La nuit où la forêt vint à Sarah

Prologue

La décision de quitter la ville pour s’installer à la campagne murissait depuis plusieurs années dans l’esprit de Monsieur et Madame Morin-Diallo. Les problèmes d’asthme de Sarah, la petite dernière, et les plaintes incessantes des voisins lorsque les jumeaux Lucas et Salomon jouaient dans la cour de leur résidence du centre-ville de Lyon avaient fini par les convaincre de faire le grand saut. Alors, un matin d’août, les cinq Lyonnais accompagnés de leur chien et de leur chat s’étaient installés dans un coin reculé d’Ardèche au bord de la rivière la Bourges, dans une jolie maison de pierre abandonnée depuis seulement six mois. La santé déclinante du couple de retraités qui y avait vécu les avait poussés à rejoindre la vallée non loin d’un centre hospitalier et des services qu’il proposait aux personnes âgées. Les parents Morin-Diallo, Laurence et Driss, tout sourires, se réjouissaient. Enfin ils réalisaient leur rêve, offraient à leurs enfants de sept et douze ans un cadre de vie proche de la vie sauvage, où l’air était peu pollué et qui permettrait à leur progéniture d’évoluer au grand air, dans un milieu sain au plus près de la nature. Dès les premiers jours, la respiration de Sarah se fit plus fluide, aucun accès de toux à déplorer, son teint s’était éclairci, elle était radieuse, son père et sa mère s’en félicitait. Quant aux garçons, ils n’en revenaient pas de disposer d’un terrain de jeu qui leur semblait illimité. Ils couraient dans les bois, dévalaient les pentes à s’en couper le souffle, sautaient dans les cascades, s’aspergeaient d’eau dans la rivière, hurlant et riant sans déranger personne, un vrai bonheur.
Or, ce dont aucun d’entre eux ne se doutait, c’était que le vide de la maison qu’ils venaient d’investir n’était qu’apparent. En effet, cachés dans les nombreux recoins des deux étages que les Morin-Diallo occupaient, ainsi que dans le grenier, dans la cave, au beau milieu de ce qui avait été un potager, sur la rivière et partout sur ses rives, fourmillait un grand nombre d’espèces de la faune et de la flore locale. Des bactéries invisibles à l’œil nu, des insectes plus ou moins faciles à vivre, des reptiles surtout de petites tailles, des mammifères petits et grands, jusqu’aux oiseaux qui volaient librement au-dessus de la nouvelle demeure de Laurence et de Driss. Sans le savoir, les cinq bipèdes citadins et leurs deux animaux de compagnie bouleversaient tout un écosystème qui avait appris à exister sans devoir composer avec des humains.
Laurence entreprit d’abord de s’occuper du jardin qu’elle voulait rendre joli. Elle s’arma d’une énorme paire de ciseaux en métal et d’autres ustensiles et commença par se charger des mauvaises herbes : elle défrichait, éliminait toutes les plantes qui lui semblaient laides ou inutiles, une hécatombe. Dans la remise, Driss fut ravi de trouver une tondeuse à gazon dont le réservoir contenait encore suffisamment de carburant. Afin de rendre les alentours de leur propriété plus ordonnée, il sortit l’engin, et l’alluma. Un bruit de moteur vint perturber le calme à une centaine de mètres à la ronde, semant l’effroi dans la nature, d’autant que la fumée noire qui s’en échappait était irrespirable. Alors qu’ils jouaient dans le lit de la rivière, les deux garçons n’hésitaient pas à s’emparer de cailloux qu’ils jetaient à la surface pour s’éclabousser, sans se rendre compte qu’ils retiraient leurs abris à des crustacés livrés subitement sans secours aux attaques de leurs prédateurs. Leur chien, encore jeune et turbulent, ne sachant plus où donner du museau, pourchassait les papillons affolés, creusait la terre en arrachant les racines nécessaires à la survie des plantes, ses jeux détruisaient aussi l’habitat d’insectes incapables de vivre au grand jour. Le chat aussi jubilait, il avait à sa disposition un vaste terrain de chasse où les rongeurs dont il raffolait, découvraient bien trop tard son habileté et sa redoutable efficacité. Le petit félin ne mit pas vingt-quatre heures à s’adapter à son nouvel environnement, il en devint le principal prédateur.
En se rencontrant, deux univers qui n’aspiraient pourtant qu’à vivre en paix entraient en collision. Mais, ignorés par les humains, c’était au monde des plantes et des animaux de réagir, d’observer attentivement le comportement des nouveaux venus afin de s’y adapter, puis de trouver rapidement les moyens de cohabiter avec ceux qu’ils considéraient comme des intrus qui leur compliquaient l’existence.

La nuit où la forêt vint à Sarah
Wilfried N’SONDE

1/ Dans la maison au bord de la Bourges

La petite souris avait élu domicile dans la maison au bord de la Bourges vers la fin du printemps dernier, peu avant de mettre bas ses six petits. Elle avait choisi de s’installer dans le calme du grenier, un excellent refuge qui la protégeait de la lumière pendant ses longues heures de sommeil de la journée, et lui proposait une excellente base de repli après les escapades nocturnes qui lui permettait de se rassasier et de nourrir sa progéniture.
Tout se passait à merveille depuis des mois, elle coulait des jours tranquilles, mais vers la fin de l’été, son univers s’était assombri avec l’arrivée d’humains et de deux monstres à quatre pattes. Avec leurs meubles et leurs énormes machines en métal qui faisait énormément de bruit, ils avaient totalement changé la géographie de la maison. Par chance ils ne s’étaient pas encore aventuré dans le grenier et la souris avait vite compris que ces étranges individus, contrairement à elle, vivaient le jour et dormaient la nuit. Et puis le nombre d’imposants objets avec lesquels ils encombraient l’espace offraient encore plus de possibilités de se dissimuler, ce qui facilitait ses déplacements vers l’extérieur, il s’agissait juste d’éviter la proximité du chat et du chien. Mais alors qu’elle pensait s’accommoder de cette soudaine invasion, une nuit où la souris partit comme à son habitude chasser des grillons, des chenilles ou d’autres petits insectes, elle s’arrêta net sur le porche de la maison et constata qu’à l’extérieur aussi tout avait changé, elle se retrouvait devant un paysage apocalyptique
Il avait suffi d’une journée pour que l’endroit qui la veille encore abondait de proies deviennent un désert de sillons de terre retournée. Son cœur battait à rompre sa petite poitrine. Elle s’appuya sur ses pattes arrière pour voir ce qu’il en était un peu plus avant, mais d’aussi loin qu’elle pouvait regarder, tout était dévasté. Elle renifla l’air, observa les alentours, s’arrêta en scrutant l’obscurité en direction de la rivière et se dit que ce serait peut-être l’occasion d’y aller chercher des petits escargots. Mais la lune presque pleine éclairait dangereusement l’espace entre elle et le cours d’eau où l’herbe avait été coupé très court, cette hypothèse et le chemin à découvert jusqu’à la rive l’exposait trop à l’assaut d’un rapace. La sourit stressait, elle pensait à ses petits sans savoir comment soulager leur faim. Dans le doute elle décida de rebrousser chemin et retourna dans la maison. Après quelques pas dans l’entrée, elle aperçut une forme bouger dans le noir. Le chat s’était réveillé, il s’étira puis trotta jusqu’à la cuisine pour se désaltérer. La souris s’arrêta mais son odeur la trahit, le félin stoppa, tourna son regard vers elle. Le rongeur se mit à courir et réussit à atteindre une plinthe, elle s’y cacha, tordit son corps, arriva à poursuivre sa course et laissa derrière elle les griffes du chat qui grattaient le bois. Heureusement, elle connaissait la maison par cœur et n’eut aucun mal à gagner l’étage avec le chat toujours à ses trousses. Dans la panique elle réussit à entrer dans la chambre où dormait la petite fille en se faufilant sous la porte, le chat n’allait pas tarder à arriver.
Les miaulements sortirent Sarah de son sommeil. Après s’être frottée les yeux, la petite se redressa sur son lit, elle aperçut une petite souris apeurée, menacée par le chat qui appelait avec insistance.

La nuit où la forêt vint à Sarah
Sylvie TOTIC

La campagne, quelle horreur !

Sarah se mit debout sur son lit, toute affolée. Elle se mit à paniquer voyant la souris courir dans tous les sens. Elle voulait aller ouvrir à son chat pour qu’il la libère de cette « horrible » souris et de tous les autres insectes désagréables de la campagne qui lui pourrissaient la vie depuis qu’elle était arrivée. Envahie par la peur, elle se mit à hurler si fort que ces cris réveillèrent ses frères qui étaient dans la chambre d’à côté. Ils ouvrirent la porte, le chat entra et se mit à pourchasser la souris qui terrorisait leur petite sœur. Salomon et Lucas se mirent à rire de la situation si bien que Sarah éclata en sanglots. Ses parents vinrent calmer la petite : tout cela n’était pas grave pour eux. Tout le monde repartit finir la nuit sauf Sarah qui ne réussit pas à fermer l’oeil.
Le lendemain, au petit déjeuner, ses frères se remémorant ce qui s’était passé la veille éclatèrent de rire. Sarah, silencieuse, eut les larmes aux yeux. Les parents de Sarah lui expliquèrent que ce n’était pas grave et lui dirent de ne pas pleurer pour une souris, que maintenant qu’ils vivaient à la campagne tout cela était normal ! Elle n’avait pas d’autre choix, il fallait qu’elle s’habitue à sa nouvelle vie. Du haut de ses 7 ans , elle n’allait pas se laisser faire. Sarah décida d’entamer une discussion.
 J’en ai marre des souris, des moustiques, des crapauds au bord de la Bourge ! Hurla Sarah à ses parents.
 Quoi ? Comment peux-tu dire ça ? On a fait tout cela pour que ton asthme s’arrange.
 Oui mais c’est pas ça le problème ! Rétorqua Sarah.
 Mais alors, qu’est-ce qui ne va pas ? On a déménagé pour ton bien…
 Vous vous amusez mais moi, je m’ennuie…
 On s’amuse ? Demandèrent les parents qui ne comprenaient pas.
 Toi Maman, tu coupes les plantes avec tes ciseaux, toi Papa, tu es content avec ta machine qui détruit tout et en plus ça fait du bruit, je n’en peux plus ! Et mes frères ne restent plus avec moi ! Mami Bintou me manque, ses plats, toutes ses histoires qu’elle me racontait ! Mon école, mes amis, Lyon !
 On te comprend...mais c’est trop tard. Tu t’y feras…
 Je déteste cette nouvelle vie à la campagne ! Les enfants se moquent de moi à l’école parce que je viens de la ville...
Elle se sentait incomprise et profondément seule, loin de tout. Perdue.
Elle se souvint d’une histoire que ses frères lui avaient lu un soir d’hiver dans l’ancienne petite chambre qu’ils partageaient à trois à Lyon.
Elle voulut faire comme le personnage principal de cette histoire et elle décida de partir. Elle leur laissa un mot d’adieu sur lequel il était écrit « Désolez je me s’en pas bien ici, je vous kite ».
Son chien Guizmow voulut la suivre.
Mais elle disparut seule dans la nuit.

La nuit où la forêt vint à Sarah
Frederique NEVEU

3/ Seule dans la nuit

Avant de se mettre en route pour la ville, elle avait soigneusement préparé son baluchon : un pull pour lutter contre le froid, des gâteaux pour grignoter sur le chemin, un livre pour ne pas s’ennuyer et un doudou pour se rassurer. Avec ça, rien ne pourrait l’arrêter !

Sarah traversa d’abord le jardin. Immédiatement, elle fut surprise par le bruit des insectes. Les criquets et les grillons donnaient, ce soir-là, un grand concert. Elle qui s’attendait à une nuit paisible fut bien étonnée. La douce odeur du tilleul chatouillait ses narines et l’herbe caressait ses chevilles. Au bout de quelques instants, elle distingua devant elle ce qu’elle pensait être un chemin d’étoiles.

Elle passa le portail, longea les buissons et entra dans la forêt. Soudainement, elle découvrit que la lueur qui la guidait jusque là était, en réalité, le reflet de la lune dans les yeux d’une portée de lièvres. Ces derniers détallèrent aussitôt qu’elle s’approcha. Un frisson lui parcourut la colonne vertébrale. Les feuilles des arbres empêchaient désormais les faibles rayons de la lune d’éclairer ses pas. Son aventure prit alors une toute autre tournure. La petite fille, jusqu’ici déterminée, sentit la peur envahir son estomac. Un cri retentit, à cet instant, dans l’obscurité. Un loup ? Un ogre ? Une sorcière ? Elle était rattrapée par son imagination et ses lectures des contes de Grimm et de Perrault.

Sous le coup de la peur, Sarah s’enfuit dans la direction opposée et s’enfonça dans la forêt touffue. Dans sa course effrénée, elle trébucha sur un tronc d’arbre. Elle se releva et observa autour d’elle car elle avait le pressentiment d’être poursuivie. Elle reprit sa fuite puis se retrouva finalement sur un sentier. A ce moment-là, elle n’avait qu’une envie : rentrer chez elle et retrouver son lit ! Malheureusement, elle avait conscience d’être complètement perdue. La faim, le froid et la fatigue la submergèrent. Elle commença à croquer quelques biscuits puis décida de chercher un endroit où elle pourrait s’installer confortablement pour la nuit. Par chance, elle trouva un arbre creux dans le tronc duquel elle s’installa. Elle enfila son pull, termina ses provisions et serra fort son doudou. Se sentant en sécurité, elle s’endormit paisiblement.

Plus tard dans la nuit, son sommeil fut brutalement interrompu par un coup de tonnerre. Un éclair zébra le ciel. De grosses gouttes de pluie s’abattirent sur la forêt. Sous l’effet du vent, l’eau commença à s’infiltrer dans sa cachette. Elle sursauta, reprit conscience de sa situation, sentit l’inquiétude renaître mais aussitôt elle eut l’impression que l’arbre cherchait à la protéger, comme si, avec ses branches, il la prenait dans ses bras.

Dans le même temps, Sarah se rendit compte qu’une petite gerbille, attirée par les miettes de son goûter, était en train de l’observer à l’entrée du tronc. Cette fois, elle ne prit pas peur face au rongeur mais trouva plutôt sa présence rassurante.

La nuit où la forêt vint à Sarah
Soizic ARNAUD

4/ Course contre la mort

22h12… Tic-tac, tic-tac…

« J’ai si peur, il fait si froid… Qu’est-ce qui a pu me passer par la tête, pourquoi suis-je partie ? Je veux retrouver ma famille ! ». Sarah était tétanisée sous le grand arbre, dont les branches peinaient à la protéger de la température qui chutait minute après minute et de la pluie qui s’intensifiait. La nuit était noire, et l’orage ne semblait pas vouloir se calmer. La petite gerbille se tenait toujours à côté d’elle, semblant essayer de lui transmettre un message…

23h24… Tic-tac, tic-tac…

« Ma pauvre petite Sarah… Je la sens terrorisée et transie de froid, nous devons la retrouver rapidement, je vais avoir besoin d’aide ! ». Les yeux de Mamie Bintou se fermèrent, et son aura spirituelle et surnaturelle se diffusa dans toute la forêt. Elle tâcha d’utiliser sa faculté de communication avec la nature et prit contact avec la petite gerbille.

00h17… Tic-tac, tic-tac…

« Quelqu’un fait appel à moi, je ne comprends ce qui se passe… Aider cette petite fille ? La ramener chez elle ? Mais comment ? ». La gerbille entendait dans sa tête les appels de Mamie Bintou, mais ne savait pas comment aider cette petite humaine qui grelottait et palissait à vue d’œil.

01h30… Tic-tac, tic-tac…

« J’ai beau être l’arbre le plus ancien et le plus puissant de la forêt, je ne vais pas pouvoir protéger cette petite humaine toute la nuit… Je perçois comme des suppliques venant d’une humaine âgée mais que pourrais je faire de plus ? Après tout je ne suis qu’un arbre. »
L’arbre centenaire qui tentait de toute sa bienveillance d’abriter Sarah voyait bien qu’il ne pourrait éloigner éternellement l’issue fatale…

03h46… Tic-tac, tic-tac…

« Qu’avons-nous fait Driss ? La vie au grand air devait régler nos problèmes, et nous voilà en pleine nuit à la recherche de notre petite Sarah, seule dans ces maudits bois ! ». Les cris et les pleurs de Laurence faisaient écho au tonnerre qui continuait de gronder, et Driss essayait en vain de la réconforter, et de maintenir l’espoir.

05h28… Tic-tac, tic-tac…

« Petite gerbille je sais que tu fais tout ton possible, mais Sarah ne te comprend pas... Si cet orage pouvait se calmer. Je peux communiquer avec la nature, mais je ne peux pas dompter les éléments... ». Mamie Bintou, habituellement enjouée et toujours optimisme, peinait à dissimuler son inquiétude grandissante.

07h00… Tic-tac, tic-tac…

« J’ai si froid… et si sommeil... ». Sarah était à bout de force, transie de froid et sans plus aucune énergie. Et malgré les cris de la gerbille et d’une foule d’animaux venus lui prêter main morte, la petite fille s’endormit.

Sarah fut retrouvée par les gendarmes lancés à sa recherche dans la matinée. Trop tard. L’orage avait laissé place à un grand soleil, et la petite fille reposait au milieu de magnifiques fleurs comme si la nature avait voulu lui rendre hommage.
Les Morin-Diallo, confrontés à ce deuil impossible, décidèrent de quitter la maison et de retourner à leur vie citadine. La nature reprit rapidement ses droits, libérée de cette présence qui avait mis à mal son équilibre. Toute cette histoire n’avait-elle été qu’une manifestation tragique du destin, ou une vengeance cruelle de la nature face à ces humains qui l’avaient, souvent involontairement, maltraitée ? Mamie Bintou était sans doute la seule à pouvoir espérer trouver un jour la réponse à cette question...

La nuit où la forêt vint à Sarah
Wilfried N’SONDE

1/ Dans la maison au bord de la Bourges

La petite souris avait élu domicile dans la maison au bord de la Bourges vers la fin du printemps dernier, peu avant de mettre bas ses six petits. Elle avait choisi de s’installer dans le calme du grenier, un excellent refuge qui la protégeait de la lumière pendant ses longues heures de sommeil de la journée, et lui proposait une excellente base de repli après les escapades nocturnes qui lui permettait de se rassasier et de nourrir sa progéniture.
Tout se passait à merveille depuis des mois, elle coulait des jours tranquilles, mais vers la fin de l’été, son univers s’était assombri avec l’arrivée d’humains et de deux monstres à quatre pattes. Avec leurs meubles et leurs énormes machines en métal qui faisait énormément de bruit, ils avaient totalement changé la géographie de la maison. Par chance ils ne s’étaient pas encore aventuré dans le grenier et la souris avait vite compris que ces étranges individus, contrairement à elle, vivaient le jour et dormaient la nuit. Et puis le nombre d’imposants objets avec lesquels ils encombraient l’espace offraient encore plus de possibilités de se dissimuler, ce qui facilitait ses déplacements vers l’extérieur, il s’agissait juste d’éviter la proximité du chat et du chien. Mais alors qu’elle pensait s’accommoder de cette soudaine invasion, une nuit où la souris partit comme à son habitude chasser des grillons, des chenilles ou d’autres petits insectes, elle s’arrêta net sur le porche de la maison et constata qu’à l’extérieur aussi tout avait changé, elle se retrouvait devant un paysage apocalyptique
Il avait suffi d’une journée pour que l’endroit qui la veille encore abondait de proies deviennent un désert de sillons de terre retournée. Son cœur battait à rompre sa petite poitrine. Elle s’appuya sur ses pattes arrière pour voir ce qu’il en était un peu plus avant, mais d’aussi loin qu’elle pouvait regarder, tout était dévasté. Elle renifla l’air, observa les alentours, s’arrêta en scrutant l’obscurité en direction de la rivière et se dit que ce serait peut-être l’occasion d’y aller chercher des petits escargots. Mais la lune presque pleine éclairait dangereusement l’espace entre elle et le cours d’eau où l’herbe avait été coupé très court, cette hypothèse et le chemin à découvert jusqu’à la rive l’exposait trop à l’assaut d’un rapace. La sourit stressait, elle pensait à ses petits sans savoir comment soulager leur faim. Dans le doute elle décida de rebrousser chemin et retourna dans la maison. Après quelques pas dans l’entrée, elle aperçut une forme bouger dans le noir. Le chat s’était réveillé, il s’étira puis trotta jusqu’à la cuisine pour se désaltérer. La souris s’arrêta mais son odeur la trahit, le félin stoppa, tourna son regard vers elle. Le rongeur se mit à courir et réussit à atteindre une plinthe, elle s’y cacha, tordit son corps, arriva à poursuivre sa course et laissa derrière elle les griffes du chat qui grattaient le bois. Heureusement, elle connaissait la maison par cœur et n’eut aucun mal à gagner l’étage avec le chat toujours à ses trousses. Dans la panique elle réussit à entrer dans la chambre où dormait la petite fille en se faufilant sous la porte, le chat n’allait pas tarder à arriver.
Les miaulements sortirent Sarah de son sommeil. Après s’être frottée les yeux, la petite se redressa sur son lit, elle aperçut une petite souris apeurée, menacée par le chat qui appelait avec insistance.

La nuit où la forêt vint à Sarah
Sylvie TOTIC

La campagne, quelle horreur !

Sarah se mit debout sur son lit, toute affolée. Elle se mit à paniquer voyant la souris courir dans tous les sens. Elle voulait aller ouvrir à son chat pour qu’il la libère de cette « horrible » souris et de tous les autres insectes désagréables de la campagne qui lui pourrissaient la vie depuis qu’elle était arrivée. Envahie par la peur, elle se mit à hurler si fort que ces cris réveillèrent ses frères qui étaient dans la chambre d’à côté. Ils ouvrirent la porte, le chat entra et se mit à pourchasser la souris qui terrorisait leur petite sœur. Salomon et Lucas se mirent à rire de la situation si bien que Sarah éclata en sanglots. Ses parents vinrent calmer la petite : tout cela n’était pas grave pour eux. Tout le monde repartit finir la nuit sauf Sarah qui ne réussit pas à fermer l’oeil.
Le lendemain, au petit déjeuner, ses frères se remémorant ce qui s’était passé la veille éclatèrent de rire. Sarah, silencieuse, eut les larmes aux yeux. Les parents de Sarah lui expliquèrent que ce n’était pas grave et lui dirent de ne pas pleurer pour une souris, que maintenant qu’ils vivaient à la campagne tout cela était normal ! Elle n’avait pas d’autre choix, il fallait qu’elle s’habitue à sa nouvelle vie. Du haut de ses 7 ans , elle n’allait pas se laisser faire. Sarah décida d’entamer une discussion.
 J’en ai marre des souris, des moustiques, des crapauds au bord de la Bourge ! Hurla Sarah à ses parents.
 Quoi ? Comment peux-tu dire ça ? On a fait tout cela pour que ton asthme s’arrange.
 Oui mais c’est pas ça le problème ! Rétorqua Sarah.
 Mais alors, qu’est-ce qui ne va pas ? On a déménagé pour ton bien…
 Vous vous amusez mais moi, je m’ennuie…
 On s’amuse ? Demandèrent les parents qui ne comprenaient pas.
 Toi Maman, tu coupes les plantes avec tes ciseaux, toi Papa, tu es content avec ta machine qui détruit tout et en plus ça fait du bruit, je n’en peux plus ! Et mes frères ne restent plus avec moi ! Mami Bintou me manque, ses plats, toutes ses histoires qu’elle me racontait ! Mon école, mes amis, Lyon !
 On te comprend...mais c’est trop tard. Tu t’y feras…
 Je déteste cette nouvelle vie à la campagne ! Les enfants se moquent de moi à l’école parce que je viens de la ville...
Elle se sentait incomprise et profondément seule, loin de tout. Perdue.
Elle se souvint d’une histoire que ses frères lui avaient lu un soir d’hiver dans l’ancienne petite chambre qu’ils partageaient à trois à Lyon.
Elle voulut faire comme le personnage principal de cette histoire et elle décida de partir. Elle leur laissa un mot d’adieu sur lequel il était écrit « Désolez je me s’en pas bien ici, je vous kite ».
Son chien Guizmow voulut la suivre.
Mais elle disparut seule dans la nuit.

La nuit où la forêt vint à Sarah
Frederique NEVEU

3/ Seule dans la nuit

Avant de se mettre en route pour la ville, elle avait soigneusement préparé son baluchon : un pull pour lutter contre le froid, des gâteaux pour grignoter sur le chemin, un livre pour ne pas s’ennuyer et un doudou pour se rassurer. Avec ça, rien ne pourrait l’arrêter !

Sarah traversa d’abord le jardin. Immédiatement, elle fut surprise par le bruit des insectes. Les criquets et les grillons donnaient, ce soir-là, un grand concert. Elle qui s’attendait à une nuit paisible fut bien étonnée. La douce odeur du tilleul chatouillait ses narines et l’herbe caressait ses chevilles. Au bout de quelques instants, elle distingua devant elle ce qu’elle pensait être un chemin d’étoiles.

Elle passa le portail, longea les buissons et entra dans la forêt. Soudainement, elle découvrit que la lueur qui la guidait jusque là était, en réalité, le reflet de la lune dans les yeux d’une portée de lièvres. Ces derniers détallèrent aussitôt qu’elle s’approcha. Un frisson lui parcourut la colonne vertébrale. Les feuilles des arbres empêchaient désormais les faibles rayons de la lune d’éclairer ses pas. Son aventure prit alors une toute autre tournure. La petite fille, jusqu’ici déterminée, sentit la peur envahir son estomac. Un cri retentit, à cet instant, dans l’obscurité. Un loup ? Un ogre ? Une sorcière ? Elle était rattrapée par son imagination et ses lectures des contes de Grimm et de Perrault.

Sous le coup de la peur, Sarah s’enfuit dans la direction opposée et s’enfonça dans la forêt touffue. Dans sa course effrénée, elle trébucha sur un tronc d’arbre. Elle se releva et observa autour d’elle car elle avait le pressentiment d’être poursuivie. Elle reprit sa fuite puis se retrouva finalement sur un sentier. A ce moment-là, elle n’avait qu’une envie : rentrer chez elle et retrouver son lit ! Malheureusement, elle avait conscience d’être complètement perdue. La faim, le froid et la fatigue la submergèrent. Elle commença à croquer quelques biscuits puis décida de chercher un endroit où elle pourrait s’installer confortablement pour la nuit. Par chance, elle trouva un arbre creux dans le tronc duquel elle s’installa. Elle enfila son pull, termina ses provisions et serra fort son doudou. Se sentant en sécurité, elle s’endormit paisiblement.

Plus tard dans la nuit, son sommeil fut brutalement interrompu par un coup de tonnerre. Un éclair zébra le ciel. De grosses gouttes de pluie s’abattirent sur la forêt. Sous l’effet du vent, l’eau commença à s’infiltrer dans sa cachette. Elle sursauta, reprit conscience de sa situation, sentit l’inquiétude renaître mais aussitôt elle eut l’impression que l’arbre cherchait à la protéger, comme si, avec ses branches, il la prenait dans ses bras.

Dans le même temps, Sarah se rendit compte qu’une petite gerbille, attirée par les miettes de son goûter, était en train de l’observer à l’entrée du tronc. Cette fois, elle ne prit pas peur face au rongeur mais trouva plutôt sa présence rassurante.

La nuit où la forêt vint à Sarah
Soizic ARNAUD

4/ Course contre la mort

22h12… Tic-tac, tic-tac…

« J’ai si peur, il fait si froid… Qu’est-ce qui a pu me passer par la tête, pourquoi suis-je partie ? Je veux retrouver ma famille ! ». Sarah était tétanisée sous le grand arbre, dont les branches peinaient à la protéger de la température qui chutait minute après minute et de la pluie qui s’intensifiait. La nuit était noire, et l’orage ne semblait pas vouloir se calmer. La petite gerbille se tenait toujours à côté d’elle, semblant essayer de lui transmettre un message…

23h24… Tic-tac, tic-tac…

« Ma pauvre petite Sarah… Je la sens terrorisée et transie de froid, nous devons la retrouver rapidement, je vais avoir besoin d’aide ! ». Les yeux de Mamie Bintou se fermèrent, et son aura spirituelle et surnaturelle se diffusa dans toute la forêt. Elle tâcha d’utiliser sa faculté de communication avec la nature et prit contact avec la petite gerbille.

00h17… Tic-tac, tic-tac…

« Quelqu’un fait appel à moi, je ne comprends ce qui se passe… Aider cette petite fille ? La ramener chez elle ? Mais comment ? ». La gerbille entendait dans sa tête les appels de Mamie Bintou, mais ne savait pas comment aider cette petite humaine qui grelottait et palissait à vue d’œil.

01h30… Tic-tac, tic-tac…

« J’ai beau être l’arbre le plus ancien et le plus puissant de la forêt, je ne vais pas pouvoir protéger cette petite humaine toute la nuit… Je perçois comme des suppliques venant d’une humaine âgée mais que pourrais je faire de plus ? Après tout je ne suis qu’un arbre. »
L’arbre centenaire qui tentait de toute sa bienveillance d’abriter Sarah voyait bien qu’il ne pourrait éloigner éternellement l’issue fatale…

03h46… Tic-tac, tic-tac…

« Qu’avons-nous fait Driss ? La vie au grand air devait régler nos problèmes, et nous voilà en pleine nuit à la recherche de notre petite Sarah, seule dans ces maudits bois ! ». Les cris et les pleurs de Laurence faisaient écho au tonnerre qui continuait de gronder, et Driss essayait en vain de la réconforter, et de maintenir l’espoir.

05h28… Tic-tac, tic-tac…

« Petite gerbille je sais que tu fais tout ton possible, mais Sarah ne te comprend pas... Si cet orage pouvait se calmer. Je peux communiquer avec la nature, mais je ne peux pas dompter les éléments... ». Mamie Bintou, habituellement enjouée et toujours optimisme, peinait à dissimuler son inquiétude grandissante.

07h00… Tic-tac, tic-tac…

« J’ai si froid… et si sommeil... ». Sarah était à bout de force, transie de froid et sans plus aucune énergie. Et malgré les cris de la gerbille et d’une foule d’animaux venus lui prêter main morte, la petite fille s’endormit.

Sarah fut retrouvée par les gendarmes lancés à sa recherche dans la matinée. Trop tard. L’orage avait laissé place à un grand soleil, et la petite fille reposait au milieu de magnifiques fleurs comme si la nature avait voulu lui rendre hommage.
Les Morin-Diallo, confrontés à ce deuil impossible, décidèrent de quitter la maison et de retourner à leur vie citadine. La nature reprit rapidement ses droits, libérée de cette présence qui avait mis à mal son équilibre. Toute cette histoire n’avait-elle été qu’une manifestation tragique du destin, ou une vengeance cruelle de la nature face à ces humains qui l’avaient, souvent involontairement, maltraitée ? Mamie Bintou était sans doute la seule à pouvoir espérer trouver un jour la réponse à cette question...