Elle se leva, traversant la pièce sombre. La main tremblante, elle introduisit la clé dans la serrure de la porte en bois presque noir. Cette dernière grinça fortement quand elle la tira vers l’exterieur -car cette porte, fait étrange, s’ouvrait vers l’exterieur-.
Un grand homme pâle, aux yeux tout aussi pâles, l’attendait sur le palier. Une lueur étrange sur le visage, il s’adressa à elle, calmement, d’une voix grave et rocailleuse






Par cette voix, c’est toute une époque qui lui revenait en pleine face. Elle se sentit alors étrangement minuscule, fragile. Pendant toutes ces années, elle s’était crue à l’abri de ses propres souvenirs - une amnésie apaisante dans laquelle elle s’était emmitouflée.
Puis son abattement laissa place à la colère. Pourquoi aujourd’hui, maintenant, chez elle ? Elle savait ce que la venue de cet homme signifiait et elle n’en avait pas envie. Pas aujourd’hui.
Elle l’invita à entrer du regard, jeta un coup d’œil rapide dans le hall et referma soigneusement la porte de l’appartement sur eux.


Un homme, oui. Mais il ressemblait à une figure connue, un vieux souvenir, une réalité perdue, une couleur, un reflet d’enfance, une errance. Pourquoi le faire rentrer. Et ces feuilles rouges qui montent toujours au 6 étage. Sur le chemin de sa vie, elle avait rencontré beaucoup de personnalités des plus étranges. Mais pourquoi ce changement dans le comportement des feuilles ?


Zut !!! Gouré de siècle !!! J’avais pourtant bien programmé mon I travel in time, et me voilà face à sophie, seule traductrice du futur... Bon comment lui expliquer les tuiles qui vont pleuvoir sur sa civilisation, comment lui indiquer les chemins salvateurs ??? Je vais à nouveau déclencher le message subliminal des feuilles... Allez comprend, comprenez... aidez la nature et l’homme... bon je vais faire régler mon vaisseau...


Il disparut soudain, sans même faire de bruit. En un instant sa silhouette massive s’évapora, comme si il n’avait été qu’une feuille morte, parmi toutes les autres. Elle recula, lentement, ne s’autorisant aucune pensée. Le vent soufflait moins fort à présent, les feuilles avaient cessé de tourbillonner et se déposaient, une par une, sur le sol du pallier. Réel, ou non ? Si elle s’en référait aux lois de la raison, des sciences, de tout ce que l’humanité avait pu produire de rationnel, cet individu, ne pouvait pas exister. Il ne pouvait qu’être qu’un fruit de son imagination, de son esprit un peu embrumé par la fumée de cigarette et les mots dansants de la notice à rédiger. Mais que disaient ses yeux ? Ses sens ? Elle l’avait vu, avait fait l’expérience concrète, physique de sa présence. La vérité lui parut aussi flottante et changeante que le souffle du vent : impossible à saisir. Ses mains tremblaient légèrement, enfoncées au fond de ses poches. Elle se saisit maladroitement d’une cigarette, et tenta de l’introduire dans sa bouche. Ses lèvres sèches craquelèrent un peu, mais alors que le goût si particulier du tabac mélangé au papier envahit sa bouche, un doute l’assaillit. Brutal, inattendu. Le vent se leva de nouveau, les feuilles mortes reprirent leur danse. Et si ses doigts la trompaient ? Et si sa bouche la trompait ? Et si ses sens la trompaient ? Ses yeux avaient vu une créature irréelle, ses oreilles l’avaient entendue. Ils n’avaient pu que lui mentir. Comment savoir ? Comment acquérir une quelconque certitude ? Comment percevoir une réalité fiable ? Elle retira quoi que ce put être qu’elle avait mis dans sa bouche, et recula rapidement. Tenant fermement sa tête entre ses mains, elle se mit à penser, réfléchir, se fiant à ce qu’elle voyait comme seule source de vérité possible : ’’ Je pense. Je peux penser, donc j’existe. ’’ Dehors, le vent souffla brusquement avec férocité, et la notice si soigneusement écrite s’envola avant de disparaître par la fenêtre.