travail de préparation de l’assaut. Il agita son bassin quelques secondes, s’élança vers sa proie et s’abattit sur elle qui n’eut même pas le temps de réaliser qu’elle passait de vie à trépas. L’attaque avait été fulgurante, un être s’était éteint, un autre se léchait tranquillement les babines.
Après cette distraction passagère, le chat en revint à ses préoccupations et se demanda d’abord où était passée la vieille humaine qui y demeurait ? Il se souvint qu’elle l’avait recueilli au milieu d’une clairière alors qu’il n’était qu’un nourrisson miaulant d’inquiétude en appelant sa mère qui ne revint jamais. Elle l’avait recueilli, nourri et protégé mais toujours respecté sa liberté d’aller et venir comme bon lui semblait. Le chat se coucha en position de sphinx, ferma les yeux et se mit à rêver du temps où il vivait parmi les humains, au temps où il était le seul animal toléré dans le manoir.

Coexister, dominer, recommencer
Collège Jean Jaurès

4/ L’effondrement

La famille qui était propriétaire du manoir avait enfin trouvé un arrangement, et comptait bien le reprendre à la nature.
Pendant ce temps le chat qui cherchait un logement tomba soudainement sur ce manoir au beau milieu de nulle part dans un foret déserte. Aucun bruit, aucun signe de vie rien ... mais à contre cœur il fut obligé d’y aller car cela faisait bien longtemps qu’il cherchait une habitation et il avait enfin trouvé une. Il n’allait tout de même pas se plaindre.
Le manoir était infesté de termites, la charpente, le plancher et les pilier de bois étaient sur le point de s’effondrer. Dans l’obscurité, les couloirs autrefois animés été désormais des simples couloirs poussiéreux.Constamment un bruit sourd résonnait, des portes claquaient à cause du vent et grinçaient... Des rais de lumière éclairaient les lieux à travers des trous avaient percé les murs avec le temps. Epuisé par sa découverte, il partit dormir dans un coin humide troué par les insectes.
En arrivant à leur tour au manoir, les propriétaires furent étonnés de voir que la nature avait repris l’état sauvage. Ils rentrèrent dans le bâtiment avant d’être interpellés par un de leurs enfants resté à l’extérieur. N’entendant pas ce que le bambin leur criait, ils retournèrent inspecter l’intérieur. C’est alors que le chat roux sortit d’un trou creusé dans le bois d’un pilier et miaula si fort qu’on aurait cru entendre une sirène. Les parents, intrigués par ces miaulements étranges, suivirent le chat jusqu’à l’extérieur. A peine furent-ils sortis que la majeure partie de bâtiment s’écroula.

C’en était fini du manoir, les lieux revenaient définitivement à la nature.

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1/ Retour à la vie sauvage

C’est d’abord un couple d’étourneaux qui fait son nid dans les parties hautes du manoir en attendant d’y accueillir leurs petits. Quant aux rats et aux souris, ils n’ont plus peur d’être surpris par les habitants et commencent à se promener librement un peu partout dans le manoir. Les uns occupent le rez-de-chaussée, les autres l’étage. Des pissenlits couvrent petit à petit le sol de la cuisine, puis des salons, de la mousse et du lichen viennent les rejoindre, au-dessus s’élèvent des fougères. Les murs extérieurs s’effritent sous l’effet de la croissance des plantes grimpantes dont leurs racines brisent le béton et fissurent la brique. Les fenêtres se cassent, le métal rouille. Dans le jardin, les rosiers, les plans de tomates et les salades sont envahis par des plantes plus sauvages, une formidable diversité remplace la nature sélectionnée jadis par les Gaillard. Arrivent alors des papillons, des araignées des tritons, des grives et des hirondelles. Au rythme des saisons, un équilibre naturel se met en place. Ici, les orties prospèrent et servent de pouponnières à des centaines de chenilles qui, une fois devenues papillons, pollinisent les fleurs du jardin. Puis elles servent à leur tour de repas aux hirondelles, qui viennent d’élire domicile de l’autre côté du grenier pour élever leur progéniture. Le manoir et son jardin abritent un incroyable écosystème qui n’en finit pas de se développer. Un monde merveilleux et sauvage qui se croise et se confronte parfois en se disputant des territoires. Pour chasser, déjà des rapaces se mettent à roder au-dessus du domaine. Maintenant qu’il n’y a plus d’hommes pour les traquer, des renards osent s’aventurer dans toutes les pièces en rendant la vie des rongeurs plus difficile. Les fondements de la construction du manoir commencent à se lézarder, un arbre pousse sous le parquet en chêne, menace de le transpercer et de détruire le nouvel habitat des petits animaux et des plantes…

La faune, des bactéries microscopiques aux insectes sous la terre, jusqu’aux oiseaux dans le ciel et, les plantes, des plus petites comme les minuscules champignons aux mousses et aux grands arbres : le monde sauvage réinvestit le manoir. Peu à peu, son aspect change et, au fil du temps, disparaitra complètement et ne sera plus qu’un vague souvenir dans la mémoire de ceux qui l’ont connu. Avec autorité, la nature retrouve ses droits et montre qu’elle est capable d’avaler ce que les humains avaient construit.

Wilfried N’Sondé

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Collège Jean Moulin

2/ A l’assaut

Tout est froid...je vois tant de chose...tout est si froid...
Dans son tunnel de bois, un petit cocon se déchira, laissant sortir une petite bête molle et fragile, qui bougeait lentement son corps fripé. La douce et chaude lumière du soleil, qui filtrait à travers les feuilles, caressait son corps pour la première fois depuis des semaines.
Lumière...tout se brise...tout me brûle..
La petite lyctus découvrit le monde extérieur. Elle avait alors 6 pattes et une chaude couleur brunâtre. Le nouvel environnement lui parut alors d’une taille infinie, elle qui était habituée à la chaleur protectrice de son tunnel.
Petit à petit, elle s’était transformée ; plus lentement mais comme les autres ; la larve jaunâtre avait laissé place à un beau corps allongé . Depuis quelques jours, ils étaient en train de grandir. Elle était habituée à être à part mais parfois, elle aurait bien aimé pouvoir courir comme les autres. Ses petites pattes ne la portaient pas encore.
Elle attendit quelques heures pour s’assurer d’aucune présence dangereuse, puis elle se lança. Il y avait une longue route pour aller jusqu’à cette demeure, surtout pour un petit insecte de cinq millimètres de long.
Le jardin avait déjà commencé à s’installer : Les belles allées avaient disparu, laissant place à une jungle où chaque légume semblait vouloir prendre le dessus sur l’autre.
A l’intérieur, des mousses couvraient les murs, des arbres avaient transpercé le sol, quelques oiseaux nichaient sous le plafond, dans leur nid coincé entre les pierres usées.
Elle quitta son abri et s’enfonça dans la « forêt » du jardin. Elle n’y voyait pas grand-chose à cause des herbes hautes qui n’avaient pas était entretenues depuis un long moment. La terre humide lui chatouillait le ventre. Elle accéléra lorsqu’elle sentit au loin une vieille souche d’arbre en décomposition, à moitié embourbée. Elle était dans un coin du manoir abandonné. Un petit espace humide et à l’ombre. L’endroit rêvé pour s’y réfugier, se nourrir et surtout, se reproduire...

Coexister, dominer, recommencer
Wilfried N’SONDE

3/ LE PERIL ROUX

D’abord elle se détendit, s’enivra du parfum rassurant du bois gorgé de pluie qui se dégradait au contact de l’air. Pour elle, un univers rêvé, un havre de paix, une incroyable perspective de bonheur. Son corps se mit à frétiller, elle commençait à se frayer une place dans ce qui allait devenir son foyer.
À l’extérieur, de gros nuages gris roulaient dans le ciel ombragé, le vent se leva, il se mit à balayer la campagne de plus en plus fort. Le souffle soulevait les feuilles mortes, les brindilles, les branches tremblaient tant que des peuples entiers d’insectes habitants en haut des grands arbres de la forêt perdaient l’équilibre. Certains planaient dans les airs en attendant d’échouer sur la terre ferme. Quant à ceux qui pouvaient voler, ils se dépêchaient de déployer leurs ailes en essayant de redresser leurs courses contrariées par la puissance des bourrasques qui les faisaient tourbillonner sur elles-mêmes.
Un premier éclair zébra le ciel d’une ligne dorée, au moment où elle s’était déjà enfoncée d’au moins un centimètre à la base de la souche, là où le mélange de liquide et de terre lui offrait un asile idéal. Le grondement rageux du tonnerre ne l’inquiéta pas non plus, la musique des gouttes qui rythmaient leur symphonie sur le toit, le sol et le sous-bois la rassura. Or, la mélodie de l’orage étouffa le bruit des quatre coussinets de velours qui retombèrent simultanément sur le parquet en partie vermoulu à quelques mètres seulement d’elle qui se délectait de l’intempérie et du délice de s’installer. Le félin glissa d’à peine un millimètre avant de se retrouver en équilibre parfait après le saut qui lui avait permis d’atteindre le hall d’entrée pour échapper à l’eau, l’élément qu’il détestait plus que tout au monde. D’avoir était rattrapé par la pluie le contrariait, il inspecta les alentours d’un regard sombre et se dit que quelque chose ne tournait pas rond. Ce lieu ressemblait à l’habitat humain qu’il avait l’habitude de fréquenter, mais en même temps son aspect avait complètement changé. Les odeurs et les bruits n’étaient plus les mêmes, à croire que la vieille humaine avait disparu… Il n’entendait plus que les sons du mauvais temps qui sévissait dehors. Alors, il secoua son pelage tigré roux et blanc, puis se lécha le corps méthodiquement.
Son ouïe hypersensible détecta comme un bourdonnement : quelque chose de vivant bougeait là-bas. « Du menu fretin », se dit-il, « Ça ne me rassasiera pas mais un peu d’exercice ne peut pas faire de mal ! ». Il tendit l’oreille et, parmi les nombreuses aspérités à la surface de la souche, repéra celle d’où venait le bruit. Le trou creusé par l’insecte qui pensait s’y réfugier et fonder une famille se transforma en piège mortel. Le chat plaqua ses membres sous son ventre, les yeux écarquillés fixés sur sa proie, progressait très lentement en direction de son encas. Une lente avancée, centimètre par centimètre, sans faire le moindre bruit, comme s’il se fondait dans l’environnement, ne faisait plus qu’un avec l’atmosphère ou se diluait dans les lattes de bois. Il fallait tout de même se presser, un imprévu était si vite arrivé, un rien pouvait advenir et gâcher tout le travail de préparation de l’assaut. Il agita son bassin quelques secondes, s’élança vers sa proie et s’abattit sur elle qui n’eut même pas le temps de réaliser qu’elle passait de vie à trépas. L’attaque avait été fulgurante, un être s’était éteint, un autre se léchait tranquillement les babines.
Après cette distraction passagère, le chat en revint à ses préoccupations et se demanda d’abord où était passée la vieille humaine qui y demeurait ? Il se souvint qu’elle l’avait recueilli au milieu d’une clairière alors qu’il n’était qu’un nourrisson miaulant d’inquiétude en appelant sa mère qui ne revint jamais. Elle l’avait recueilli, nourri et protégé mais toujours respecté sa liberté d’aller et venir comme bon lui semblait. Le chat se coucha en position de sphinx, ferma les yeux et se mit à rêver du temps où il vivait parmi les humains, au temps où il était le seul animal toléré dans le manoir.

Coexister, dominer, recommencer
Collège Jean Jaurès

4/ L’effondrement

La famille qui était propriétaire du manoir avait enfin trouvé un arrangement, et comptait bien le reprendre à la nature.
Pendant ce temps le chat qui cherchait un logement tomba soudainement sur ce manoir au beau milieu de nulle part dans un foret déserte. Aucun bruit, aucun signe de vie rien ... mais à contre cœur il fut obligé d’y aller car cela faisait bien longtemps qu’il cherchait une habitation et il avait enfin trouvé une. Il n’allait tout de même pas se plaindre.
Le manoir était infesté de termites, la charpente, le plancher et les pilier de bois étaient sur le point de s’effondrer. Dans l’obscurité, les couloirs autrefois animés été désormais des simples couloirs poussiéreux.Constamment un bruit sourd résonnait, des portes claquaient à cause du vent et grinçaient... Des rais de lumière éclairaient les lieux à travers des trous avaient percé les murs avec le temps. Epuisé par sa découverte, il partit dormir dans un coin humide troué par les insectes.
En arrivant à leur tour au manoir, les propriétaires furent étonnés de voir que la nature avait repris l’état sauvage. Ils rentrèrent dans le bâtiment avant d’être interpellés par un de leurs enfants resté à l’extérieur. N’entendant pas ce que le bambin leur criait, ils retournèrent inspecter l’intérieur. C’est alors que le chat roux sortit d’un trou creusé dans le bois d’un pilier et miaula si fort qu’on aurait cru entendre une sirène. Les parents, intrigués par ces miaulements étranges, suivirent le chat jusqu’à l’extérieur. A peine furent-ils sortis que la majeure partie de bâtiment s’écroula.

C’en était fini du manoir, les lieux revenaient définitivement à la nature.