Mondes sauvages

Prologue

La décision de quitter la ville pour s’installer à la campagne murissait depuis plusieurs années dans l’esprit de Monsieur et Madame Morin-Diallo. Les problèmes d’asthme de Sarah, la petite dernière, et les plaintes incessantes des voisins lorsque les jumeaux Lucas et Salomon jouaient dans la cour de leur résidence du centre-ville de Lyon avaient fini par les convaincre de faire le grand saut. Alors, un matin d’août, les cinq Lyonnais accompagnés de leur chien et de leur chat s’étaient installés dans un coin reculé d’Ardèche au bord de la rivière la Bourges, dans une jolie maison de pierre abandonnée depuis seulement six mois. La santé déclinante du couple de retraités qui y avait vécu les avait poussés à rejoindre la vallée non loin d’un centre hospitalier et des services qu’il proposait aux personnes âgées. Les parents Morin-Diallo, Laurence et Driss, tout sourires, se réjouissaient. Enfin ils réalisaient leur rêve, offraient à leurs enfants de sept et douze ans un cadre de vie proche de la vie sauvage, où l’air était peu pollué et qui permettrait à leur progéniture d’évoluer au grand air, dans un milieu sain au plus près de la nature. Dès les premiers jours, la respiration de Sarah se fit plus fluide, aucun accès de toux à déplorer, son teint s’était éclairci, elle était radieuse, son père et sa mère s’en félicitait. Quant aux garçons, ils n’en revenaient pas de disposer d’un terrain de jeu qui leur semblait illimité. Ils couraient dans les bois, dévalaient les pentes à s’en couper le souffle, sautaient dans les cascades, s’aspergeaient d’eau dans la rivière, hurlant et riant sans déranger personne, un vrai bonheur.
Or, ce dont aucun d’entre eux ne se doutait, c’était que le vide de la maison qu’ils venaient d’investir n’était qu’apparent. En effet, cachés dans les nombreux recoins des deux étages que les Morin-Diallo occupaient, ainsi que dans le grenier, dans la cave, au beau milieu de ce qui avait été un potager, sur la rivière et partout sur ses rives, fourmillait un grand nombre d’espèces de la faune et de la flore locale. Des bactéries invisibles à l’œil nu, des insectes plus ou moins faciles à vivre, des reptiles surtout de petites tailles, des mammifères petits et grands, jusqu’aux oiseaux qui volaient librement au-dessus de la nouvelle demeure de Laurence et de Driss. Sans le savoir, les cinq bipèdes citadins et leurs deux animaux de compagnie bouleversaient tout un écosystème qui avait appris à exister sans devoir composer avec des humains.
Laurence entreprit d’abord de s’occuper du jardin qu’elle voulait rendre joli. Elle s’arma d’une énorme paire de ciseaux en métal et d’autres ustensiles et commença par se charger des mauvaises herbes : elle défrichait, éliminait toutes les plantes qui lui semblaient laides ou inutiles, une hécatombe. Dans la remise, Driss fut ravi de trouver une tondeuse à gazon dont le réservoir contenait encore suffisamment de carburant. Afin de rendre les alentours de leur propriété plus ordonnée, il sortit l’engin, et l’alluma. Un bruit de moteur vint perturber le calme à une centaine de mètres à la ronde, semant l’effroi dans la nature, d’autant que la fumée noire qui s’en échappait était irrespirable. Alors qu’ils jouaient dans le lit de la rivière, les deux garçons n’hésitaient pas à s’emparer de cailloux qu’ils jetaient à la surface pour s’éclabousser, sans se rendre compte qu’ils retiraient leurs abris à des crustacés livrés subitement sans secours aux attaques de leurs prédateurs. Leur chien, encore jeune et turbulent, ne sachant plus où donner du museau, pourchassait les papillons affolés, creusait la terre en arrachant les racines nécessaires à la survie des plantes, ses jeux détruisaient aussi l’habitat d’insectes incapables de vivre au grand jour. Le chat aussi jubilait, il avait à sa disposition un vaste terrain de chasse où les rongeurs dont il raffolait, découvraient bien trop tard son habileté et sa redoutable efficacité. Le petit félin ne mit pas vingt-quatre heures à s’adapter à son nouvel environnement, il en devint le principal prédateur.
En se rencontrant, deux univers qui n’aspiraient pourtant qu’à vivre en paix entraient en collision. Mais, ignorés par les humains, c’était au monde des plantes et des animaux de réagir, d’observer attentivement le comportement des nouveaux venus afin de s’y adapter, puis de trouver rapidement les moyens de cohabiter avec ceux qu’ils considéraient comme des intrus qui leur compliquaient l’existence.

Mondes sauvages
Wilfried N’SONDE

1/ Dans la maison au bord de la Bourges

La petite souris avait élu domicile dans la maison au bord de la Bourges vers la fin du printemps dernier, peu avant de mettre bas ses six petits. Elle avait choisi de s’installer dans le calme du grenier, un excellent refuge qui la protégeait de la lumière pendant ses longues heures de sommeil de la journée, et lui proposait une excellente base de repli après les escapades nocturnes qui lui permettait de se rassasier et de nourrir sa progéniture.
Tout se passait à merveille depuis des mois, elle coulait des jours tranquilles, mais vers la fin de l’été, son univers s’était assombri avec l’arrivée d’humains et de deux monstres à quatre pattes. Avec leurs meubles et leurs énormes machines en métal qui faisait énormément de bruit, ils avaient totalement changé la géographie de la maison. Par chance ils ne s’étaient pas encore aventuré dans le grenier et la souris avait vite compris que ces étranges individus, contrairement à elle, vivaient le jour et dormaient la nuit. Et puis le nombre d’imposants objets avec lesquels ils encombraient l’espace offraient encore plus de possibilités de se dissimuler, ce qui facilitait ses déplacements vers l’extérieur, il s’agissait juste d’éviter la proximité du chat et du chien. Mais alors qu’elle pensait s’accommoder de cette soudaine invasion, une nuit où la souris partit comme à son habitude chasser des grillons, des chenilles ou d’autres petits insectes, elle s’arrêta net sur le porche de la maison et constata qu’à l’extérieur aussi tout avait changé, elle se retrouvait devant un paysage apocalyptique
Il avait suffi d’une journée pour que l’endroit qui la veille encore abondait de proies deviennent un désert de sillons de terre retournée. Son cœur battait à rompre sa petite poitrine. Elle s’appuya sur ses pattes arrière pour voir ce qu’il en était un peu plus avant, mais d’aussi loin qu’elle pouvait regarder, tout était dévasté. Elle renifla l’air, observa les alentours, s’arrêta en scrutant l’obscurité en direction de la rivière et se dit que ce serait peut-être l’occasion d’y aller chercher des petits escargots. Mais la lune presque pleine éclairait dangereusement l’espace entre elle et le cours d’eau où l’herbe avait été coupé très court, cette hypothèse et le chemin à découvert jusqu’à la rive l’exposait trop à l’assaut d’un rapace. La sourit stressait, elle pensait à ses petits sans savoir comment soulager leur faim. Dans le doute elle décida de rebrousser chemin et retourna dans la maison. Après quelques pas dans l’entrée, elle aperçut une forme bouger dans le noir. Le chat s’était réveillé, il s’étira puis trotta jusqu’à la cuisine pour se désaltérer. La souris s’arrêta mais son odeur la trahit, le félin stoppa, tourna son regard vers elle. Le rongeur se mit à courir et réussit à atteindre une plinthe, elle s’y cacha, tordit son corps, arriva à poursuivre sa course et laissa derrière elle les griffes du chat qui grattaient le bois. Heureusement, elle connaissait la maison par cœur et n’eut aucun mal à gagner l’étage avec le chat toujours à ses trousses. Dans la panique elle réussit à entrer dans la chambre où dormait la petite fille en se faufilant sous la porte, le chat n’allait pas tarder à arriver.
Les miaulements sortirent Sarah de son sommeil. Après s’être frottée les yeux, la petite se redressa sur son lit, elle aperçut une petite souris apeurée, menacée par le chat qui appelait avec insistance.

Mondes sauvages
Frederique NEVEU

2/ Drame matinal

A peine Sarah eut elle le temps de réaliser ce qu’il se passait que la souris lui demanda de l’aide.
« S’il te plait, protège moi ! Je suis poursuivie par un chat qui s’est installé récemment dans cette maison. Cache moi dans le tiroir de ta table de nuit, je t’en supplie ! »
Sarah laissa un silence planer dans la pièce, tentant du mieux possible de comprendre la situation. « Une souris ? Dans ma chambre ? Qui me parle ? Est ce que je dors ? Est ce que je suis réveillée ? ».
Elle n’eut pas le temps de répondre à ses propres questions car soudain, Lucas fit irruption dans sa chambre. « On ne peut jamais dormir tranquille dans cette baraque ! Tu ne peux pas le laisser rentrer ce chat ? ». Ce dernier en profita pour se faufiler entre les jambes du grand frère et reprit sa poursuite. Il repéra immédiatement le petit rongeur et fondit sur sa proie. Après l’avoir égorgée, il la laissa retomber sur le parquet. Cela s’était passé si vite qu’aucun des deux enfants n’avait eu le temps de réagir. Bouche bée, ils observaient le corps sans vie de la souris dont la robe grise était désormais tâchée de sang.
Sarah, emportée par ses émotions, chassa vivement le félin prédateur ainsi que son frère qu’elle tenait pour responsable de ce qui venait de se produire. Alors seulement, elle s’effondra en larmes et prit la souris entre ses mains.
A cet instant, elle se croyait seule mais elle ne l’était pas. Perché sur son arbre, juste devant la fenêtre de la petite Sarah, un moineau avait assisté à toute la scène, depuis la rencontre entre la fillette et l’animal jusqu’à la mort de ce dernier. Sarah entendit un léger coup porté à sa vitre et, intriguée, s’approcha pour ouvrir. A cet instant, elle se retrouva face à un jeune moineau dont l’air chagriné la toucha profondément. Avec une délicatesse inattendue, l’oiseau se posa sur la tête de Sarah comme pour lui offrir du réconfort. Après quelques minutes de partage silencieux, il s’envola, disparaissant au loin mais laissant une empreinte douce dans le cœur de Sarah.
De retour dans son arbre, il informa la chouette de la situation. Celle-ci, habituée à chasser les souris, se trouva offensée qu’une autre bête ait osé lui voler sa proie. Son regard perçant trahissait une indignation palpable, comme si l’intrusion d’un rival dans son territoire était une insulte à son habileté de chasseuse. Elle n’était pas la première à regretter la venue de ces nouveaux occupants. Décidément, cette famille et ses animaux dérangeaient vraiment l’éco-système !
Bien résolue à partager sa colère avec les autres espèces, la chouette se mit en tête de toutes les alerter. Dans le petit matin, elle hulula à une heure si tardive qu’elle attira l’attention de tous. Elle leur donna rendez-vous pour le soir même.
Profitant du sommeil de la famille, tous les animaux se rejoignirent dans la remise pour commencer leur assemblée. Prenant place sur la plus haute poutre, la chouette qui était à l’initiative de cette réunion, prit la parole.

Mondes sauvages
Soizic ARNAUD

Sagesse animale

La chouette, regardant tout autour d’elle, savait que ce moment serait important. Rats, ours, loup, renard, oiseaux, cerf, les souris dont la rumeur disait que la nouvelle les concernait… Même un korogu, dont personne n’expliquait la présence en ces lieux. Tous les animaux étaient présents, installés en rangs selon leur taille. Les oiseaux bataillaient pour les meilleurs perchoirs.
La chouette, imposante du haut de sa poutre, attendait l’arrivée des derniers retardataires : musaraignes curieuses, canards et cannes qui étaient venus sans leurs petits canetons, pour protéger leur innocence. Tous étaient là, réunis dans cette vieille remise, éclairée par la lueur d’une ampoule qui brillait juste assez pour y voir quelque chose au milieu d’un fatras d’outils et d’objets. Cette remise abandonnée recouverte de lierre, de champignons et de moisissures, constituait un lieu frontière entre le monde des humains et celui de la nature.
Des grognements de mécontentement s’élevaient dans la pièce, mais tous savaient que que ces réunions n’avaient lieu qu’en cas d’extrême urgence. L’inquiétude se lisait sur tous les visages.
« Ma chère famille, mes chers compatriotes. Je suis reconnaissante de votre venue à tous et toutes, commença la chouette.
 Pourquoi sommes nous là hein ?! l’interrompit le loup, dévoilant ses dents aiguisées à la vue de tous.
 Oui, pourquoi nous as tu rassemblés en cette heure si tardive ? ajouta la taupe.
 C’est vrai, j’étais en train de dormir moi, enchérit encore le lapin entre deux bâillements.
Après un regard à l’oiseau messager posé à ses côtés, la chouette reprit tandis qu’elle levait l’aile :
 Calmez vous ! Notre ami l’oiseau messager m’a rapporté de dramatiques nouvelles, que je dois vous transmettre pour que nous décidions ensemble de la suite. Nos voisins humains, les Morin-Diallo, qui nous nuisent depuis leur arrivée, en plus d’avoir d’avoir détruit la sérénité de nos camarades les plantes, ont désormais dépassé les limites : leur chat, si démoniaque qu’on pourrait le penser humain, a enlevé la vie d’Edward, notre si estimée amie souris, et l’a dévoré ! Paix à son âme… Un drame impardonnable qui s’ajoute à une longue liste de maltraitances depuis leur installation… Il nous faut réagir !
Toute l’assemblée fut estomaquée. Un grand malaise s’installa. Puis des grognements, cris, rugissements envahirent la salle, la colère, la rage, la haine, se propageaient dans l’assemblée.
 À bas les humains ! Ils sont le poison de ce monde !
C’était la zizanie. Face à la pagaille qui se formait la chouette reprit la parole pour calmer les esprits :
 Taisez vous et réfléchissez, nous devons décider quoi faire pour mettre un terme à tout cela !
Le renard est choqué mais commence à imaginer une ruse, l’écureuil tourne à toute vitesse autour de la poutre, le loup hurle, les chauves-souris sont agacées, le vieil ours mange du miel pour se détendre…
Un oiseau commença :
 Je peux attirer le chat et le faire tomber dans la rivière !
 Nous pouvons toquer sans relâche à leurs portes et fenêtres pour leur pourrir la vie ! dirent les canards.
 Nous pouvons hurler toutes les nuits pour les effrayer ! ajoutèrent les ours.
 Pourquoi ne pas demander aux ours de les manger, œil pour œil, dent pour dent ! s’écria le renard.
La chouette ramena le calme par un hululement strident.
 Je sais que les pertes sont énormes, mais peut-être devrions nous être tolérants, et montrer que nous valons mieux qu’eux !
L’oiseau messager intervint :
 De plus la petite fille était vraiment triste de voir Edward mourir ! Nous ne pouvons pas nous abaisser à leur niveau et les tuer, nous ferions du mal à la petite Sarah. Cette enfant a une fois de plus essayé de nous défendre, et semble être de notre côté.
L’oiseau peinait à se faire entendre au milieu du brouhaha de l’assemblée.
La chouette reprit la parole :
 Je propose deux choix : soit nous révolter, violemment et sans répit contre l’oppression, soit essayer d’éduquer ces humains par l’intermédiaire de Sarah, pour que l’on puisse peut-être un jour vivre ensemble, en paix. Et ce choix vous revient.
La chouette prépara une urne pour que tous les animaux puissent voter, ce qu’ils firent dans un silence qui témoignait du caractère décisif de ce moment. Aidée d’autres animaux de confiance, elle procéda au dépouillement. La décision ne fut pas unanime, mais acceptée : ils allaient collaborer avec Sarah pour essayer d’éduquer ces humains et leur faire prendre conscience de l’importance de l’écosystème qui les entoure, et de la possibilité de cohabiter dans la paix pour leurs deux mondes.
Les humains avaient une dernière chance. Les animaux allaient devoir trouver le moyen de communiquer avec Sarah pour en faire leur messagère et ambassadrice, dans la difficile mission de rééducation de cette famille qu’ils s’étaient fixée.

Mondes sauvages
Emeline MILLER

4/ Titre du chapitre

Bien décidée à changer la mentalité des humains, Sarah prit donc la résolution d’aller chaque jour, au crépuscule, près de la rivière pour discuter de la situation avec les animaux et trouver une solution. Le premier soir, elle réunit ainsi les animaux. Animaux aquatiques, animaux terrestres et volatiles, tous étaient présents. Le bruit de la rivière et l’éclat de la lune qui se reflétait dans l’eau rendaient apaisante celle belle soirée d’été.
Après cette conversation avec les animaux, Sarah parla avec sa famille. Les deux jumeaux décidèrent d’aider Sarah dans son projet de cohabitation pacifique avec la nature. Driss restait sceptique, mais il accepta d’essayer de faire des efforts. C’est des jumeaux que vint l’idée de construire des mangeoires pour les oiseaux. Ils choisirent de recycler des bouteilles en plastique, qu’ils percèrent pour pouvoir y disposer de la nourriture que les oiseaux viendraient manger. Avec des planches en bois trouvées dans le garage, ils construisirent aussi des nichoirs. Mangeoires et nichoirs terminés, ils les installèrent dans le jardin. Sarah les félicita pour la bonne volonté qu’ils avaient manifestée.
Un soir, au crépuscule, alors que Sarah discutait avec les animaux aquatiques, ces derniers lui confièrent que le chat les attaquait par surprise. Sarah leur proposa d’attacher un grelot autour du cou de son animal de compagnie. Les poissons acceptèrent cette idée avec soulagement. Souris et oiseaux applaudirent également.
Heureuse de ces progrès, Sarah décida d’une autre mesure. Elle installerait un compost au fond du jardin. Convaincue des avantages variés de l’entreprise qui diminuerait les déchets et éviterait l’usage de produits chimiques dans les plantations du jardin, Sarah l’installa sans demander l’autorisation de son père. L’odeur dégagée par le tas d’épluchures en décomposition mit ce dernier dans un état de violente colère. Il dispersa le compost, détruisit le bac, et envoya Sarah dans sa chambre.
Driss n’était cependant pas au bout de ses mauvaises surprises. Les animaux avaient pris une autre initiative. Pénétrant dans la maison, ils avaient saboté les toilettes de la famille, et avec la complicité de Sarah ils avaient installé pour les humains des toilettes sèches. Driss interdit à Sarah de sortir de la maison, et prit la résolution d’installer des pièges dans le jardin et d’éliminer tout animal qu’il apercevrait au-delà d’une balle de fusil.
Les poings serrés, il hurla sa rage à travers les arbres. Sa voix se perdait dans l’immensité sombre de la forêt. Epuisé par la colère, il s’agenouilla sur le sol humide, le souffle court, prenant conscience de l’ampleur de ce qu’il avait perdu. Dans le silence, seul le bruissement du vent répondit à sa détresse, comme si la forêt elle-même le jugeait en silence. Il voulut tout oublier, et ferma les yeux.
Lorsqu’il les rouvrit, il était allongé sur son lit. Autour de lui, les meubles de sa chambre présentaient leur silhouette familière. Il se leva, d’une humeur massacrante. Il aboya sur Laurence qui passait : « Jamais, jamais de la vie, tu m’entends, je n’utiliserai de toilettes sèches !! ». Stupéfaite, Laurence lui demanda de quoi il parlait. Driss comprit alors que tout cela n’avait été qu’un rêve – ou un cauchemar... Se précipitant sur l’ordinateur familial, il mit en vente sa tondeuse à gazon, et fit l’acquisition d’un mouton. Les animaux qui, en réalité, n’avaient jamais su parler, et Sarah, qui n’avait jamais été l’ambassadrice de personne, seraient heureux de voir que l’herbe du jardin allait désormais être entretenue sans essence, sans vrombissement, et dans le respect des insectes qui y vivaient.

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Wilfried N’SONDE

1/ Dans la maison au bord de la Bourges

La petite souris avait élu domicile dans la maison au bord de la Bourges vers la fin du printemps dernier, peu avant de mettre bas ses six petits. Elle avait choisi de s’installer dans le calme du grenier, un excellent refuge qui la protégeait de la lumière pendant ses longues heures de sommeil de la journée, et lui proposait une excellente base de repli après les escapades nocturnes qui lui permettait de se rassasier et de nourrir sa progéniture.
Tout se passait à merveille depuis des mois, elle coulait des jours tranquilles, mais vers la fin de l’été, son univers s’était assombri avec l’arrivée d’humains et de deux monstres à quatre pattes. Avec leurs meubles et leurs énormes machines en métal qui faisait énormément de bruit, ils avaient totalement changé la géographie de la maison. Par chance ils ne s’étaient pas encore aventuré dans le grenier et la souris avait vite compris que ces étranges individus, contrairement à elle, vivaient le jour et dormaient la nuit. Et puis le nombre d’imposants objets avec lesquels ils encombraient l’espace offraient encore plus de possibilités de se dissimuler, ce qui facilitait ses déplacements vers l’extérieur, il s’agissait juste d’éviter la proximité du chat et du chien. Mais alors qu’elle pensait s’accommoder de cette soudaine invasion, une nuit où la souris partit comme à son habitude chasser des grillons, des chenilles ou d’autres petits insectes, elle s’arrêta net sur le porche de la maison et constata qu’à l’extérieur aussi tout avait changé, elle se retrouvait devant un paysage apocalyptique
Il avait suffi d’une journée pour que l’endroit qui la veille encore abondait de proies deviennent un désert de sillons de terre retournée. Son cœur battait à rompre sa petite poitrine. Elle s’appuya sur ses pattes arrière pour voir ce qu’il en était un peu plus avant, mais d’aussi loin qu’elle pouvait regarder, tout était dévasté. Elle renifla l’air, observa les alentours, s’arrêta en scrutant l’obscurité en direction de la rivière et se dit que ce serait peut-être l’occasion d’y aller chercher des petits escargots. Mais la lune presque pleine éclairait dangereusement l’espace entre elle et le cours d’eau où l’herbe avait été coupé très court, cette hypothèse et le chemin à découvert jusqu’à la rive l’exposait trop à l’assaut d’un rapace. La sourit stressait, elle pensait à ses petits sans savoir comment soulager leur faim. Dans le doute elle décida de rebrousser chemin et retourna dans la maison. Après quelques pas dans l’entrée, elle aperçut une forme bouger dans le noir. Le chat s’était réveillé, il s’étira puis trotta jusqu’à la cuisine pour se désaltérer. La souris s’arrêta mais son odeur la trahit, le félin stoppa, tourna son regard vers elle. Le rongeur se mit à courir et réussit à atteindre une plinthe, elle s’y cacha, tordit son corps, arriva à poursuivre sa course et laissa derrière elle les griffes du chat qui grattaient le bois. Heureusement, elle connaissait la maison par cœur et n’eut aucun mal à gagner l’étage avec le chat toujours à ses trousses. Dans la panique elle réussit à entrer dans la chambre où dormait la petite fille en se faufilant sous la porte, le chat n’allait pas tarder à arriver.
Les miaulements sortirent Sarah de son sommeil. Après s’être frottée les yeux, la petite se redressa sur son lit, elle aperçut une petite souris apeurée, menacée par le chat qui appelait avec insistance.

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Frederique NEVEU

2/ Drame matinal

A peine Sarah eut elle le temps de réaliser ce qu’il se passait que la souris lui demanda de l’aide.
« S’il te plait, protège moi ! Je suis poursuivie par un chat qui s’est installé récemment dans cette maison. Cache moi dans le tiroir de ta table de nuit, je t’en supplie ! »
Sarah laissa un silence planer dans la pièce, tentant du mieux possible de comprendre la situation. « Une souris ? Dans ma chambre ? Qui me parle ? Est ce que je dors ? Est ce que je suis réveillée ? ».
Elle n’eut pas le temps de répondre à ses propres questions car soudain, Lucas fit irruption dans sa chambre. « On ne peut jamais dormir tranquille dans cette baraque ! Tu ne peux pas le laisser rentrer ce chat ? ». Ce dernier en profita pour se faufiler entre les jambes du grand frère et reprit sa poursuite. Il repéra immédiatement le petit rongeur et fondit sur sa proie. Après l’avoir égorgée, il la laissa retomber sur le parquet. Cela s’était passé si vite qu’aucun des deux enfants n’avait eu le temps de réagir. Bouche bée, ils observaient le corps sans vie de la souris dont la robe grise était désormais tâchée de sang.
Sarah, emportée par ses émotions, chassa vivement le félin prédateur ainsi que son frère qu’elle tenait pour responsable de ce qui venait de se produire. Alors seulement, elle s’effondra en larmes et prit la souris entre ses mains.
A cet instant, elle se croyait seule mais elle ne l’était pas. Perché sur son arbre, juste devant la fenêtre de la petite Sarah, un moineau avait assisté à toute la scène, depuis la rencontre entre la fillette et l’animal jusqu’à la mort de ce dernier. Sarah entendit un léger coup porté à sa vitre et, intriguée, s’approcha pour ouvrir. A cet instant, elle se retrouva face à un jeune moineau dont l’air chagriné la toucha profondément. Avec une délicatesse inattendue, l’oiseau se posa sur la tête de Sarah comme pour lui offrir du réconfort. Après quelques minutes de partage silencieux, il s’envola, disparaissant au loin mais laissant une empreinte douce dans le cœur de Sarah.
De retour dans son arbre, il informa la chouette de la situation. Celle-ci, habituée à chasser les souris, se trouva offensée qu’une autre bête ait osé lui voler sa proie. Son regard perçant trahissait une indignation palpable, comme si l’intrusion d’un rival dans son territoire était une insulte à son habileté de chasseuse. Elle n’était pas la première à regretter la venue de ces nouveaux occupants. Décidément, cette famille et ses animaux dérangeaient vraiment l’éco-système !
Bien résolue à partager sa colère avec les autres espèces, la chouette se mit en tête de toutes les alerter. Dans le petit matin, elle hulula à une heure si tardive qu’elle attira l’attention de tous. Elle leur donna rendez-vous pour le soir même.
Profitant du sommeil de la famille, tous les animaux se rejoignirent dans la remise pour commencer leur assemblée. Prenant place sur la plus haute poutre, la chouette qui était à l’initiative de cette réunion, prit la parole.

Mondes sauvages
Soizic ARNAUD

Sagesse animale

La chouette, regardant tout autour d’elle, savait que ce moment serait important. Rats, ours, loup, renard, oiseaux, cerf, les souris dont la rumeur disait que la nouvelle les concernait… Même un korogu, dont personne n’expliquait la présence en ces lieux. Tous les animaux étaient présents, installés en rangs selon leur taille. Les oiseaux bataillaient pour les meilleurs perchoirs.
La chouette, imposante du haut de sa poutre, attendait l’arrivée des derniers retardataires : musaraignes curieuses, canards et cannes qui étaient venus sans leurs petits canetons, pour protéger leur innocence. Tous étaient là, réunis dans cette vieille remise, éclairée par la lueur d’une ampoule qui brillait juste assez pour y voir quelque chose au milieu d’un fatras d’outils et d’objets. Cette remise abandonnée recouverte de lierre, de champignons et de moisissures, constituait un lieu frontière entre le monde des humains et celui de la nature.
Des grognements de mécontentement s’élevaient dans la pièce, mais tous savaient que que ces réunions n’avaient lieu qu’en cas d’extrême urgence. L’inquiétude se lisait sur tous les visages.
« Ma chère famille, mes chers compatriotes. Je suis reconnaissante de votre venue à tous et toutes, commença la chouette.
 Pourquoi sommes nous là hein ?! l’interrompit le loup, dévoilant ses dents aiguisées à la vue de tous.
 Oui, pourquoi nous as tu rassemblés en cette heure si tardive ? ajouta la taupe.
 C’est vrai, j’étais en train de dormir moi, enchérit encore le lapin entre deux bâillements.
Après un regard à l’oiseau messager posé à ses côtés, la chouette reprit tandis qu’elle levait l’aile :
 Calmez vous ! Notre ami l’oiseau messager m’a rapporté de dramatiques nouvelles, que je dois vous transmettre pour que nous décidions ensemble de la suite. Nos voisins humains, les Morin-Diallo, qui nous nuisent depuis leur arrivée, en plus d’avoir d’avoir détruit la sérénité de nos camarades les plantes, ont désormais dépassé les limites : leur chat, si démoniaque qu’on pourrait le penser humain, a enlevé la vie d’Edward, notre si estimée amie souris, et l’a dévoré ! Paix à son âme… Un drame impardonnable qui s’ajoute à une longue liste de maltraitances depuis leur installation… Il nous faut réagir !
Toute l’assemblée fut estomaquée. Un grand malaise s’installa. Puis des grognements, cris, rugissements envahirent la salle, la colère, la rage, la haine, se propageaient dans l’assemblée.
 À bas les humains ! Ils sont le poison de ce monde !
C’était la zizanie. Face à la pagaille qui se formait la chouette reprit la parole pour calmer les esprits :
 Taisez vous et réfléchissez, nous devons décider quoi faire pour mettre un terme à tout cela !
Le renard est choqué mais commence à imaginer une ruse, l’écureuil tourne à toute vitesse autour de la poutre, le loup hurle, les chauves-souris sont agacées, le vieil ours mange du miel pour se détendre…
Un oiseau commença :
 Je peux attirer le chat et le faire tomber dans la rivière !
 Nous pouvons toquer sans relâche à leurs portes et fenêtres pour leur pourrir la vie ! dirent les canards.
 Nous pouvons hurler toutes les nuits pour les effrayer ! ajoutèrent les ours.
 Pourquoi ne pas demander aux ours de les manger, œil pour œil, dent pour dent ! s’écria le renard.
La chouette ramena le calme par un hululement strident.
 Je sais que les pertes sont énormes, mais peut-être devrions nous être tolérants, et montrer que nous valons mieux qu’eux !
L’oiseau messager intervint :
 De plus la petite fille était vraiment triste de voir Edward mourir ! Nous ne pouvons pas nous abaisser à leur niveau et les tuer, nous ferions du mal à la petite Sarah. Cette enfant a une fois de plus essayé de nous défendre, et semble être de notre côté.
L’oiseau peinait à se faire entendre au milieu du brouhaha de l’assemblée.
La chouette reprit la parole :
 Je propose deux choix : soit nous révolter, violemment et sans répit contre l’oppression, soit essayer d’éduquer ces humains par l’intermédiaire de Sarah, pour que l’on puisse peut-être un jour vivre ensemble, en paix. Et ce choix vous revient.
La chouette prépara une urne pour que tous les animaux puissent voter, ce qu’ils firent dans un silence qui témoignait du caractère décisif de ce moment. Aidée d’autres animaux de confiance, elle procéda au dépouillement. La décision ne fut pas unanime, mais acceptée : ils allaient collaborer avec Sarah pour essayer d’éduquer ces humains et leur faire prendre conscience de l’importance de l’écosystème qui les entoure, et de la possibilité de cohabiter dans la paix pour leurs deux mondes.
Les humains avaient une dernière chance. Les animaux allaient devoir trouver le moyen de communiquer avec Sarah pour en faire leur messagère et ambassadrice, dans la difficile mission de rééducation de cette famille qu’ils s’étaient fixée.

Mondes sauvages
Emeline MILLER

4/ Titre du chapitre

Bien décidée à changer la mentalité des humains, Sarah prit donc la résolution d’aller chaque jour, au crépuscule, près de la rivière pour discuter de la situation avec les animaux et trouver une solution. Le premier soir, elle réunit ainsi les animaux. Animaux aquatiques, animaux terrestres et volatiles, tous étaient présents. Le bruit de la rivière et l’éclat de la lune qui se reflétait dans l’eau rendaient apaisante celle belle soirée d’été.
Après cette conversation avec les animaux, Sarah parla avec sa famille. Les deux jumeaux décidèrent d’aider Sarah dans son projet de cohabitation pacifique avec la nature. Driss restait sceptique, mais il accepta d’essayer de faire des efforts. C’est des jumeaux que vint l’idée de construire des mangeoires pour les oiseaux. Ils choisirent de recycler des bouteilles en plastique, qu’ils percèrent pour pouvoir y disposer de la nourriture que les oiseaux viendraient manger. Avec des planches en bois trouvées dans le garage, ils construisirent aussi des nichoirs. Mangeoires et nichoirs terminés, ils les installèrent dans le jardin. Sarah les félicita pour la bonne volonté qu’ils avaient manifestée.
Un soir, au crépuscule, alors que Sarah discutait avec les animaux aquatiques, ces derniers lui confièrent que le chat les attaquait par surprise. Sarah leur proposa d’attacher un grelot autour du cou de son animal de compagnie. Les poissons acceptèrent cette idée avec soulagement. Souris et oiseaux applaudirent également.
Heureuse de ces progrès, Sarah décida d’une autre mesure. Elle installerait un compost au fond du jardin. Convaincue des avantages variés de l’entreprise qui diminuerait les déchets et éviterait l’usage de produits chimiques dans les plantations du jardin, Sarah l’installa sans demander l’autorisation de son père. L’odeur dégagée par le tas d’épluchures en décomposition mit ce dernier dans un état de violente colère. Il dispersa le compost, détruisit le bac, et envoya Sarah dans sa chambre.
Driss n’était cependant pas au bout de ses mauvaises surprises. Les animaux avaient pris une autre initiative. Pénétrant dans la maison, ils avaient saboté les toilettes de la famille, et avec la complicité de Sarah ils avaient installé pour les humains des toilettes sèches. Driss interdit à Sarah de sortir de la maison, et prit la résolution d’installer des pièges dans le jardin et d’éliminer tout animal qu’il apercevrait au-delà d’une balle de fusil.
Les poings serrés, il hurla sa rage à travers les arbres. Sa voix se perdait dans l’immensité sombre de la forêt. Epuisé par la colère, il s’agenouilla sur le sol humide, le souffle court, prenant conscience de l’ampleur de ce qu’il avait perdu. Dans le silence, seul le bruissement du vent répondit à sa détresse, comme si la forêt elle-même le jugeait en silence. Il voulut tout oublier, et ferma les yeux.
Lorsqu’il les rouvrit, il était allongé sur son lit. Autour de lui, les meubles de sa chambre présentaient leur silhouette familière. Il se leva, d’une humeur massacrante. Il aboya sur Laurence qui passait : « Jamais, jamais de la vie, tu m’entends, je n’utiliserai de toilettes sèches !! ». Stupéfaite, Laurence lui demanda de quoi il parlait. Driss comprit alors que tout cela n’avait été qu’un rêve – ou un cauchemar... Se précipitant sur l’ordinateur familial, il mit en vente sa tondeuse à gazon, et fit l’acquisition d’un mouton. Les animaux qui, en réalité, n’avaient jamais su parler, et Sarah, qui n’avait jamais été l’ambassadrice de personne, seraient heureux de voir que l’herbe du jardin allait désormais être entretenue sans essence, sans vrombissement, et dans le respect des insectes qui y vivaient.