Petit être, grande leçon

Prologue

La décision de quitter la ville pour s’installer à la campagne murissait depuis plusieurs années dans l’esprit de Monsieur et Madame Morin-Diallo. Les problèmes d’asthme de Sarah, la petite dernière, et les plaintes incessantes des voisins lorsque les jumeaux Lucas et Salomon jouaient dans la cour de leur résidence du centre-ville de Lyon avaient fini par les convaincre de faire le grand saut. Alors, un matin d’août, les cinq Lyonnais accompagnés de leur chien et de leur chat s’étaient installés dans un coin reculé d’Ardèche au bord de la rivière la Bourges, dans une jolie maison de pierre abandonnée depuis seulement six mois. La santé déclinante du couple de retraités qui y avait vécu les avait poussés à rejoindre la vallée non loin d’un centre hospitalier et des services qu’il proposait aux personnes âgées. Les parents Morin-Diallo, Laurence et Driss, tout sourires, se réjouissaient. Enfin ils réalisaient leur rêve, offraient à leurs enfants de sept et douze ans un cadre de vie proche de la vie sauvage, où l’air était peu pollué et qui permettrait à leur progéniture d’évoluer au grand air, dans un milieu sain au plus près de la nature. Dès les premiers jours, la respiration de Sarah se fit plus fluide, aucun accès de toux à déplorer, son teint s’était éclairci, elle était radieuse, son père et sa mère s’en félicitait. Quant aux garçons, ils n’en revenaient pas de disposer d’un terrain de jeu qui leur semblait illimité. Ils couraient dans les bois, dévalaient les pentes à s’en couper le souffle, sautaient dans les cascades, s’aspergeaient d’eau dans la rivière, hurlant et riant sans déranger personne, un vrai bonheur.
Or, ce dont aucun d’entre eux ne se doutait, c’était que le vide de la maison qu’ils venaient d’investir n’était qu’apparent. En effet, cachés dans les nombreux recoins des deux étages que les Morin-Diallo occupaient, ainsi que dans le grenier, dans la cave, au beau milieu de ce qui avait été un potager, sur la rivière et partout sur ses rives, fourmillait un grand nombre d’espèces de la faune et de la flore locale. Des bactéries invisibles à l’œil nu, des insectes plus ou moins faciles à vivre, des reptiles surtout de petites tailles, des mammifères petits et grands, jusqu’aux oiseaux qui volaient librement au-dessus de la nouvelle demeure de Laurence et de Driss. Sans le savoir, les cinq bipèdes citadins et leurs deux animaux de compagnie bouleversaient tout un écosystème qui avait appris à exister sans devoir composer avec des humains.
Laurence entreprit d’abord de s’occuper du jardin qu’elle voulait rendre joli. Elle s’arma d’une énorme paire de ciseaux en métal et d’autres ustensiles et commença par se charger des mauvaises herbes : elle défrichait, éliminait toutes les plantes qui lui semblaient laides ou inutiles, une hécatombe. Dans la remise, Driss fut ravi de trouver une tondeuse à gazon dont le réservoir contenait encore suffisamment de carburant. Afin de rendre les alentours de leur propriété plus ordonnée, il sortit l’engin, et l’alluma. Un bruit de moteur vint perturber le calme à une centaine de mètres à la ronde, semant l’effroi dans la nature, d’autant que la fumée noire qui s’en échappait était irrespirable. Alors qu’ils jouaient dans le lit de la rivière, les deux garçons n’hésitaient pas à s’emparer de cailloux qu’ils jetaient à la surface pour s’éclabousser, sans se rendre compte qu’ils retiraient leurs abris à des crustacés livrés subitement sans secours aux attaques de leurs prédateurs. Leur chien, encore jeune et turbulent, ne sachant plus où donner du museau, pourchassait les papillons affolés, creusait la terre en arrachant les racines nécessaires à la survie des plantes, ses jeux détruisaient aussi l’habitat d’insectes incapables de vivre au grand jour. Le chat aussi jubilait, il avait à sa disposition un vaste terrain de chasse où les rongeurs dont il raffolait, découvraient bien trop tard son habileté et sa redoutable efficacité. Le petit félin ne mit pas vingt-quatre heures à s’adapter à son nouvel environnement, il en devint le principal prédateur.
En se rencontrant, deux univers qui n’aspiraient pourtant qu’à vivre en paix entraient en collision. Mais, ignorés par les humains, c’était au monde des plantes et des animaux de réagir, d’observer attentivement le comportement des nouveaux venus afin de s’y adapter, puis de trouver rapidement les moyens de cohabiter avec ceux qu’ils considéraient comme des intrus qui leur compliquaient l’existence.

Petit être, grande leçon
Wilfried N’SONDE

1/ Dans la maison au bord de la Bourges

La petite souris avait élu domicile dans la maison au bord de la Bourges vers la fin du printemps dernier, peu avant de mettre bas ses six petits. Elle avait choisi de s’installer dans le calme du grenier, un excellent refuge qui la protégeait de la lumière pendant ses longues heures de sommeil de la journée, et lui proposait une excellente base de repli après les escapades nocturnes qui lui permettait de se rassasier et de nourrir sa progéniture.
Tout se passait à merveille depuis des mois, elle coulait des jours tranquilles, mais vers la fin de l’été, son univers s’était assombri avec l’arrivée d’humains et de deux monstres à quatre pattes. Avec leurs meubles et leurs énormes machines en métal qui faisait énormément de bruit, ils avaient totalement changé la géographie de la maison. Par chance ils ne s’étaient pas encore aventuré dans le grenier et la souris avait vite compris que ces étranges individus, contrairement à elle, vivaient le jour et dormaient la nuit. Et puis le nombre d’imposants objets avec lesquels ils encombraient l’espace offraient encore plus de possibilités de se dissimuler, ce qui facilitait ses déplacements vers l’extérieur, il s’agissait juste d’éviter la proximité du chat et du chien. Mais alors qu’elle pensait s’accommoder de cette soudaine invasion, une nuit où la souris partit comme à son habitude chasser des grillons, des chenilles ou d’autres petits insectes, elle s’arrêta net sur le porche de la maison et constata qu’à l’extérieur aussi tout avait changé, elle se retrouvait devant un paysage apocalyptique
Il avait suffi d’une journée pour que l’endroit qui la veille encore abondait de proies deviennent un désert de sillons de terre retournée. Son cœur battait à rompre sa petite poitrine. Elle s’appuya sur ses pattes arrière pour voir ce qu’il en était un peu plus avant, mais d’aussi loin qu’elle pouvait regarder, tout était dévasté. Elle renifla l’air, observa les alentours, s’arrêta en scrutant l’obscurité en direction de la rivière et se dit que ce serait peut-être l’occasion d’y aller chercher des petits escargots. Mais la lune presque pleine éclairait dangereusement l’espace entre elle et le cours d’eau où l’herbe avait été coupé très court, cette hypothèse et le chemin à découvert jusqu’à la rive l’exposait trop à l’assaut d’un rapace. La sourit stressait, elle pensait à ses petits sans savoir comment soulager leur faim. Dans le doute elle décida de rebrousser chemin et retourna dans la maison. Après quelques pas dans l’entrée, elle aperçut une forme bouger dans le noir. Le chat s’était réveillé, il s’étira puis trotta jusqu’à la cuisine pour se désaltérer. La souris s’arrêta mais son odeur la trahit, le félin stoppa, tourna son regard vers elle. Le rongeur se mit à courir et réussit à atteindre une plinthe, elle s’y cacha, tordit son corps, arriva à poursuivre sa course et laissa derrière elle les griffes du chat qui grattaient le bois. Heureusement, elle connaissait la maison par cœur et n’eut aucun mal à gagner l’étage avec le chat toujours à ses trousses. Dans la panique elle réussit à entrer dans la chambre où dormait la petite fille en se faufilant sous la porte, le chat n’allait pas tarder à arriver.
Les miaulements sortirent Sarah de son sommeil. Après s’être frottée les yeux, la petite se redressa sur son lit, elle aperçut une petite souris apeurée, menacée par le chat qui appelait avec insistance.

Petit être, grande leçon
Annabelle DA SILVA

La surprenante rencontre

La souris se faufila sous le lit, Sarah alluma la lumière, se pencha, aperçut la petite créature, ne craignit pas de la prendre dans sa paume et retourna s’asseoir sur son lit. Elle la réconforta avec des caresses : « Oh petite souris, que tu es mignonne ! ». Elle la posa sur son lit et alla aménager la maison de poupée. La souris, tétanisée, ne bougea pas d’un poil. Sarah la récupéra et la posa délicatement sur un petit lit de poupée. La fillette, attendrie par cette petite vie qui palpitait sous ses doigts, décida de la protéger. « Une souris verte... », commença-t-elle à chantonner doucement.

La souris, anxieuse et stressée, pensa : « J’ai eu de la chance de pouvoir me faufiler sous cette porte et de rentrer dans cette chambre ! J’espère seulement réussir à sortir de cette pièce sans me faire voir...Mais comment échapper au chat ? Cette humaine a l’air de ne pas vouloir me faire de mal. Je peux peut-être rester dans cette grande maison qu’elle vient d’aménager juste pour moi. ». Le chat, pendant ce temps, grattait la porte et se disait : « Quel dommage, je veux offrir cette souris à mes maîtres ! Je la déposerai sur leur oreiller pour qu’ils puissent sentir cette merveilleuse odeur de souris pendant qu’ils dorment. ». Ses rêves furent interrompus par les jumeaux qui apparurent derrière lui. Ils entrèrent dans la chambre de Sarah, sans le laisser entrer. Alors le chat, frustré, miaula de toute la force de ses poumons, semblant dire à la souris : « Je n’ai peut-être pas pu t’attraper aujourd’hui, mais nous nous recroiserons et à ce moment-là, je n’échouerai pas ! ».

En entrant dans la chambre, les garçons regardèrent leur sœur paisiblement absorbée par ses jeux de poupées.
« Pourquoi le chat miaule-t-il ? demanda Salomon.
 Je crois qu’il a faim, répondit Sarah, distraitement, sans se retourner.
 D’accord. »
Ils allaient regagner leur chambre mais quelque chose dans l’attitude de leur sœur les rendit perplexes. Lucas dit :
« Tu chantes pour ta poupée ?
 Non, pour ma nouvelle amie ! », s’enthousiasma la petite fille, ingénue.
Elle prit délicatement sa minuscule compagne à fourrure et la leur tendit. Abasourdis, ils se penchèrent pour mieux voir la petite bête au pelage gris, et aux longues moustaches dont le museau s’agitait convulsivement pour capter leur odeur.
« C’est un rat ! s’écria Salomon en reculant d’un pas.
 Une petite souris, toute fragile et mignonne ! répliqua Sarah d’un ton ferme. C’est ma nouvelle amie, je la protégerai et vous ne direz rien à papa et maman ! D’accord ? ».
Leur petite sœur les regardait d’un air si sérieux et solennel qu’ils promirent.
Les jumeaux regagnèrent leur chambre quelques minutes plus tard, toujours ébahis de la confession de Sarah.

Le lendemain matin, au petit déjeuner, les jumeaux, la petite fille, les parents et les animaux de compagnie se retrouvèrent à la table du petit-déjeuner. Laurence Morin-Diallo et son mari Driss avaient préparé la nourriture préférée de leurs petits mammifères chéris. Ils petit-déjeunèrent agréablement en se régalant de leur repas quand Lucas remarqua que le chat boudait sa gamelle.
« Et bah alors, t’as mangé la souris ou quoi ? » lâcha-t-il, oubliant sa promesse.
Se rendant compte de sa boulette, il plongea le nez dans son bol de céréales. Salomon lui donna un coup de pied sous la table mais visa le tibia de son père par erreur. Ce dernier grogna un juron de douleur et scruta ses enfants, curieusement crispés. La culpabilité se lisait sur leur visage.

Quand leurs enfants partirent pour l’école, les parents entendirent des bruits curieux provenant d’un placard de la cuisine ; ils s’en approchèrent et l’ouvrirent lentement, un peu effrayés. C’est alors qu’ils virent une petite souris grise, les yeux agrandis par la terreur provoquée par la vision de ces deux visages si plats de bipèdes. La chétive créature, prit panique et bondit pour leur échapper mais atterrit sur la tête du père, la mère poussa alors un cri strident. Incrédules, Laurence et Driss la virent courir se réfugier dans le salon. Lentement, ils se regardèrent et dirent dans un même souffle : « Dératiseur... ».

Petit être, grande leçon
Sylvie TOTIC

Les fâcheuses habitudes des citadins !

Malheureusement, à l’heure qu’il était, aucun dératiseur n’était disponible. Il leur fallait attendre le lendemain matin pour contacter une entreprise de dératisation. Il allait donc falloir passer la nuit avec la souris dans la maison. Les parents en avaient assez de ces ignobles animaux de campagne qui dérangeaient leur vie calme. Ils en avaient assez de devoir s’occuper du jardin, de perdre du temps avec toute cette nature. Vivement que le dératiseur vienne pour éliminer ces bestioles qui leur pourrissaient l’existence !
Le lendemain matin, zut, c’était dimanche ! Tout était fermé et il allait falloir attendre jusqu’à lundi, la journée allait être longue. Cette satanée souris allait peut-être de nouveau montrer le bout de son museau ou pire s’installer confortablement dans l’un des placards et se servir comme bon lui semblait.
Au petit-déjeuner, Laurence et Driss avaient évoqué leur frayeur face à cette petite souris et leur volonté de l’éliminer aussi vite que possible. Sarah, Lucas et Salomon avaient trouvé que les parents exagéraient vraiment. Pourquoi appeler un dératiseur pour tuer une si petite bête qui n’était pas dangereuse ? Alors que le chat Oreo pouvait faire le travail. Bref, les parents se compliquaient la vie pour rien ! C’étaient de vrais citadins irrespectueux de leur nouvel habitat.
Pourtant vivre en pleine nature permettait à Sarah de mieux respirer. Avaient-ils donc oublier la cause de leur déménagement ? Comment osaient-ils s’affoler de la sorte pour une si petite créature inoffensive ?
Agacés, les enfants décidèrent d’aller s’amuser au bord de la rivière. Ils étaient heureux d’être entourés d’une si belle nature, de vivre près d’une forêt loin de la pollution. Le bon air de la campagne apaisait vraiment l’asthme de Sara.
Quel beau dimanche ! Quel calme ! Ce calme qu’ils n’avaient jamais connu en ville et tant désiré, ces mélodieux chants d’oiseaux qui les réveillaient doucement le matin, les écureuils, les biches et le renard.
Un bruit de moteur se fit entendre petit à petit, se rapprochant de leur maison. C’était Mami Bintou qui surprenait tout le monde avec sa caisse qui déchire tout ! Son foodtruck coloré avec son magnifique drapeau du Sénégal reconnaissable à des kilomètres , on ne pouvait pas se tromper ! Elle leur faisait une visite surprise. Adorable Mami Bintou, toujours élégante, toujours souriante, très affectueuse ! Elle avait toujours des histoires à leur raconter, mille récits de son enfance. Ils allaient passer une superbe journée.
Ils coururent vers elle, si heureux de la revoir. Ils l’embrassèrent. Elle leur avait tellement manqué. Lyon était si loin. Ils s’assirent au bord de la rivière pour admirer cette majestueuse nature qui les entourait.
Ce paysage rappelait à Mami Bintou sa propre enfance dans son pays natal : la grandeur et la beauté des acacias, la magie des baobabs, les couchers de soleil, la liberté de vivre en pleine nature.
Elle était donc heureuse que ses petits enfants puissent aussi faire l’expérience d’une vie à l’air pur, de jeux au bord d’une rivière, des promenades en forêt en Ardèche.
C’était l’heure de déjeuner, ils se mirent en chemin pour la maison où les attendaient Laurence et Driss.
Tout en marchant, les enfants racontèrent à Mami Bintou l’histoire de la petite souris et du dératiseur de malheur que les parents voulaient faire venir pour l’éliminer.
Mami Bintou éclata de rire, de ce rire chaleureux qui la caractérisait. Elle allait parler aux parents ! Il fallait laisser la nature et ses habitants vivre en paix. Chacun avait un rôle important dans la nature...même cette petite souris.

Petit être, grande leçon
Frederique NEVEU

4/ « La nature fait toujours bien ce qu’elle fait » Francis Picabia

Le soir venu, toute la famille se trouva réunie dans le jardin des Diallo. Chacun s’affairait pour dresser le couvert. Quand Driss déposa la salade sur la table, Laurence retourna une dernière fois les brochettes et tout le monde s’installa pour le dîner. Le repas s’était déroulé dans une ambiance joyeuse et Mamie Bintou souligna combien était doux l’été ardéchois : le tilleul embaumait, les oiseaux chantaient dans le soir et les lucioles commençaient à étoiler le jardin.

Salomon s’étonna à ce moment là de l’absence de moustiques. Il se souvenait qu’à Lyon, ces insectes venaient toujours perturber les repas pris sur le balcon. Mamie Bintou expliqua alors à son petit-fils que c’étaient les araignées et les chauves-souris qui, à la campagne, chassaient les moustiques. Elle continua son propos en faisant remarquer le pot de basilic installé sur le bord de la terrasse : « Le parfum de cette plante est aussi connu pour éloigner ces nuisibles ». Elle conclut : « La nature fait toujours bien ce qu’elle fait ! »

Revenant sur l’importance de la respecter et de la préserver, elle saisit l’occasion pour reparler de l’épisode de la souris et du dératiseur. « Ne trouvez-vous pas la méthode trop invasive pour une seule petite souris ? Avez vous pensé aux dangers et aux risques que cela pourrait causer ? Et si le chien et le chat venaient à manger les granulés dispersés par le dératiseur ; que se passerait-il ? ». A cet instant là, on pouvait lire l’inquiétude sur le visage de Lucas. Cette réaction ne manqua pas d’échapper aux parents.

Elle rajouta alors que même les nuisibles avaient leur importance dans l’écosystème. Elle prit d’abord l’exemple des souris qui ne se contentent pas de coloniser leur maison mais fouissent le sol, aèrent la terre et dispersent les graines. « Vous voyez dit Sarah elle sert à quelque chose ma petite souris. Grâce à elle, les fleurs poussent mieux dans notre jardin ». Mamie Bintou donna un dernier exemple : les abeilles, autre parasite des pique-niques, fournissent du miel mais jouent surtout un rôle indispensable dans la dispersion du pollen.

Le hululement de la chouette mit un point au discours de Mamie Bintou, comme si l’oiseau approuvait tout ce qu’elle venait de démontrer. Les parents, convaincus eux aussi par ces arguments et remplis de culpabilité, se concertèrent du regard. A cet instant, il n’était plus question d’appeler le dératiseur. Ils avaient fait le choix de venir habiter à la campagne et se devaient de respecter la nature dans sa totalité. A l’avenir, ils n’oseraient plus en critiquer les inconvénients.

Sur ces bonnes résolutions, le dîner prit fin et chacun retourna dans sa chambre pour une nuit qui s’annonçait paisible. Mais quand la famille s’endormit, la petite souris se remit à danser. Elle en profita pour sortir de sa cachette et se dirigea vers jardin. Arrivée sur la terrasse, elle savoura le calme retrouvé. Dissimulée dans son arbre, guettant une proie, la chouette s’élança avec toute sa grâce et saisit le rongeur entre ses serres. Après tout, ce sont là aussi les lois de la nature...

Petit être, grande leçon
Wilfried N’SONDE

1/ Dans la maison au bord de la Bourges

La petite souris avait élu domicile dans la maison au bord de la Bourges vers la fin du printemps dernier, peu avant de mettre bas ses six petits. Elle avait choisi de s’installer dans le calme du grenier, un excellent refuge qui la protégeait de la lumière pendant ses longues heures de sommeil de la journée, et lui proposait une excellente base de repli après les escapades nocturnes qui lui permettait de se rassasier et de nourrir sa progéniture.
Tout se passait à merveille depuis des mois, elle coulait des jours tranquilles, mais vers la fin de l’été, son univers s’était assombri avec l’arrivée d’humains et de deux monstres à quatre pattes. Avec leurs meubles et leurs énormes machines en métal qui faisait énormément de bruit, ils avaient totalement changé la géographie de la maison. Par chance ils ne s’étaient pas encore aventuré dans le grenier et la souris avait vite compris que ces étranges individus, contrairement à elle, vivaient le jour et dormaient la nuit. Et puis le nombre d’imposants objets avec lesquels ils encombraient l’espace offraient encore plus de possibilités de se dissimuler, ce qui facilitait ses déplacements vers l’extérieur, il s’agissait juste d’éviter la proximité du chat et du chien. Mais alors qu’elle pensait s’accommoder de cette soudaine invasion, une nuit où la souris partit comme à son habitude chasser des grillons, des chenilles ou d’autres petits insectes, elle s’arrêta net sur le porche de la maison et constata qu’à l’extérieur aussi tout avait changé, elle se retrouvait devant un paysage apocalyptique
Il avait suffi d’une journée pour que l’endroit qui la veille encore abondait de proies deviennent un désert de sillons de terre retournée. Son cœur battait à rompre sa petite poitrine. Elle s’appuya sur ses pattes arrière pour voir ce qu’il en était un peu plus avant, mais d’aussi loin qu’elle pouvait regarder, tout était dévasté. Elle renifla l’air, observa les alentours, s’arrêta en scrutant l’obscurité en direction de la rivière et se dit que ce serait peut-être l’occasion d’y aller chercher des petits escargots. Mais la lune presque pleine éclairait dangereusement l’espace entre elle et le cours d’eau où l’herbe avait été coupé très court, cette hypothèse et le chemin à découvert jusqu’à la rive l’exposait trop à l’assaut d’un rapace. La sourit stressait, elle pensait à ses petits sans savoir comment soulager leur faim. Dans le doute elle décida de rebrousser chemin et retourna dans la maison. Après quelques pas dans l’entrée, elle aperçut une forme bouger dans le noir. Le chat s’était réveillé, il s’étira puis trotta jusqu’à la cuisine pour se désaltérer. La souris s’arrêta mais son odeur la trahit, le félin stoppa, tourna son regard vers elle. Le rongeur se mit à courir et réussit à atteindre une plinthe, elle s’y cacha, tordit son corps, arriva à poursuivre sa course et laissa derrière elle les griffes du chat qui grattaient le bois. Heureusement, elle connaissait la maison par cœur et n’eut aucun mal à gagner l’étage avec le chat toujours à ses trousses. Dans la panique elle réussit à entrer dans la chambre où dormait la petite fille en se faufilant sous la porte, le chat n’allait pas tarder à arriver.
Les miaulements sortirent Sarah de son sommeil. Après s’être frottée les yeux, la petite se redressa sur son lit, elle aperçut une petite souris apeurée, menacée par le chat qui appelait avec insistance.

Petit être, grande leçon
Annabelle DA SILVA

La surprenante rencontre

La souris se faufila sous le lit, Sarah alluma la lumière, se pencha, aperçut la petite créature, ne craignit pas de la prendre dans sa paume et retourna s’asseoir sur son lit. Elle la réconforta avec des caresses : « Oh petite souris, que tu es mignonne ! ». Elle la posa sur son lit et alla aménager la maison de poupée. La souris, tétanisée, ne bougea pas d’un poil. Sarah la récupéra et la posa délicatement sur un petit lit de poupée. La fillette, attendrie par cette petite vie qui palpitait sous ses doigts, décida de la protéger. « Une souris verte... », commença-t-elle à chantonner doucement.

La souris, anxieuse et stressée, pensa : « J’ai eu de la chance de pouvoir me faufiler sous cette porte et de rentrer dans cette chambre ! J’espère seulement réussir à sortir de cette pièce sans me faire voir...Mais comment échapper au chat ? Cette humaine a l’air de ne pas vouloir me faire de mal. Je peux peut-être rester dans cette grande maison qu’elle vient d’aménager juste pour moi. ». Le chat, pendant ce temps, grattait la porte et se disait : « Quel dommage, je veux offrir cette souris à mes maîtres ! Je la déposerai sur leur oreiller pour qu’ils puissent sentir cette merveilleuse odeur de souris pendant qu’ils dorment. ». Ses rêves furent interrompus par les jumeaux qui apparurent derrière lui. Ils entrèrent dans la chambre de Sarah, sans le laisser entrer. Alors le chat, frustré, miaula de toute la force de ses poumons, semblant dire à la souris : « Je n’ai peut-être pas pu t’attraper aujourd’hui, mais nous nous recroiserons et à ce moment-là, je n’échouerai pas ! ».

En entrant dans la chambre, les garçons regardèrent leur sœur paisiblement absorbée par ses jeux de poupées.
« Pourquoi le chat miaule-t-il ? demanda Salomon.
 Je crois qu’il a faim, répondit Sarah, distraitement, sans se retourner.
 D’accord. »
Ils allaient regagner leur chambre mais quelque chose dans l’attitude de leur sœur les rendit perplexes. Lucas dit :
« Tu chantes pour ta poupée ?
 Non, pour ma nouvelle amie ! », s’enthousiasma la petite fille, ingénue.
Elle prit délicatement sa minuscule compagne à fourrure et la leur tendit. Abasourdis, ils se penchèrent pour mieux voir la petite bête au pelage gris, et aux longues moustaches dont le museau s’agitait convulsivement pour capter leur odeur.
« C’est un rat ! s’écria Salomon en reculant d’un pas.
 Une petite souris, toute fragile et mignonne ! répliqua Sarah d’un ton ferme. C’est ma nouvelle amie, je la protégerai et vous ne direz rien à papa et maman ! D’accord ? ».
Leur petite sœur les regardait d’un air si sérieux et solennel qu’ils promirent.
Les jumeaux regagnèrent leur chambre quelques minutes plus tard, toujours ébahis de la confession de Sarah.

Le lendemain matin, au petit déjeuner, les jumeaux, la petite fille, les parents et les animaux de compagnie se retrouvèrent à la table du petit-déjeuner. Laurence Morin-Diallo et son mari Driss avaient préparé la nourriture préférée de leurs petits mammifères chéris. Ils petit-déjeunèrent agréablement en se régalant de leur repas quand Lucas remarqua que le chat boudait sa gamelle.
« Et bah alors, t’as mangé la souris ou quoi ? » lâcha-t-il, oubliant sa promesse.
Se rendant compte de sa boulette, il plongea le nez dans son bol de céréales. Salomon lui donna un coup de pied sous la table mais visa le tibia de son père par erreur. Ce dernier grogna un juron de douleur et scruta ses enfants, curieusement crispés. La culpabilité se lisait sur leur visage.

Quand leurs enfants partirent pour l’école, les parents entendirent des bruits curieux provenant d’un placard de la cuisine ; ils s’en approchèrent et l’ouvrirent lentement, un peu effrayés. C’est alors qu’ils virent une petite souris grise, les yeux agrandis par la terreur provoquée par la vision de ces deux visages si plats de bipèdes. La chétive créature, prit panique et bondit pour leur échapper mais atterrit sur la tête du père, la mère poussa alors un cri strident. Incrédules, Laurence et Driss la virent courir se réfugier dans le salon. Lentement, ils se regardèrent et dirent dans un même souffle : « Dératiseur... ».

Petit être, grande leçon
Sylvie TOTIC

Les fâcheuses habitudes des citadins !

Malheureusement, à l’heure qu’il était, aucun dératiseur n’était disponible. Il leur fallait attendre le lendemain matin pour contacter une entreprise de dératisation. Il allait donc falloir passer la nuit avec la souris dans la maison. Les parents en avaient assez de ces ignobles animaux de campagne qui dérangeaient leur vie calme. Ils en avaient assez de devoir s’occuper du jardin, de perdre du temps avec toute cette nature. Vivement que le dératiseur vienne pour éliminer ces bestioles qui leur pourrissaient l’existence !
Le lendemain matin, zut, c’était dimanche ! Tout était fermé et il allait falloir attendre jusqu’à lundi, la journée allait être longue. Cette satanée souris allait peut-être de nouveau montrer le bout de son museau ou pire s’installer confortablement dans l’un des placards et se servir comme bon lui semblait.
Au petit-déjeuner, Laurence et Driss avaient évoqué leur frayeur face à cette petite souris et leur volonté de l’éliminer aussi vite que possible. Sarah, Lucas et Salomon avaient trouvé que les parents exagéraient vraiment. Pourquoi appeler un dératiseur pour tuer une si petite bête qui n’était pas dangereuse ? Alors que le chat Oreo pouvait faire le travail. Bref, les parents se compliquaient la vie pour rien ! C’étaient de vrais citadins irrespectueux de leur nouvel habitat.
Pourtant vivre en pleine nature permettait à Sarah de mieux respirer. Avaient-ils donc oublier la cause de leur déménagement ? Comment osaient-ils s’affoler de la sorte pour une si petite créature inoffensive ?
Agacés, les enfants décidèrent d’aller s’amuser au bord de la rivière. Ils étaient heureux d’être entourés d’une si belle nature, de vivre près d’une forêt loin de la pollution. Le bon air de la campagne apaisait vraiment l’asthme de Sara.
Quel beau dimanche ! Quel calme ! Ce calme qu’ils n’avaient jamais connu en ville et tant désiré, ces mélodieux chants d’oiseaux qui les réveillaient doucement le matin, les écureuils, les biches et le renard.
Un bruit de moteur se fit entendre petit à petit, se rapprochant de leur maison. C’était Mami Bintou qui surprenait tout le monde avec sa caisse qui déchire tout ! Son foodtruck coloré avec son magnifique drapeau du Sénégal reconnaissable à des kilomètres , on ne pouvait pas se tromper ! Elle leur faisait une visite surprise. Adorable Mami Bintou, toujours élégante, toujours souriante, très affectueuse ! Elle avait toujours des histoires à leur raconter, mille récits de son enfance. Ils allaient passer une superbe journée.
Ils coururent vers elle, si heureux de la revoir. Ils l’embrassèrent. Elle leur avait tellement manqué. Lyon était si loin. Ils s’assirent au bord de la rivière pour admirer cette majestueuse nature qui les entourait.
Ce paysage rappelait à Mami Bintou sa propre enfance dans son pays natal : la grandeur et la beauté des acacias, la magie des baobabs, les couchers de soleil, la liberté de vivre en pleine nature.
Elle était donc heureuse que ses petits enfants puissent aussi faire l’expérience d’une vie à l’air pur, de jeux au bord d’une rivière, des promenades en forêt en Ardèche.
C’était l’heure de déjeuner, ils se mirent en chemin pour la maison où les attendaient Laurence et Driss.
Tout en marchant, les enfants racontèrent à Mami Bintou l’histoire de la petite souris et du dératiseur de malheur que les parents voulaient faire venir pour l’éliminer.
Mami Bintou éclata de rire, de ce rire chaleureux qui la caractérisait. Elle allait parler aux parents ! Il fallait laisser la nature et ses habitants vivre en paix. Chacun avait un rôle important dans la nature...même cette petite souris.

Petit être, grande leçon
Frederique NEVEU

4/ « La nature fait toujours bien ce qu’elle fait » Francis Picabia

Le soir venu, toute la famille se trouva réunie dans le jardin des Diallo. Chacun s’affairait pour dresser le couvert. Quand Driss déposa la salade sur la table, Laurence retourna une dernière fois les brochettes et tout le monde s’installa pour le dîner. Le repas s’était déroulé dans une ambiance joyeuse et Mamie Bintou souligna combien était doux l’été ardéchois : le tilleul embaumait, les oiseaux chantaient dans le soir et les lucioles commençaient à étoiler le jardin.

Salomon s’étonna à ce moment là de l’absence de moustiques. Il se souvenait qu’à Lyon, ces insectes venaient toujours perturber les repas pris sur le balcon. Mamie Bintou expliqua alors à son petit-fils que c’étaient les araignées et les chauves-souris qui, à la campagne, chassaient les moustiques. Elle continua son propos en faisant remarquer le pot de basilic installé sur le bord de la terrasse : « Le parfum de cette plante est aussi connu pour éloigner ces nuisibles ». Elle conclut : « La nature fait toujours bien ce qu’elle fait ! »

Revenant sur l’importance de la respecter et de la préserver, elle saisit l’occasion pour reparler de l’épisode de la souris et du dératiseur. « Ne trouvez-vous pas la méthode trop invasive pour une seule petite souris ? Avez vous pensé aux dangers et aux risques que cela pourrait causer ? Et si le chien et le chat venaient à manger les granulés dispersés par le dératiseur ; que se passerait-il ? ». A cet instant là, on pouvait lire l’inquiétude sur le visage de Lucas. Cette réaction ne manqua pas d’échapper aux parents.

Elle rajouta alors que même les nuisibles avaient leur importance dans l’écosystème. Elle prit d’abord l’exemple des souris qui ne se contentent pas de coloniser leur maison mais fouissent le sol, aèrent la terre et dispersent les graines. « Vous voyez dit Sarah elle sert à quelque chose ma petite souris. Grâce à elle, les fleurs poussent mieux dans notre jardin ». Mamie Bintou donna un dernier exemple : les abeilles, autre parasite des pique-niques, fournissent du miel mais jouent surtout un rôle indispensable dans la dispersion du pollen.

Le hululement de la chouette mit un point au discours de Mamie Bintou, comme si l’oiseau approuvait tout ce qu’elle venait de démontrer. Les parents, convaincus eux aussi par ces arguments et remplis de culpabilité, se concertèrent du regard. A cet instant, il n’était plus question d’appeler le dératiseur. Ils avaient fait le choix de venir habiter à la campagne et se devaient de respecter la nature dans sa totalité. A l’avenir, ils n’oseraient plus en critiquer les inconvénients.

Sur ces bonnes résolutions, le dîner prit fin et chacun retourna dans sa chambre pour une nuit qui s’annonçait paisible. Mais quand la famille s’endormit, la petite souris se remit à danser. Elle en profita pour sortir de sa cachette et se dirigea vers jardin. Arrivée sur la terrasse, elle savoura le calme retrouvé. Dissimulée dans son arbre, guettant une proie, la chouette s’élança avec toute sa grâce et saisit le rongeur entre ses serres. Après tout, ce sont là aussi les lois de la nature...