Prologue
La décision de quitter la ville pour s’installer à la campagne murissait depuis plusieurs années dans l’esprit de Monsieur et Madame Morin-Diallo. Les problèmes d’asthme de Sarah, la petite dernière, et les plaintes incessantes des voisins lorsque les jumeaux Lucas et Salomon jouaient dans la cour de leur résidence du centre-ville de Lyon avaient fini par les convaincre de faire le grand saut. Alors, un matin d’août, les cinq Lyonnais accompagnés de leur chien et de leur chat s’étaient installés dans un coin reculé d’Ardèche au bord de la rivière la Bourges, dans une jolie maison de pierre abandonnée depuis seulement six mois. La santé déclinante du couple de retraités qui y avait vécu les avait poussés à rejoindre la vallée non loin d’un centre hospitalier et des services qu’il proposait aux personnes âgées. Les parents Morin-Diallo, Laurence et Driss, tout sourires, se réjouissaient. Enfin ils réalisaient leur rêve, offraient à leurs enfants de sept et douze ans un cadre de vie proche de la vie sauvage, où l’air était peu pollué et qui permettrait à leur progéniture d’évoluer au grand air, dans un milieu sain au plus près de la nature. Dès les premiers jours, la respiration de Sarah se fit plus fluide, aucun accès de toux à déplorer, son teint s’était éclairci, elle était radieuse, son père et sa mère s’en félicitait. Quant aux garçons, ils n’en revenaient pas de disposer d’un terrain de jeu qui leur semblait illimité. Ils couraient dans les bois, dévalaient les pentes à s’en couper le souffle, sautaient dans les cascades, s’aspergeaient d’eau dans la rivière, hurlant et riant sans déranger personne, un vrai bonheur.
Or, ce dont aucun d’entre eux ne se doutait, c’était que le vide de la maison qu’ils venaient d’investir n’était qu’apparent. En effet, cachés dans les nombreux recoins des deux étages que les Morin-Diallo occupaient, ainsi que dans le grenier, dans la cave, au beau milieu de ce qui avait été un potager, sur la rivière et partout sur ses rives, fourmillait un grand nombre d’espèces de la faune et de la flore locale. Des bactéries invisibles à l’œil nu, des insectes plus ou moins faciles à vivre, des reptiles surtout de petites tailles, des mammifères petits et grands, jusqu’aux oiseaux qui volaient librement au-dessus de la nouvelle demeure de Laurence et de Driss. Sans le savoir, les cinq bipèdes citadins et leurs deux animaux de compagnie bouleversaient tout un écosystème qui avait appris à exister sans devoir composer avec des humains.
Laurence entreprit d’abord de s’occuper du jardin qu’elle voulait rendre joli. Elle s’arma d’une énorme paire de ciseaux en métal et d’autres ustensiles et commença par se charger des mauvaises herbes : elle défrichait, éliminait toutes les plantes qui lui semblaient laides ou inutiles, une hécatombe. Dans la remise, Driss fut ravi de trouver une tondeuse à gazon dont le réservoir contenait encore suffisamment de carburant. Afin de rendre les alentours de leur propriété plus ordonnée, il sortit l’engin, et l’alluma. Un bruit de moteur vint perturber le calme à une centaine de mètres à la ronde, semant l’effroi dans la nature, d’autant que la fumée noire qui s’en échappait était irrespirable. Alors qu’ils jouaient dans le lit de la rivière, les deux garçons n’hésitaient pas à s’emparer de cailloux qu’ils jetaient à la surface pour s’éclabousser, sans se rendre compte qu’ils retiraient leurs abris à des crustacés livrés subitement sans secours aux attaques de leurs prédateurs. Leur chien, encore jeune et turbulent, ne sachant plus où donner du museau, pourchassait les papillons affolés, creusait la terre en arrachant les racines nécessaires à la survie des plantes, ses jeux détruisaient aussi l’habitat d’insectes incapables de vivre au grand jour. Le chat aussi jubilait, il avait à sa disposition un vaste terrain de chasse où les rongeurs dont il raffolait, découvraient bien trop tard son habileté et sa redoutable efficacité. Le petit félin ne mit pas vingt-quatre heures à s’adapter à son nouvel environnement, il en devint le principal prédateur.
En se rencontrant, deux univers qui n’aspiraient pourtant qu’à vivre en paix entraient en collision. Mais, ignorés par les humains, c’était au monde des plantes et des animaux de réagir, d’observer attentivement le comportement des nouveaux venus afin de s’y adapter, puis de trouver rapidement les moyens de cohabiter avec ceux qu’ils considéraient comme des intrus qui leur compliquaient l’existence.
1/ Dans la maison au bord de la Bourges
La petite souris avait élu domicile dans la maison au bord de la Bourges vers la fin du printemps dernier, peu avant de mettre bas ses six petits. Elle avait choisi de s’installer dans le calme du grenier, un excellent refuge qui la protégeait de la lumière pendant ses longues heures de sommeil de la journée, et lui proposait une excellente base de repli après les escapades nocturnes qui lui permettait de se rassasier et de nourrir sa progéniture.
Tout se passait à merveille depuis des mois, elle coulait des jours tranquilles, mais vers la fin de l’été, son univers s’était assombri avec l’arrivée d’humains et de deux monstres à quatre pattes. Avec leurs meubles et leurs énormes machines en métal qui faisait énormément de bruit, ils avaient totalement changé la géographie de la maison. Par chance ils ne s’étaient pas encore aventuré dans le grenier et la souris avait vite compris que ces étranges individus, contrairement à elle, vivaient le jour et dormaient la nuit. Et puis le nombre d’imposants objets avec lesquels ils encombraient l’espace offraient encore plus de possibilités de se dissimuler, ce qui facilitait ses déplacements vers l’extérieur, il s’agissait juste d’éviter la proximité du chat et du chien. Mais alors qu’elle pensait s’accommoder de cette soudaine invasion, une nuit où la souris partit comme à son habitude chasser des grillons, des chenilles ou d’autres petits insectes, elle s’arrêta net sur le porche de la maison et constata qu’à l’extérieur aussi tout avait changé, elle se retrouvait devant un paysage apocalyptique
Il avait suffi d’une journée pour que l’endroit qui la veille encore abondait de proies deviennent un désert de sillons de terre retournée. Son cœur battait à rompre sa petite poitrine. Elle s’appuya sur ses pattes arrière pour voir ce qu’il en était un peu plus avant, mais d’aussi loin qu’elle pouvait regarder, tout était dévasté. Elle renifla l’air, observa les alentours, s’arrêta en scrutant l’obscurité en direction de la rivière et se dit que ce serait peut-être l’occasion d’y aller chercher des petits escargots. Mais la lune presque pleine éclairait dangereusement l’espace entre elle et le cours d’eau où l’herbe avait été coupé très court, cette hypothèse et le chemin à découvert jusqu’à la rive l’exposait trop à l’assaut d’un rapace. La sourit stressait, elle pensait à ses petits sans savoir comment soulager leur faim. Dans le doute elle décida de rebrousser chemin et retourna dans la maison. Après quelques pas dans l’entrée, elle aperçut une forme bouger dans le noir. Le chat s’était réveillé, il s’étira puis trotta jusqu’à la cuisine pour se désaltérer. La souris s’arrêta mais son odeur la trahit, le félin stoppa, tourna son regard vers elle. Le rongeur se mit à courir et réussit à atteindre une plinthe, elle s’y cacha, tordit son corps, arriva à poursuivre sa course et laissa derrière elle les griffes du chat qui grattaient le bois. Heureusement, elle connaissait la maison par cœur et n’eut aucun mal à gagner l’étage avec le chat toujours à ses trousses. Dans la panique elle réussit à entrer dans la chambre où dormait la petite fille en se faufilant sous la porte, le chat n’allait pas tarder à arriver.
Les miaulements sortirent Sarah de son sommeil. Après s’être frottée les yeux, la petite se redressa sur son lit, elle aperçut une petite souris apeurée, menacée par le chat qui appelait avec insistance.
2/ Traque nocturne
Sarah hurla. A peine le chat eut-il le temps de l’entendre que la souris avait disparu. Il regarda le petite fille, apeurée de voir ce rongeur au pied de son lit. Le félin aperçut sa proie frôler les rideaux. Il bondit alors agilement de la commode, ses pattes touchant à peine le sol... en vain. Il sentit seulement la fine queue rose se faufiler entre ses pattes en le chatouillant. Durant un court instant, le prédateur perdit sa victime de vue : la souris s’était volatilisée. Il avait été distrait quelques secondes et le voilà frustré mais toujours déterminé. Il dévala les escaliers en miaulant après le petit animal. Ses miaulements se firent entendre dans le silence de la nuit. Il passa chaque pièce au peigne fin jusqu’à ce que sa curiosité fût attirée par un bruit provenant de la cuisine. Il avança a pas feutrés et entra dans la pièce en reniflant partout sur son passage pour essayer de retrouver sa trace. Soudain, grâce à son ouïe sur-développée, il vit la maigre silhouette en train de grignoter quelques miettes de pain et des croquettes de la veille, avant de se faufiler sous ce gros glaçon blanc renfermant un hiver glacial que les humains avaient l’habitude d’ouvrir pour y déposer leur bouteille de lait notamment. Il était à présent seul dans cette pièce artificielle, remplie d’objets plus étranges les uns que les autres.
Là, tout semblait froid et étrange, les lumières artificielles illuminaient une pièce encombrée de machines brillantes et étrangement silencieuses. Le chat ignorait l’utilité de ces objets métalliques : un coffre singulier projetant des flammes et créant une chaleur étouffante, sur une table des couteaux plus tranchants que ses griffes, un gros bol muni de lame qui faisait un bruit infernal ou une boîte de laquelle sautent les tranches de pain grillé. Pour lui tout cela n’avait aucun sens, il suffisait juste de ses dents pour couper, mâcher et avaler sa nourriture. Mais ces objets-là, mieux valait ne pas y toucher. Souvent il avait vu Driss et Laurence se couper ou se brûler par manque d’attention… Le félin se remit en chasse : il se faufila entre les nombreuses boîtes de conserves présentes sur l’étagère. Il bondit sur la table et fit tomber une bouteille de verre sur le sol. Il arriva ensuite vers la cafetière et se mit à tripoter les boutons de la machine moderne. Il ne retrouva malheureusement aucune trace de la petite souris. Il n’abandonna pas et se tapit sous l’évier, là où ses moustaches fines lui indiquaient un mouvement. C’était une araignée suspendue à sa toile, immobile. Plus loin, c’était un fruit oublié sur lequel de la moisissure était apparue. Plus bas, des fourmis transportaient discrètement des restes du repas des Morin-Diallo, trop lourds pour leur minuscule taille. Tout un éco-système vivait ici, ignoré des humains. Il remarqua que ces petits insectes innocents se dirigeaient tous au même endroit. Curieux, le chat les suivit et son flaire sentit une odeur étrange. Puis il aperçut les fourmis devenir immobiles.
Le chat se retrouva seul dans le silence qui régnait dans la pièce. En effet, le calme s’était à présent installé. Il resta assis, pensif, et se mit à repenser aux bouleversements qui s’étaient déroulés dans son ancien appartement, il devint nostalgique. Il se rappelait ces douces soirées d’hiver sous la couette à regarder cet étrange bloc lumineux en famille. C’était le temps où toute la famille faisait attention à lui, mais c’était aussi le temps où les bruits de la ville le terrorisaient. Ces bruits l’empêchaient de profiter de sa douce vie de chat. Les klaxons des voitures, le bruit des avions… Sa nouvelle maison, à la campagne, lui permettait d’oublier cette peur. Il passait maintenant ses journées dans le jardin, sous le grand chêne, à espionner et écouter les oiseaux qui chantonnaient sur les branches de l’arbre. Il aimait aussi jouer avec les ombres des papillons qui volaient élégamment. Non, c’est sûr, il ne regrettait pas son ancienne vie. Les pas de Driss dans le couloir le ramenèrent à la réalité.
Soudain un cri retentit. La porte de la cuisine s’ouvrit et le père entra, jetant sur le chat un air menaçant. Apeuré par ce cri, il prit la fuite sans plus attendre.
3/ Un mal inconscient
La famille habitait cette maison depuis plusieurs mois déjà. Ils étaient à l’aise et commençaient à s’habituer à leur nouvelle vie à la campagne.
Le père, Driss, qui avait maintenant plus de temps libre, avait décidé de s’occuper du jardin. Il avait commencé par arracher les mauvaises herbes et surtout les arbustes buissonneux qui s’y trouvaient. La pelouse était régulièrement tondue à ras, tout était tiré au cordeau, Driss en était fier ! Il avait entrepris ensuite de creuser une grande piscine ainsi qu’une terrasse, bétonnant une surface importante du terrain autour de la maison.
Laurence, la mère, avait décidé de remettre au goût du jour leur vieille bâtisse, encore encombrée des vieux meubles laissés par les anciens propriétaires. Il fallait les remplacer par des meubles plus modernes, comme ceux d’une célèbre enseigne suédoise, plus tendance. Comme toujours, tout cela avait été fait au rythme de la musique à fond ! Elle avait agrémenté le jardin de lampes nocturnes, cela faisait chic. Et bien entendu, dans toute la maison, on avait installé la climatisation. Touche finale, désormais, dans le salon, trônait un écran géant, flanqué d’un home cinéma qui envoyait des décibels, comme si l’on était dans le film. Laurence était ravie de son travail.
Les jumeaux s’étaient bien appropriés les lieux, eux aussi. Dès qu’ils le pouvaient, ils filaient en direction de la forêt, débusquer de petits rongeurs. Ils s’étaient fabriqués une fronde et s’amélioraient au tir sur cible mouvante. Ils savaient reconnaître les tas de feuilles propices à surprendre un hérisson en pleine hibernation. Ils étaient émerveillés quand ils parvenaient à trouver le terrier d’un renard, ou celui d’un blaireau qu’ils s’amusaient à déloger. Ils avaient repéré tous les coins à grenouilles et s’évertuaient à les faire sauter dans l’eau des mares. Ils en sortaient tous les tritons qu’il y découvraient. La forêt était vraiment un terrain de jeu immense et semblait-il, inépuisable...
Quant au chat et au chien, ils n’étaient pas en reste. Le chat montait aux arbres, se faufilant jusqu’aux nids des oiseaux, se jouait des insectes : vers de terre, papillons, fourmis, gendarmes, coccinelles, sa vivacité ne laissait aucune chance à ses proies. Le chien, lui, se contentait de creuser des trous, arrachant les racines. Il aimait aussi faire de longues courses derrière les lapins et parfois même, des chevreuils.
La vie à la campagne était merveilleuse !… Mais… C’est ainsi que les chants des oiseaux se firent plus rares. Les abeilles ne vinrent plus polliniser les fleurs du jardin ; les apiculteurs avaient remarqué en effet la diminution de leur production de miel. Les prédateurs commencèrent à manquer de ressources alimentaires, et ce, dû à l’étonnante diminution de leurs proies. Les parents avaient acheté tous les produits pour faire le jardin de leur rêve sans forcément regarder leur composition, si bien que la vie minuscule disparaissait sans faire de bruit. Cette famille appréciant le privilège d’être ainsi au contact de la nature, ne se rendait pas compte comme cette insouciance impactait leur environnement. Sarah comprit la première que, alors que ses parents ou ses frères ne pensaient pas à mal, le fait de ne pas se poser de questions les conduisait à la catastrophe !
Départ pour une nouvelle vie !
Le lendemain, au petit déjeuner, la sonnette retentit. Driss se leva pour aller ouvrir. Devant lui se tenaient les voisins d’à côté. Apparemment, ils ne semblaient pas être venus pour les inviter à prendre le thé, leurs visages étaient sombres. Que se passe-t-il donc, pensa Driss. Ils s’étaient déjà croisés mais rien de plus.
Driss les salua et les invita à entrer. C’était l’occasion de faire connaissance, en plus le café était prêt ! Les voisins acceptèrent car ils avaient quelque chose de très important à leur dire ce qui valait une visite aussi matinale. Ils se présentèrent : Colette et Paul .
Une fois rassemblés autour de la table du salon, les voisins entamèrent la discussion pendant que Driss servait du thé et du café.
Paul prit la parole d’un air gêné :
– Excusez-nous de venir si tôt ...mais nous avons quelque chose d’important à vous dire.
– Il n’y a aucun souci, vous avez bien fait de venir sonner à la porte...en plus, c’est dimanche, nous avons du temps...continua Driss.
– C’est plutôt à nous de nous excuser de ne pas avoir pris le temps de venir nous présenter...nous sommes tellement débordés...ajouta Laurence.
– En effet, vous êtes débordés...et votre débordement fait beaucoup de bruit, dit Colette d’une voix dure.
– Ah bon ? du bruit ? s’étonnèrent Driss et Laurence.
– Oui, votre tronçonneuse à n’importe quelle heure, les allers et retours des entreprises de dératisation...énuméra Paul d’un ton ferme. Colette enchaîna et ajouta :
– Et en plus, dès le premier jour,vous désorientez le cycle de la nature par vos comportements inappropiés !
– Ah bon mais lesquels ? demanda Laurence étonnée.
– Vous désherbez de manière sauvage, vous utilisez des pesticides beaucoup trop dangereux pour la santé de la nature, des animaux et de nous tous... expliqua Paul.
A ce moment-là, Mami Bintou arriva dans le salon. En effet, elle passait le week-end chez ses enfants. Elle avait entendu la sonnerie, l’arrivée des voisins et le début de la conversation qui ne l’étonnait absolument pas. Elle-même avait voulu en discuter avec Laurence et Driss mais elle avait attendu le moment propice car elle voyait bien qu’ils n’étaient pas forcément prêts à entendre des critiques, d’autant plus qu’ils avaient changé de vie pour la santé de Sarah. Quand les voisins virent Mami Bintou, Colette et Paul furent ravis de la retrouver, leurs visages sombres jusqu’à présent s’éclaircirent soudainement. En effet, ils savaient qu’elle était leur alliée.
Lors d’une promenade, elle avait rencontré sur le chemin les voisins Colette et Paul, et ils avaient échangé sur l’arrivée et l’installation de Laurence et Driss à la campagne.
Rapidement, ils étaient tombés d’accord sur le fait que la petite famille de Lyon n’agissait pas de la bonne manière. Les voisins étaient étonnés que Mami Bintou, l’amie de la nature et des animaux, ait des enfants qui se permettent de ne pas respecter la nature.
– Bonjour Colette et Paul, comme ça me fait plaisir de vous revoir ! dit Mami Bintou d’une voix joyeuse comme à son habitude.
– Nous aussi nous somme ravis de te voir Bintou, nous nous sommes permis de venir discuter de... tu sais quoi...
Mami Bintou s’adressa à ses enfants :
– Les enfants, je voulais aborder ce sujet avec vous et vu que Colette et Paul sont parmi nous, je veux vous dire que je suis du même avis qu’eux !
Laurence et Driss étaient étonnés mais ils comprenaient les reproches qu’on leur faisait.
Dès le lendemain, les Morin-Diallo avaient pris conscience de leurs mauvaises habitudes de citadins et avaient réfléchi aux bons conseils de leurs voisins et de leur grand-mère Bintou. Ils avaient décidé de s’adapter à leur nouvel environnement et non pas de s’imposer.
Dorénavant, la nature les guidera...
1/ Dans la maison au bord de la Bourges
La petite souris avait élu domicile dans la maison au bord de la Bourges vers la fin du printemps dernier, peu avant de mettre bas ses six petits. Elle avait choisi de s’installer dans le calme du grenier, un excellent refuge qui la protégeait de la lumière pendant ses longues heures de sommeil de la journée, et lui proposait une excellente base de repli après les escapades nocturnes qui lui permettait de se rassasier et de nourrir sa progéniture.
Tout se passait à merveille depuis des mois, elle coulait des jours tranquilles, mais vers la fin de l’été, son univers s’était assombri avec l’arrivée d’humains et de deux monstres à quatre pattes. Avec leurs meubles et leurs énormes machines en métal qui faisait énormément de bruit, ils avaient totalement changé la géographie de la maison. Par chance ils ne s’étaient pas encore aventuré dans le grenier et la souris avait vite compris que ces étranges individus, contrairement à elle, vivaient le jour et dormaient la nuit. Et puis le nombre d’imposants objets avec lesquels ils encombraient l’espace offraient encore plus de possibilités de se dissimuler, ce qui facilitait ses déplacements vers l’extérieur, il s’agissait juste d’éviter la proximité du chat et du chien. Mais alors qu’elle pensait s’accommoder de cette soudaine invasion, une nuit où la souris partit comme à son habitude chasser des grillons, des chenilles ou d’autres petits insectes, elle s’arrêta net sur le porche de la maison et constata qu’à l’extérieur aussi tout avait changé, elle se retrouvait devant un paysage apocalyptique
Il avait suffi d’une journée pour que l’endroit qui la veille encore abondait de proies deviennent un désert de sillons de terre retournée. Son cœur battait à rompre sa petite poitrine. Elle s’appuya sur ses pattes arrière pour voir ce qu’il en était un peu plus avant, mais d’aussi loin qu’elle pouvait regarder, tout était dévasté. Elle renifla l’air, observa les alentours, s’arrêta en scrutant l’obscurité en direction de la rivière et se dit que ce serait peut-être l’occasion d’y aller chercher des petits escargots. Mais la lune presque pleine éclairait dangereusement l’espace entre elle et le cours d’eau où l’herbe avait été coupé très court, cette hypothèse et le chemin à découvert jusqu’à la rive l’exposait trop à l’assaut d’un rapace. La sourit stressait, elle pensait à ses petits sans savoir comment soulager leur faim. Dans le doute elle décida de rebrousser chemin et retourna dans la maison. Après quelques pas dans l’entrée, elle aperçut une forme bouger dans le noir. Le chat s’était réveillé, il s’étira puis trotta jusqu’à la cuisine pour se désaltérer. La souris s’arrêta mais son odeur la trahit, le félin stoppa, tourna son regard vers elle. Le rongeur se mit à courir et réussit à atteindre une plinthe, elle s’y cacha, tordit son corps, arriva à poursuivre sa course et laissa derrière elle les griffes du chat qui grattaient le bois. Heureusement, elle connaissait la maison par cœur et n’eut aucun mal à gagner l’étage avec le chat toujours à ses trousses. Dans la panique elle réussit à entrer dans la chambre où dormait la petite fille en se faufilant sous la porte, le chat n’allait pas tarder à arriver.
Les miaulements sortirent Sarah de son sommeil. Après s’être frottée les yeux, la petite se redressa sur son lit, elle aperçut une petite souris apeurée, menacée par le chat qui appelait avec insistance.
2/ Traque nocturne
Sarah hurla. A peine le chat eut-il le temps de l’entendre que la souris avait disparu. Il regarda le petite fille, apeurée de voir ce rongeur au pied de son lit. Le félin aperçut sa proie frôler les rideaux. Il bondit alors agilement de la commode, ses pattes touchant à peine le sol... en vain. Il sentit seulement la fine queue rose se faufiler entre ses pattes en le chatouillant. Durant un court instant, le prédateur perdit sa victime de vue : la souris s’était volatilisée. Il avait été distrait quelques secondes et le voilà frustré mais toujours déterminé. Il dévala les escaliers en miaulant après le petit animal. Ses miaulements se firent entendre dans le silence de la nuit. Il passa chaque pièce au peigne fin jusqu’à ce que sa curiosité fût attirée par un bruit provenant de la cuisine. Il avança a pas feutrés et entra dans la pièce en reniflant partout sur son passage pour essayer de retrouver sa trace. Soudain, grâce à son ouïe sur-développée, il vit la maigre silhouette en train de grignoter quelques miettes de pain et des croquettes de la veille, avant de se faufiler sous ce gros glaçon blanc renfermant un hiver glacial que les humains avaient l’habitude d’ouvrir pour y déposer leur bouteille de lait notamment. Il était à présent seul dans cette pièce artificielle, remplie d’objets plus étranges les uns que les autres.
Là, tout semblait froid et étrange, les lumières artificielles illuminaient une pièce encombrée de machines brillantes et étrangement silencieuses. Le chat ignorait l’utilité de ces objets métalliques : un coffre singulier projetant des flammes et créant une chaleur étouffante, sur une table des couteaux plus tranchants que ses griffes, un gros bol muni de lame qui faisait un bruit infernal ou une boîte de laquelle sautent les tranches de pain grillé. Pour lui tout cela n’avait aucun sens, il suffisait juste de ses dents pour couper, mâcher et avaler sa nourriture. Mais ces objets-là, mieux valait ne pas y toucher. Souvent il avait vu Driss et Laurence se couper ou se brûler par manque d’attention… Le félin se remit en chasse : il se faufila entre les nombreuses boîtes de conserves présentes sur l’étagère. Il bondit sur la table et fit tomber une bouteille de verre sur le sol. Il arriva ensuite vers la cafetière et se mit à tripoter les boutons de la machine moderne. Il ne retrouva malheureusement aucune trace de la petite souris. Il n’abandonna pas et se tapit sous l’évier, là où ses moustaches fines lui indiquaient un mouvement. C’était une araignée suspendue à sa toile, immobile. Plus loin, c’était un fruit oublié sur lequel de la moisissure était apparue. Plus bas, des fourmis transportaient discrètement des restes du repas des Morin-Diallo, trop lourds pour leur minuscule taille. Tout un éco-système vivait ici, ignoré des humains. Il remarqua que ces petits insectes innocents se dirigeaient tous au même endroit. Curieux, le chat les suivit et son flaire sentit une odeur étrange. Puis il aperçut les fourmis devenir immobiles.
Le chat se retrouva seul dans le silence qui régnait dans la pièce. En effet, le calme s’était à présent installé. Il resta assis, pensif, et se mit à repenser aux bouleversements qui s’étaient déroulés dans son ancien appartement, il devint nostalgique. Il se rappelait ces douces soirées d’hiver sous la couette à regarder cet étrange bloc lumineux en famille. C’était le temps où toute la famille faisait attention à lui, mais c’était aussi le temps où les bruits de la ville le terrorisaient. Ces bruits l’empêchaient de profiter de sa douce vie de chat. Les klaxons des voitures, le bruit des avions… Sa nouvelle maison, à la campagne, lui permettait d’oublier cette peur. Il passait maintenant ses journées dans le jardin, sous le grand chêne, à espionner et écouter les oiseaux qui chantonnaient sur les branches de l’arbre. Il aimait aussi jouer avec les ombres des papillons qui volaient élégamment. Non, c’est sûr, il ne regrettait pas son ancienne vie. Les pas de Driss dans le couloir le ramenèrent à la réalité.
Soudain un cri retentit. La porte de la cuisine s’ouvrit et le père entra, jetant sur le chat un air menaçant. Apeuré par ce cri, il prit la fuite sans plus attendre.
3/ Un mal inconscient
La famille habitait cette maison depuis plusieurs mois déjà. Ils étaient à l’aise et commençaient à s’habituer à leur nouvelle vie à la campagne.
Le père, Driss, qui avait maintenant plus de temps libre, avait décidé de s’occuper du jardin. Il avait commencé par arracher les mauvaises herbes et surtout les arbustes buissonneux qui s’y trouvaient. La pelouse était régulièrement tondue à ras, tout était tiré au cordeau, Driss en était fier ! Il avait entrepris ensuite de creuser une grande piscine ainsi qu’une terrasse, bétonnant une surface importante du terrain autour de la maison.
Laurence, la mère, avait décidé de remettre au goût du jour leur vieille bâtisse, encore encombrée des vieux meubles laissés par les anciens propriétaires. Il fallait les remplacer par des meubles plus modernes, comme ceux d’une célèbre enseigne suédoise, plus tendance. Comme toujours, tout cela avait été fait au rythme de la musique à fond ! Elle avait agrémenté le jardin de lampes nocturnes, cela faisait chic. Et bien entendu, dans toute la maison, on avait installé la climatisation. Touche finale, désormais, dans le salon, trônait un écran géant, flanqué d’un home cinéma qui envoyait des décibels, comme si l’on était dans le film. Laurence était ravie de son travail.
Les jumeaux s’étaient bien appropriés les lieux, eux aussi. Dès qu’ils le pouvaient, ils filaient en direction de la forêt, débusquer de petits rongeurs. Ils s’étaient fabriqués une fronde et s’amélioraient au tir sur cible mouvante. Ils savaient reconnaître les tas de feuilles propices à surprendre un hérisson en pleine hibernation. Ils étaient émerveillés quand ils parvenaient à trouver le terrier d’un renard, ou celui d’un blaireau qu’ils s’amusaient à déloger. Ils avaient repéré tous les coins à grenouilles et s’évertuaient à les faire sauter dans l’eau des mares. Ils en sortaient tous les tritons qu’il y découvraient. La forêt était vraiment un terrain de jeu immense et semblait-il, inépuisable...
Quant au chat et au chien, ils n’étaient pas en reste. Le chat montait aux arbres, se faufilant jusqu’aux nids des oiseaux, se jouait des insectes : vers de terre, papillons, fourmis, gendarmes, coccinelles, sa vivacité ne laissait aucune chance à ses proies. Le chien, lui, se contentait de creuser des trous, arrachant les racines. Il aimait aussi faire de longues courses derrière les lapins et parfois même, des chevreuils.
La vie à la campagne était merveilleuse !… Mais… C’est ainsi que les chants des oiseaux se firent plus rares. Les abeilles ne vinrent plus polliniser les fleurs du jardin ; les apiculteurs avaient remarqué en effet la diminution de leur production de miel. Les prédateurs commencèrent à manquer de ressources alimentaires, et ce, dû à l’étonnante diminution de leurs proies. Les parents avaient acheté tous les produits pour faire le jardin de leur rêve sans forcément regarder leur composition, si bien que la vie minuscule disparaissait sans faire de bruit. Cette famille appréciant le privilège d’être ainsi au contact de la nature, ne se rendait pas compte comme cette insouciance impactait leur environnement. Sarah comprit la première que, alors que ses parents ou ses frères ne pensaient pas à mal, le fait de ne pas se poser de questions les conduisait à la catastrophe !
Départ pour une nouvelle vie !
Le lendemain, au petit déjeuner, la sonnette retentit. Driss se leva pour aller ouvrir. Devant lui se tenaient les voisins d’à côté. Apparemment, ils ne semblaient pas être venus pour les inviter à prendre le thé, leurs visages étaient sombres. Que se passe-t-il donc, pensa Driss. Ils s’étaient déjà croisés mais rien de plus.
Driss les salua et les invita à entrer. C’était l’occasion de faire connaissance, en plus le café était prêt ! Les voisins acceptèrent car ils avaient quelque chose de très important à leur dire ce qui valait une visite aussi matinale. Ils se présentèrent : Colette et Paul .
Une fois rassemblés autour de la table du salon, les voisins entamèrent la discussion pendant que Driss servait du thé et du café.
Paul prit la parole d’un air gêné :
– Excusez-nous de venir si tôt ...mais nous avons quelque chose d’important à vous dire.
– Il n’y a aucun souci, vous avez bien fait de venir sonner à la porte...en plus, c’est dimanche, nous avons du temps...continua Driss.
– C’est plutôt à nous de nous excuser de ne pas avoir pris le temps de venir nous présenter...nous sommes tellement débordés...ajouta Laurence.
– En effet, vous êtes débordés...et votre débordement fait beaucoup de bruit, dit Colette d’une voix dure.
– Ah bon ? du bruit ? s’étonnèrent Driss et Laurence.
– Oui, votre tronçonneuse à n’importe quelle heure, les allers et retours des entreprises de dératisation...énuméra Paul d’un ton ferme. Colette enchaîna et ajouta :
– Et en plus, dès le premier jour,vous désorientez le cycle de la nature par vos comportements inappropiés !
– Ah bon mais lesquels ? demanda Laurence étonnée.
– Vous désherbez de manière sauvage, vous utilisez des pesticides beaucoup trop dangereux pour la santé de la nature, des animaux et de nous tous... expliqua Paul.
A ce moment-là, Mami Bintou arriva dans le salon. En effet, elle passait le week-end chez ses enfants. Elle avait entendu la sonnerie, l’arrivée des voisins et le début de la conversation qui ne l’étonnait absolument pas. Elle-même avait voulu en discuter avec Laurence et Driss mais elle avait attendu le moment propice car elle voyait bien qu’ils n’étaient pas forcément prêts à entendre des critiques, d’autant plus qu’ils avaient changé de vie pour la santé de Sarah. Quand les voisins virent Mami Bintou, Colette et Paul furent ravis de la retrouver, leurs visages sombres jusqu’à présent s’éclaircirent soudainement. En effet, ils savaient qu’elle était leur alliée.
Lors d’une promenade, elle avait rencontré sur le chemin les voisins Colette et Paul, et ils avaient échangé sur l’arrivée et l’installation de Laurence et Driss à la campagne.
Rapidement, ils étaient tombés d’accord sur le fait que la petite famille de Lyon n’agissait pas de la bonne manière. Les voisins étaient étonnés que Mami Bintou, l’amie de la nature et des animaux, ait des enfants qui se permettent de ne pas respecter la nature.
– Bonjour Colette et Paul, comme ça me fait plaisir de vous revoir ! dit Mami Bintou d’une voix joyeuse comme à son habitude.
– Nous aussi nous somme ravis de te voir Bintou, nous nous sommes permis de venir discuter de... tu sais quoi...
Mami Bintou s’adressa à ses enfants :
– Les enfants, je voulais aborder ce sujet avec vous et vu que Colette et Paul sont parmi nous, je veux vous dire que je suis du même avis qu’eux !
Laurence et Driss étaient étonnés mais ils comprenaient les reproches qu’on leur faisait.
Dès le lendemain, les Morin-Diallo avaient pris conscience de leurs mauvaises habitudes de citadins et avaient réfléchi aux bons conseils de leurs voisins et de leur grand-mère Bintou. Ils avaient décidé de s’adapter à leur nouvel environnement et non pas de s’imposer.
Dorénavant, la nature les guidera...