Prologue
La décision de quitter la ville pour s’installer à la campagne murissait depuis plusieurs années dans l’esprit de Monsieur et Madame Morin-Diallo. Les problèmes d’asthme de Sarah, la petite dernière, et les plaintes incessantes des voisins lorsque les jumeaux Lucas et Salomon jouaient dans la cour de leur résidence du centre-ville de Lyon avaient fini par les convaincre de faire le grand saut. Alors, un matin d’août, les cinq Lyonnais accompagnés de leur chien et de leur chat s’étaient installés dans un coin reculé d’Ardèche au bord de la rivière la Bourges, dans une jolie maison de pierre abandonnée depuis seulement six mois. La santé déclinante du couple de retraités qui y avait vécu les avait poussés à rejoindre la vallée non loin d’un centre hospitalier et des services qu’il proposait aux personnes âgées. Les parents Morin-Diallo, Laurence et Driss, tout sourires, se réjouissaient. Enfin ils réalisaient leur rêve, offraient à leurs enfants de sept et douze ans un cadre de vie proche de la vie sauvage, où l’air était peu pollué et qui permettrait à leur progéniture d’évoluer au grand air, dans un milieu sain au plus près de la nature. Dès les premiers jours, la respiration de Sarah se fit plus fluide, aucun accès de toux à déplorer, son teint s’était éclairci, elle était radieuse, son père et sa mère s’en félicitait. Quant aux garçons, ils n’en revenaient pas de disposer d’un terrain de jeu qui leur semblait illimité. Ils couraient dans les bois, dévalaient les pentes à s’en couper le souffle, sautaient dans les cascades, s’aspergeaient d’eau dans la rivière, hurlant et riant sans déranger personne, un vrai bonheur.
Or, ce dont aucun d’entre eux ne se doutait, c’était que le vide de la maison qu’ils venaient d’investir n’était qu’apparent. En effet, cachés dans les nombreux recoins des deux étages que les Morin-Diallo occupaient, ainsi que dans le grenier, dans la cave, au beau milieu de ce qui avait été un potager, sur la rivière et partout sur ses rives, fourmillait un grand nombre d’espèces de la faune et de la flore locale. Des bactéries invisibles à l’œil nu, des insectes plus ou moins faciles à vivre, des reptiles surtout de petites tailles, des mammifères petits et grands, jusqu’aux oiseaux qui volaient librement au-dessus de la nouvelle demeure de Laurence et de Driss. Sans le savoir, les cinq bipèdes citadins et leurs deux animaux de compagnie bouleversaient tout un écosystème qui avait appris à exister sans devoir composer avec des humains.
Laurence entreprit d’abord de s’occuper du jardin qu’elle voulait rendre joli. Elle s’arma d’une énorme paire de ciseaux en métal et d’autres ustensiles et commença par se charger des mauvaises herbes : elle défrichait, éliminait toutes les plantes qui lui semblaient laides ou inutiles, une hécatombe. Dans la remise, Driss fut ravi de trouver une tondeuse à gazon dont le réservoir contenait encore suffisamment de carburant. Afin de rendre les alentours de leur propriété plus ordonnée, il sortit l’engin, et l’alluma. Un bruit de moteur vint perturber le calme à une centaine de mètres à la ronde, semant l’effroi dans la nature, d’autant que la fumée noire qui s’en échappait était irrespirable. Alors qu’ils jouaient dans le lit de la rivière, les deux garçons n’hésitaient pas à s’emparer de cailloux qu’ils jetaient à la surface pour s’éclabousser, sans se rendre compte qu’ils retiraient leurs abris à des crustacés livrés subitement sans secours aux attaques de leurs prédateurs. Leur chien, encore jeune et turbulent, ne sachant plus où donner du museau, pourchassait les papillons affolés, creusait la terre en arrachant les racines nécessaires à la survie des plantes, ses jeux détruisaient aussi l’habitat d’insectes incapables de vivre au grand jour. Le chat aussi jubilait, il avait à sa disposition un vaste terrain de chasse où les rongeurs dont il raffolait, découvraient bien trop tard son habileté et sa redoutable efficacité. Le petit félin ne mit pas vingt-quatre heures à s’adapter à son nouvel environnement, il en devint le principal prédateur.
En se rencontrant, deux univers qui n’aspiraient pourtant qu’à vivre en paix entraient en collision. Mais, ignorés par les humains, c’était au monde des plantes et des animaux de réagir, d’observer attentivement le comportement des nouveaux venus afin de s’y adapter, puis de trouver rapidement les moyens de cohabiter avec ceux qu’ils considéraient comme des intrus qui leur compliquaient l’existence.
1/ Retour à la vie sauvage
C’est d’abord un couple d’étourneaux qui fait son nid dans les parties hautes du manoir en attendant d’y accueillir leurs petits. Quant aux rats et aux souris, ils n’ont plus peur d’être surpris par les habitants et commencent à se promener librement un peu partout dans le manoir. Les uns occupent le rez-de-chaussée, les autres l’étage. Des pissenlits couvrent petit à petit le sol de la cuisine, puis des salons, de la mousse et du lichen viennent les rejoindre, au-dessus s’élèvent des fougères. Les murs extérieurs s’effritent sous l’effet de la croissance des plantes grimpantes dont leurs racines brisent le béton et fissurent la brique. Les fenêtres se cassent, le métal rouille. Dans le jardin, les rosiers, les plans de tomates et les salades sont envahis par des plantes plus sauvages, une formidable diversité remplace la nature sélectionnée jadis par les Gaillard. Arrivent alors des papillons, des araignées des tritons, des grives et des hirondelles. Au rythme des saisons, un équilibre naturel se met en place. Ici, les orties prospèrent et servent de pouponnières à des centaines de chenilles qui, une fois devenues papillons, pollinisent les fleurs du jardin. Puis elles servent à leur tour de repas aux hirondelles, qui viennent d’élire domicile de l’autre côté du grenier pour élever leur progéniture. Le manoir et son jardin abritent un incroyable écosystème qui n’en finit pas de se développer. Un monde merveilleux et sauvage qui se croise et se confronte parfois en se disputant des territoires. Pour chasser, déjà des rapaces se mettent à roder au-dessus du domaine. Maintenant qu’il n’y a plus d’hommes pour les traquer, des renards osent s’aventurer dans toutes les pièces en rendant la vie des rongeurs plus difficile. Les fondements de la construction du manoir commencent à se lézarder, un arbre pousse sous le parquet en chêne, menace de le transpercer et de détruire le nouvel habitat des petits animaux et des plantes…
La faune, des bactéries microscopiques aux insectes sous la terre, jusqu’aux oiseaux dans le ciel et, les plantes, des plus petites comme les minuscules champignons aux mousses et aux grands arbres : le monde sauvage réinvestit le manoir. Peu à peu, son aspect change et, au fil du temps, disparaitra complètement et ne sera plus qu’un vague souvenir dans la mémoire de ceux qui l’ont connu. Avec autorité, la nature retrouve ses droits et montre qu’elle est capable d’avaler ce que les humains avaient construit.
Wilfried N’Sondé
2/ Le refus du retour
Bien des années plus tard, après avoir été délaissé par les humains , le vieux manoir redevient à nouveau le domaine exclusif de la nature.
Un grand arbre est devenu le patriarche de cet environnement végétal. Le plus grand, le plus gros, le plus majestueux arbre du lieu. Il y a plusieurs autres arbres autour de la vieille bâtisse qui ont poussé au fur et à mesure que le temps passait, jusqu’au jour où se retrouve réduit à néant le vieux manoir. Commencent alors à s’installer des animaux de toutes sortes.
Toute cette faune vit dans la plus parfaite harmonie. Les insectes, abeilles, guêpes, araignées, fourmis… profitent tranquillement de leur vie, sans craindre les assauts réguliers dont sont victimes les membres de leur espèce contraints de cohabiter avec les maudits bipèdes. Les vers de terre n’étouffent plus sous les pesticides ; les lièvres se régalent des carottes du vieux potager ; les taupes creusent sereinement sans risquer de voir leur ouvrage détruits d’un simple coup de pelle ; les sangliers grattent la terre sans avoir peur d’être chassés… Faune et flore vivent comme ils ne l’avaient jamais pu auparavant ici, libérés de l’ingratitude de ces funestes bipèdes qui leur avaient toujours toujours pris.
Le grand arbre, doyen de cette communauté, qui par sa puissance avait fini d’effacer les dernières traces de l’ancienne domination humaine, incarne la sagesse et veille à maintenir l’harmonie entre tous. Tout est si calme… subsiste juste le mélodieux chant des oiseaux.
Par une belle matinée ensoleillée, un moustique part faire sa promenade habituelle lorsqu’il voit au loin de grandes machines en métal remplies de bipèdes, ces créatures qui souvent peuplaient les histoires au sujet de l’ancien temps que racontait le grand arbre. Les mouettes s’agitent alors que la terre commence à trembler sous les roues des machines. Prévenu par le moustique, le grand arbre avertit la communauté, et cherche à comprendre la raison de cette visite imprévue. La panique est là : le vent siffle, les branches craquent, certaines roses flétrissent. Plus les bipèdes approchent, plus le vieil arbre doute de leurs intentions. En quelques instants le temps devient gris, le vent plus fort, comme si une tempête était sur le point de tout ravager. Les machines s’arrêtent, et des bipèdes en descendent, tenant à la main des grands cahiers à dessin sur lesquels figurent des plans, et des dessins représentants d’étranges oiseaux métalliques, inconnus de tous, sauf du grand arbre. Des avions. Et soudain, il comprend. Les bipèdes veulent reconquérir les lieux, et construire ici l’un de ces gigantesques nids de béton et d’acier nécessaire au décollage, dans un vacarme assourdissant, des avions. L’harmonie est menacée. Le chaos va revenir. Il ne faut pas l’accepter.
A l’appel du doyen, qui refuse de voir réduit son havre de paix autrefois utopique qui avait fini par devenir réalité, faune et flore s’allient dans le refus unanime de ce retour non désiré, et tant redouté, des bipèdes oppresseurs.
Les feuilles du grand arbres bruissent. En jaillit alors une nuée, ou plutôt une armée, d’insectes volants de toutes sortes : abeilles, guêpes, frelons asiatiques, moustiques tigres, mouches tsé-tsé, qui tel un escadron lancent un assaut contre les indésirables. Les oiseaux les rejoignent et volent tout proches, dans une cacophonie retentissante. Harcelés de toute part, les bipèdes sont contraints d’écourter leur visite. Tout en essayant de chasser de leurs bras les assaillants, il regagnent leurs machines, et fuient. Le répit.
Mais le sage patriarche ne se félicite pas de cette victoire. Plusieurs signes montrent que les bipèdes vont revenir, et ne pas s’arrêter là. A sa manière, la communauté révoltée organise la résistance, et prépare une défense sans pareil. Des arbres et des oiseaux font office de sentinelles. La végétation se développe de façon rapide et hostile : un champ de ronces recouvre rapidement les chemins, et les plantes exotiques sont appelées à occuper le terrain : plantes carnivores, soporifiques, vénéneuses, toxiques, mortelles… Les taupes creusent des pièges. Le marais environnant se transforme en des sables mouvants redoutables… Chaque espèce, végétale ou animale, met à profit ses spécificités dans un but commun : empêcher une nouvelle invasion des bipèdes. La « rézoolution » est en marche. La communauté entière est prête à faire face à l’inéluctable retour des oppresseurs.
La révégétolution
Depuis que les bipèdes étaient arrivés, le vacarme ne s’arrêtait plus. Plusieurs animaux avaient essayé de les repousser, en vain. Ils réfléchirent tous à une stratégie plus évoluée.
Une jeune fouine observait la scène. Le rongeur, étant un animal solitaire n’avait pas pris part à la « rézoolution ». Elle trouvait que cela ne servait à rien, sachant que les bipèdes finissaient toujours par revenir et faire ce qu’ils voulaient. Durant la journée, elle regardait les écureuils qui partaient en groupe pour ronger les câbles, les oiseaux qui volaient la nourriture de la cantine, les insectes qui piquaient les peaux au sang. Les animaux faisaient tout pour pourrir la vie des humains. Les souris envahissaient les engins de chantier. Les rongeurs grignotaient les planches de bois pour faire tomber les bipèdes de leurs échafaudages. Les campagnols déposaient leurs excréments dans leurs espaces de vie, remplissaient de crottes les chaussures de sécurité. Les hérissons arrachaient leurs pics et les déposaient dans les bottes des constructeurs qui criaient de douleur quand la pointe transperçait leur chair.
Comme la fouine l’avait prédit, les bipèdes trouvèrent des solutions, ils construisirent des câbles plus solides, ils cachèrent la nourriture dans des bocaux impossible à ouvrir, ils vaporisèrent de l’insecticide afin de les repousser...
Les animaux se réunirent à nouveau pour trouver une solution, ils oublièrent leur faim et leurs rivalités. La femelle fouine n’y alla pas. Elle était fermée à toute solution, pour elle, le manoir n’était qu’une passade, elle trouverait un nouvel habitat. En pleine nuit, elle voulut aller voler de la nourriture chez les bipèdes. Elle attendit que les lumières soient toutes éteintes pour s’incruster. En s’introduisant dans la cuisine, elle ne vit pas le piège à souris composé non pas d’un clapet mais d’une cage, qui se referma sur elle.
Le lendemain une rumeur courait : la « rézoolution » avait trouvé une tactique. Les végétaux avaient développé de nouvelles défenses. Les ronces s’avançaient vers les bipèdes afin de bloquer l’accès à la forêt. Les buissons devinrent de plus en plus denses. Les arbres avaient trouvé une nouvelle façon de communiquer, ils jouèrent avec le sens du vent pour faire frémir leurs feuilles.
Au début on perçut seulement un bruissement léger mêlé au chant des oiseaux. Ensuite, on entendit des craquements de branches, de plus en plus fort. Un premier ouvrier leva la tête ; il s’aperçut que toutes les feuilles s’agitaient. Un essaim d’oiseaux tournoyait, il faisait tomber une multitude de pommes de pin. Un autre ouvrier leva la tête et reçut une branche d’arbre en pleine figure. Ses collègues l’emmenèrent rapidement à l’infirmerie. Une autre branche s’abattit bruyamment sur la pelleteuse, défonçant son capot. La peur et la colère commençaient à gagner les bipèdes. Les arbres essayèrent ensuite tant bien que mal de déplacer leurs racines pour bloquer les machines, mais trop grosses et trop lentes elles ne parvinrent pas à le faire à temps.
Les grands chênes et les sagesses séculaires des arbres décidèrent de libérer des airs toxiques, causant des maux de tête et des étourdissements chez les bûcherons, les incitant ainsi à quitter la forêt.
Pendant ce temps, les plantes vénéneuses commencèrent à s’entourer autour du chantier pour empêcher toute construction supplémentaire. Les animaux, quant à eux, menèrent des opérations de sauvetage pour les créatures piégées dans les zones dévastées, utilisant leur ruse et leur agilité pour déjouer les plans des humains.
Le lendemain matin, deux ouvriers trouvèrent un collègue enfoui sous les sables mouvants. Ils essayèrent de l’extraire mais le corps était pris dans des ronces, qui le retenaient et les blessaient. Après de longs moments de lutte avec divers outils, ils réussirent à le sortir du sable. Ils virent alors une scène d’horreur : l’homme mort avait du sable plein les yeux, dans les narines, et son visage était complètement déformé à cause de la peur. Les ouvriers prirent peur, la révolte grondait et plusieurs parlaient de démissionner.
Le contremaître apprit la nouvelle et décida d’appeler le chef de chantier .
– Chef, on a un problème, un collègue est mort dans les sables mouvants et les ouvriers veulent quitter le chantier ! Qu’est-ce qu’on fait ?
– Quoi ! Un mort ! Il ne faut pas que ça fuite sinon le chantier sera arrêté, on aura une grosse perte d’argent et ça fera une mauvaise réputation à la société !
-Oui je comprends chef mais du coup on fait comment pour les ouvriers qui veulent partir ?
– Dites-leur que s’ils restent ils seront payés trois fois plus.
Tous les ouvriers acceptèrent la proposition. Tous sauf un. Nicolas ne put se résoudre à accepter de tels méfaits. Il quitta discrètement le chantier et s’enfonça dans la forêt. Il posa sa main sur un grand arbre. On disait que ce chêne existait depuis plus de cent ans, qu’il pouvait communiquer avec les autres végétaux et même avec les animaux. Après l’avoir touché, Nicolas se sentit tout à coup. Il crut entendre une voix lui murmurer : « Laisse la nature agir contre la cupidité humaine »
Les ouvriers soudoyés se réunirent en pleine nuit pour jeter le corps dans un lac près du manoir. Tous les animaux aquatiques et terrestres s’entraidèrent alors pour sortir le corps de l’eau. Deux ours le transportèrent dans le jardin du manoir. Puis tous partirent se cacher pour observer les bipèdes.
Sept ouvriers, dont les trois hommes qui avaient caché le corps, découvrirent avec horreur le corps sans vie de Patrick … Pendant ce temps-là, dans la forêt, les ronces s’étendirent de plus en plus jusqu’à l’intérieur du manoir. Les ouvriers terrifiés abandonnèrent le cadavre et coururent en direction de la sortie. Malheureusement pour eux les plantes avaient déjà atteint l’intérieur du manoir. Pris de panique, ils essayèrent de sauter par-dessus mais les grandes épines les bloquèrent. Soudain les ronces leur attrapèrent les pieds, les encerclèrent puis les recouvrirent.
L’ETRANGE SYMBIOSE
Les ouvriers terrifiés abandonnèrent le cadavre et coururent en direction de la sortie. En levant la tête pour s’informer des futurs obstacles qui leur feraient face, ils virent une lumière au bout du couloir mortel, la sortie assurément ! Ils reprirent leur allure, une lueur d’espoir persistait. Ils continuèrent inlassablement en direction de cette lumière, plus que quelques mètres... C’est en atteignant leur but qu’ils comprirent leur erreur : ce n’était pas la sortie, mais une simple fenêtre à la lumière de laquelle de très nombreuses plantes avaient pu pousser démesurément. Ils entendirent cependant derrière eux les cris de détresse d’un des leurs : « Aidez-moi !!! ». Les autres tournèrent leur regard et virent que des ronces l’avaient capturé. L’un d’eux fit un pas en avant dans le but de l’aider, mais ils virent que les ronces l’avaient presque entièrement recouvert, l’empêchant de respirer. Il avait tenté de faire demi-tour pour échapper à ce piège mes les plantes avaient déjà barré le chemin. Une première plante agrippa sa jambe, il essaya de se libérer mais une seconde plante vint emprisonner ses côtes, puis une troisième, une quatrième... tant de ronces qu’ils ne pouvaient plus les compter. Il s’écroula, se débattait, mais ses tentatives paraissaient bien risibles. Une plante remonta jusqu’à son cou, l’empêchant de respirer, il n’avait plus d’énergie et il finit par renoncer, acceptant le sort qui lui était destiné...
Malheureusement pour eux, les plantes avaient déjà atteint tout l’intérieur du manoir, elles se rapprochaient dangereusement. Pris de panique, ils essayèrent de sauter par-dessus mais les grandes épines les bloquèrent. Soudain, les ronces leur attrapèrent les pieds, les encerclèrent puis les recouvrirent. Les ronces progressèrent de plus en plus vite à travers le manoir, raflant tout les ouvriers sur leur passage.
Certains, qui étaient restés dehors, coururent pour tenter de s’enfuir avec le camion de la propriété mais les ronces gagnèrent du terrain. Elles se démultipliaient, grossissaient. On aurait dit qu’elles acquéraient une conscience ainsi qu’une froide envie de meurtre. Les ouvriers se débattirent comme ils le purent, déjà une ronce se tendait vers eux... L’un d’eux sortit de sa poche une machette, coupa les ronces qui étaient en train de l’envahir, puis réussissant à s’en défaire, aida ces camarades à en sortir. Ils coururent encore quelques mètres, ils étaient maintenant à une centaine de mètres de la bâtisse. De cet endroit, ils purent constater l’état du bâtiment, les plantes encerclaient son entièreté, elles faisaient comme une sorte d’armure, un rempart où il fallait absolument protéger ce qu’elle y cachait.
La progression des plantes était rapide et déterminée, comme si la nature elle-même avait décidé de rependre possession de ces lieux abandonnés depuis trop longtemps. Les ouvriers, ceux qui avaient été piégés par les lianes et les épines, tentaient en vain de se dégager. Des cris d’agonie résonnaient alors que la végétation s’entrelaçait autour de leurs membres, les immobilisant complètement. Au fur et à mesure que les ronces les recouvraient, une étrange transformation semblait s’opérer. Des bourgeons écarlates éclosaient à la surface de la peau des ouvriers, une lueur mystérieuse émanant d’eux. La plante semblait se servir du sang de ses victimes afin de se développer de plus en plus. Le manoir n’était plus que sang et ronces...
Le manoir, autrefois symbole de grandeur et de richesse, était désormais un théâtre macabre où la nature prenait sa revanche. Les murs de la demeure semblaient suinter d’une énergie étrange, les rendant complices de cette transformation inquiétante. Les plantes, désormais maîtresses des lieux, s’étendaient inexorablement à travers les couloirs, élargissant leur emprise sur chaque recoins du manoir. La lueur du crépuscule filtrait à travers les fenêtres du manoir, jetant des ombres fantomatiques sur cette scène étrange. Les plaintes étouffées des ouvriers, désormais transformés en émissaires d’une symbiose inattendue, résonnaient comme un écho sinistre de la défaite humaine face à une force insaisissable et implacable...
La seule personne qui a survécu à cet évènement ne peut en aucun cas nous faire part de ce moment car après ce traumatisme l’ouvrier a eu des troubles du sommeil, des souvenirs intrusifs, et donc en parler pourrait faire remonter des images et déclencher une crise. Aucune information claire n’a été transmise et cette partie de foret est à ce jour déserte, laissant faune et flore s’épanouir.
Année après année, les oiseaux vinrent timidement se percher sur les branches des grands chênes. Les rongeurs avaient eux aussi commencé à peupler la forêt. Un matin, alors que le soleil se levait dans une brume de journée automnale, un rouge-gorge se pointa dans le paysage féerique. Chaque jour, un nouvel animal ou végétal venait rejoindre les autres et trouver sa place en corrélation tous ensemble. Le manoir était splendide avec ces plantes qui le protégeaient et qui montaient jusqu’aux fenêtres de l’étage, avec ces fleurs poussant à certains endroits ce qui mettaient de la couleur à ce désastre crée par l’homme.
Les plantes étaient quant à elles retournées dans le sous-bois à côté du manoir. Les hommes avaient sûrement compris la leçon cette fois-ci et ils ne reviendraient, les plantes l’espéraient, plus jamais...
1/ Retour à la vie sauvage
C’est d’abord un couple d’étourneaux qui fait son nid dans les parties hautes du manoir en attendant d’y accueillir leurs petits. Quant aux rats et aux souris, ils n’ont plus peur d’être surpris par les habitants et commencent à se promener librement un peu partout dans le manoir. Les uns occupent le rez-de-chaussée, les autres l’étage. Des pissenlits couvrent petit à petit le sol de la cuisine, puis des salons, de la mousse et du lichen viennent les rejoindre, au-dessus s’élèvent des fougères. Les murs extérieurs s’effritent sous l’effet de la croissance des plantes grimpantes dont leurs racines brisent le béton et fissurent la brique. Les fenêtres se cassent, le métal rouille. Dans le jardin, les rosiers, les plans de tomates et les salades sont envahis par des plantes plus sauvages, une formidable diversité remplace la nature sélectionnée jadis par les Gaillard. Arrivent alors des papillons, des araignées des tritons, des grives et des hirondelles. Au rythme des saisons, un équilibre naturel se met en place. Ici, les orties prospèrent et servent de pouponnières à des centaines de chenilles qui, une fois devenues papillons, pollinisent les fleurs du jardin. Puis elles servent à leur tour de repas aux hirondelles, qui viennent d’élire domicile de l’autre côté du grenier pour élever leur progéniture. Le manoir et son jardin abritent un incroyable écosystème qui n’en finit pas de se développer. Un monde merveilleux et sauvage qui se croise et se confronte parfois en se disputant des territoires. Pour chasser, déjà des rapaces se mettent à roder au-dessus du domaine. Maintenant qu’il n’y a plus d’hommes pour les traquer, des renards osent s’aventurer dans toutes les pièces en rendant la vie des rongeurs plus difficile. Les fondements de la construction du manoir commencent à se lézarder, un arbre pousse sous le parquet en chêne, menace de le transpercer et de détruire le nouvel habitat des petits animaux et des plantes…
La faune, des bactéries microscopiques aux insectes sous la terre, jusqu’aux oiseaux dans le ciel et, les plantes, des plus petites comme les minuscules champignons aux mousses et aux grands arbres : le monde sauvage réinvestit le manoir. Peu à peu, son aspect change et, au fil du temps, disparaitra complètement et ne sera plus qu’un vague souvenir dans la mémoire de ceux qui l’ont connu. Avec autorité, la nature retrouve ses droits et montre qu’elle est capable d’avaler ce que les humains avaient construit.
Wilfried N’Sondé
2/ Le refus du retour
Bien des années plus tard, après avoir été délaissé par les humains , le vieux manoir redevient à nouveau le domaine exclusif de la nature.
Un grand arbre est devenu le patriarche de cet environnement végétal. Le plus grand, le plus gros, le plus majestueux arbre du lieu. Il y a plusieurs autres arbres autour de la vieille bâtisse qui ont poussé au fur et à mesure que le temps passait, jusqu’au jour où se retrouve réduit à néant le vieux manoir. Commencent alors à s’installer des animaux de toutes sortes.
Toute cette faune vit dans la plus parfaite harmonie. Les insectes, abeilles, guêpes, araignées, fourmis… profitent tranquillement de leur vie, sans craindre les assauts réguliers dont sont victimes les membres de leur espèce contraints de cohabiter avec les maudits bipèdes. Les vers de terre n’étouffent plus sous les pesticides ; les lièvres se régalent des carottes du vieux potager ; les taupes creusent sereinement sans risquer de voir leur ouvrage détruits d’un simple coup de pelle ; les sangliers grattent la terre sans avoir peur d’être chassés… Faune et flore vivent comme ils ne l’avaient jamais pu auparavant ici, libérés de l’ingratitude de ces funestes bipèdes qui leur avaient toujours toujours pris.
Le grand arbre, doyen de cette communauté, qui par sa puissance avait fini d’effacer les dernières traces de l’ancienne domination humaine, incarne la sagesse et veille à maintenir l’harmonie entre tous. Tout est si calme… subsiste juste le mélodieux chant des oiseaux.
Par une belle matinée ensoleillée, un moustique part faire sa promenade habituelle lorsqu’il voit au loin de grandes machines en métal remplies de bipèdes, ces créatures qui souvent peuplaient les histoires au sujet de l’ancien temps que racontait le grand arbre. Les mouettes s’agitent alors que la terre commence à trembler sous les roues des machines. Prévenu par le moustique, le grand arbre avertit la communauté, et cherche à comprendre la raison de cette visite imprévue. La panique est là : le vent siffle, les branches craquent, certaines roses flétrissent. Plus les bipèdes approchent, plus le vieil arbre doute de leurs intentions. En quelques instants le temps devient gris, le vent plus fort, comme si une tempête était sur le point de tout ravager. Les machines s’arrêtent, et des bipèdes en descendent, tenant à la main des grands cahiers à dessin sur lesquels figurent des plans, et des dessins représentants d’étranges oiseaux métalliques, inconnus de tous, sauf du grand arbre. Des avions. Et soudain, il comprend. Les bipèdes veulent reconquérir les lieux, et construire ici l’un de ces gigantesques nids de béton et d’acier nécessaire au décollage, dans un vacarme assourdissant, des avions. L’harmonie est menacée. Le chaos va revenir. Il ne faut pas l’accepter.
A l’appel du doyen, qui refuse de voir réduit son havre de paix autrefois utopique qui avait fini par devenir réalité, faune et flore s’allient dans le refus unanime de ce retour non désiré, et tant redouté, des bipèdes oppresseurs.
Les feuilles du grand arbres bruissent. En jaillit alors une nuée, ou plutôt une armée, d’insectes volants de toutes sortes : abeilles, guêpes, frelons asiatiques, moustiques tigres, mouches tsé-tsé, qui tel un escadron lancent un assaut contre les indésirables. Les oiseaux les rejoignent et volent tout proches, dans une cacophonie retentissante. Harcelés de toute part, les bipèdes sont contraints d’écourter leur visite. Tout en essayant de chasser de leurs bras les assaillants, il regagnent leurs machines, et fuient. Le répit.
Mais le sage patriarche ne se félicite pas de cette victoire. Plusieurs signes montrent que les bipèdes vont revenir, et ne pas s’arrêter là. A sa manière, la communauté révoltée organise la résistance, et prépare une défense sans pareil. Des arbres et des oiseaux font office de sentinelles. La végétation se développe de façon rapide et hostile : un champ de ronces recouvre rapidement les chemins, et les plantes exotiques sont appelées à occuper le terrain : plantes carnivores, soporifiques, vénéneuses, toxiques, mortelles… Les taupes creusent des pièges. Le marais environnant se transforme en des sables mouvants redoutables… Chaque espèce, végétale ou animale, met à profit ses spécificités dans un but commun : empêcher une nouvelle invasion des bipèdes. La « rézoolution » est en marche. La communauté entière est prête à faire face à l’inéluctable retour des oppresseurs.
La révégétolution
Depuis que les bipèdes étaient arrivés, le vacarme ne s’arrêtait plus. Plusieurs animaux avaient essayé de les repousser, en vain. Ils réfléchirent tous à une stratégie plus évoluée.
Une jeune fouine observait la scène. Le rongeur, étant un animal solitaire n’avait pas pris part à la « rézoolution ». Elle trouvait que cela ne servait à rien, sachant que les bipèdes finissaient toujours par revenir et faire ce qu’ils voulaient. Durant la journée, elle regardait les écureuils qui partaient en groupe pour ronger les câbles, les oiseaux qui volaient la nourriture de la cantine, les insectes qui piquaient les peaux au sang. Les animaux faisaient tout pour pourrir la vie des humains. Les souris envahissaient les engins de chantier. Les rongeurs grignotaient les planches de bois pour faire tomber les bipèdes de leurs échafaudages. Les campagnols déposaient leurs excréments dans leurs espaces de vie, remplissaient de crottes les chaussures de sécurité. Les hérissons arrachaient leurs pics et les déposaient dans les bottes des constructeurs qui criaient de douleur quand la pointe transperçait leur chair.
Comme la fouine l’avait prédit, les bipèdes trouvèrent des solutions, ils construisirent des câbles plus solides, ils cachèrent la nourriture dans des bocaux impossible à ouvrir, ils vaporisèrent de l’insecticide afin de les repousser...
Les animaux se réunirent à nouveau pour trouver une solution, ils oublièrent leur faim et leurs rivalités. La femelle fouine n’y alla pas. Elle était fermée à toute solution, pour elle, le manoir n’était qu’une passade, elle trouverait un nouvel habitat. En pleine nuit, elle voulut aller voler de la nourriture chez les bipèdes. Elle attendit que les lumières soient toutes éteintes pour s’incruster. En s’introduisant dans la cuisine, elle ne vit pas le piège à souris composé non pas d’un clapet mais d’une cage, qui se referma sur elle.
Le lendemain une rumeur courait : la « rézoolution » avait trouvé une tactique. Les végétaux avaient développé de nouvelles défenses. Les ronces s’avançaient vers les bipèdes afin de bloquer l’accès à la forêt. Les buissons devinrent de plus en plus denses. Les arbres avaient trouvé une nouvelle façon de communiquer, ils jouèrent avec le sens du vent pour faire frémir leurs feuilles.
Au début on perçut seulement un bruissement léger mêlé au chant des oiseaux. Ensuite, on entendit des craquements de branches, de plus en plus fort. Un premier ouvrier leva la tête ; il s’aperçut que toutes les feuilles s’agitaient. Un essaim d’oiseaux tournoyait, il faisait tomber une multitude de pommes de pin. Un autre ouvrier leva la tête et reçut une branche d’arbre en pleine figure. Ses collègues l’emmenèrent rapidement à l’infirmerie. Une autre branche s’abattit bruyamment sur la pelleteuse, défonçant son capot. La peur et la colère commençaient à gagner les bipèdes. Les arbres essayèrent ensuite tant bien que mal de déplacer leurs racines pour bloquer les machines, mais trop grosses et trop lentes elles ne parvinrent pas à le faire à temps.
Les grands chênes et les sagesses séculaires des arbres décidèrent de libérer des airs toxiques, causant des maux de tête et des étourdissements chez les bûcherons, les incitant ainsi à quitter la forêt.
Pendant ce temps, les plantes vénéneuses commencèrent à s’entourer autour du chantier pour empêcher toute construction supplémentaire. Les animaux, quant à eux, menèrent des opérations de sauvetage pour les créatures piégées dans les zones dévastées, utilisant leur ruse et leur agilité pour déjouer les plans des humains.
Le lendemain matin, deux ouvriers trouvèrent un collègue enfoui sous les sables mouvants. Ils essayèrent de l’extraire mais le corps était pris dans des ronces, qui le retenaient et les blessaient. Après de longs moments de lutte avec divers outils, ils réussirent à le sortir du sable. Ils virent alors une scène d’horreur : l’homme mort avait du sable plein les yeux, dans les narines, et son visage était complètement déformé à cause de la peur. Les ouvriers prirent peur, la révolte grondait et plusieurs parlaient de démissionner.
Le contremaître apprit la nouvelle et décida d’appeler le chef de chantier .
– Chef, on a un problème, un collègue est mort dans les sables mouvants et les ouvriers veulent quitter le chantier ! Qu’est-ce qu’on fait ?
– Quoi ! Un mort ! Il ne faut pas que ça fuite sinon le chantier sera arrêté, on aura une grosse perte d’argent et ça fera une mauvaise réputation à la société !
-Oui je comprends chef mais du coup on fait comment pour les ouvriers qui veulent partir ?
– Dites-leur que s’ils restent ils seront payés trois fois plus.
Tous les ouvriers acceptèrent la proposition. Tous sauf un. Nicolas ne put se résoudre à accepter de tels méfaits. Il quitta discrètement le chantier et s’enfonça dans la forêt. Il posa sa main sur un grand arbre. On disait que ce chêne existait depuis plus de cent ans, qu’il pouvait communiquer avec les autres végétaux et même avec les animaux. Après l’avoir touché, Nicolas se sentit tout à coup. Il crut entendre une voix lui murmurer : « Laisse la nature agir contre la cupidité humaine »
Les ouvriers soudoyés se réunirent en pleine nuit pour jeter le corps dans un lac près du manoir. Tous les animaux aquatiques et terrestres s’entraidèrent alors pour sortir le corps de l’eau. Deux ours le transportèrent dans le jardin du manoir. Puis tous partirent se cacher pour observer les bipèdes.
Sept ouvriers, dont les trois hommes qui avaient caché le corps, découvrirent avec horreur le corps sans vie de Patrick … Pendant ce temps-là, dans la forêt, les ronces s’étendirent de plus en plus jusqu’à l’intérieur du manoir. Les ouvriers terrifiés abandonnèrent le cadavre et coururent en direction de la sortie. Malheureusement pour eux les plantes avaient déjà atteint l’intérieur du manoir. Pris de panique, ils essayèrent de sauter par-dessus mais les grandes épines les bloquèrent. Soudain les ronces leur attrapèrent les pieds, les encerclèrent puis les recouvrirent.
L’ETRANGE SYMBIOSE
Les ouvriers terrifiés abandonnèrent le cadavre et coururent en direction de la sortie. En levant la tête pour s’informer des futurs obstacles qui leur feraient face, ils virent une lumière au bout du couloir mortel, la sortie assurément ! Ils reprirent leur allure, une lueur d’espoir persistait. Ils continuèrent inlassablement en direction de cette lumière, plus que quelques mètres... C’est en atteignant leur but qu’ils comprirent leur erreur : ce n’était pas la sortie, mais une simple fenêtre à la lumière de laquelle de très nombreuses plantes avaient pu pousser démesurément. Ils entendirent cependant derrière eux les cris de détresse d’un des leurs : « Aidez-moi !!! ». Les autres tournèrent leur regard et virent que des ronces l’avaient capturé. L’un d’eux fit un pas en avant dans le but de l’aider, mais ils virent que les ronces l’avaient presque entièrement recouvert, l’empêchant de respirer. Il avait tenté de faire demi-tour pour échapper à ce piège mes les plantes avaient déjà barré le chemin. Une première plante agrippa sa jambe, il essaya de se libérer mais une seconde plante vint emprisonner ses côtes, puis une troisième, une quatrième... tant de ronces qu’ils ne pouvaient plus les compter. Il s’écroula, se débattait, mais ses tentatives paraissaient bien risibles. Une plante remonta jusqu’à son cou, l’empêchant de respirer, il n’avait plus d’énergie et il finit par renoncer, acceptant le sort qui lui était destiné...
Malheureusement pour eux, les plantes avaient déjà atteint tout l’intérieur du manoir, elles se rapprochaient dangereusement. Pris de panique, ils essayèrent de sauter par-dessus mais les grandes épines les bloquèrent. Soudain, les ronces leur attrapèrent les pieds, les encerclèrent puis les recouvrirent. Les ronces progressèrent de plus en plus vite à travers le manoir, raflant tout les ouvriers sur leur passage.
Certains, qui étaient restés dehors, coururent pour tenter de s’enfuir avec le camion de la propriété mais les ronces gagnèrent du terrain. Elles se démultipliaient, grossissaient. On aurait dit qu’elles acquéraient une conscience ainsi qu’une froide envie de meurtre. Les ouvriers se débattirent comme ils le purent, déjà une ronce se tendait vers eux... L’un d’eux sortit de sa poche une machette, coupa les ronces qui étaient en train de l’envahir, puis réussissant à s’en défaire, aida ces camarades à en sortir. Ils coururent encore quelques mètres, ils étaient maintenant à une centaine de mètres de la bâtisse. De cet endroit, ils purent constater l’état du bâtiment, les plantes encerclaient son entièreté, elles faisaient comme une sorte d’armure, un rempart où il fallait absolument protéger ce qu’elle y cachait.
La progression des plantes était rapide et déterminée, comme si la nature elle-même avait décidé de rependre possession de ces lieux abandonnés depuis trop longtemps. Les ouvriers, ceux qui avaient été piégés par les lianes et les épines, tentaient en vain de se dégager. Des cris d’agonie résonnaient alors que la végétation s’entrelaçait autour de leurs membres, les immobilisant complètement. Au fur et à mesure que les ronces les recouvraient, une étrange transformation semblait s’opérer. Des bourgeons écarlates éclosaient à la surface de la peau des ouvriers, une lueur mystérieuse émanant d’eux. La plante semblait se servir du sang de ses victimes afin de se développer de plus en plus. Le manoir n’était plus que sang et ronces...
Le manoir, autrefois symbole de grandeur et de richesse, était désormais un théâtre macabre où la nature prenait sa revanche. Les murs de la demeure semblaient suinter d’une énergie étrange, les rendant complices de cette transformation inquiétante. Les plantes, désormais maîtresses des lieux, s’étendaient inexorablement à travers les couloirs, élargissant leur emprise sur chaque recoins du manoir. La lueur du crépuscule filtrait à travers les fenêtres du manoir, jetant des ombres fantomatiques sur cette scène étrange. Les plaintes étouffées des ouvriers, désormais transformés en émissaires d’une symbiose inattendue, résonnaient comme un écho sinistre de la défaite humaine face à une force insaisissable et implacable...
La seule personne qui a survécu à cet évènement ne peut en aucun cas nous faire part de ce moment car après ce traumatisme l’ouvrier a eu des troubles du sommeil, des souvenirs intrusifs, et donc en parler pourrait faire remonter des images et déclencher une crise. Aucune information claire n’a été transmise et cette partie de foret est à ce jour déserte, laissant faune et flore s’épanouir.
Année après année, les oiseaux vinrent timidement se percher sur les branches des grands chênes. Les rongeurs avaient eux aussi commencé à peupler la forêt. Un matin, alors que le soleil se levait dans une brume de journée automnale, un rouge-gorge se pointa dans le paysage féerique. Chaque jour, un nouvel animal ou végétal venait rejoindre les autres et trouver sa place en corrélation tous ensemble. Le manoir était splendide avec ces plantes qui le protégeaient et qui montaient jusqu’aux fenêtres de l’étage, avec ces fleurs poussant à certains endroits ce qui mettaient de la couleur à ce désastre crée par l’homme.
Les plantes étaient quant à elles retournées dans le sous-bois à côté du manoir. Les hommes avaient sûrement compris la leçon cette fois-ci et ils ne reviendraient, les plantes l’espéraient, plus jamais...