Armande, viens avec moi, il faut que je te montre quelque chose.
Léonard te tire par la manche dans une rue adjacente.
Mais j’ai pas le droit de traîner après l’école, en plus j’ai cours de piano.
Ton emploi du temps est rempli comme un œuf. Pas de jachère, ni d’herbes folles. Tennis, équitation, danse classique, piano, chorale baroque. Il faut bien t’occuper.
Allez, viens, il y en a pour cinq minutes.
Mais on va où ?
Surprise.
Tu aimes ce qui sort de l’ordinaire, pourtant tu ressembles à toutes les jeunes filles de ton âge : sac à dos tombant sur l’épaule avec pagaille de porte-clés accrochés au fermoir, tee-shirt à motif, mini-chaussette sur bande de peau dépassant du jean slim et Stan Smith en bout de course, aujourd’hui rouge sur rouge, tu as toute la gamme de la collection.
Maman, c’est mieux les blanches sur fond noir ou les noires sur fond blanc ?
C’est pareil, dépêche-toi, prends-les toutes, j’ai pas le temps.
Comme d’habitude.
Ta mère est toujours débordée, toujours pendue au téléphone, à parler chiffres, à dicter commandes, et ton père, toujours derrière ses fourneaux trois étoiles, à râper du raifort, à fricasser du porc, tu détestes L’Alsace à Paris, la brasserie art-déco qui les occupe tous les soirs.
Vous longez les grilles du parc Monceau, dans le 8ème arrondissement de Paris. Une vieille dame distribue des miettes de brioche à une volée de pigeons, une petite fille hurle à sa nounou qu’elle en veut, elle aussi, de la brioche, de la brioche, les arbres commencent à jaunir dans le soleil d’automne. Tu te revois la tête en bas, pendue aux barres métalliques de la cage à écureuil, l’odeur de rouille au creux des mains. De nouveaux enfants se bousculent autour du toboggan. Ce n’est plus ton territoire.
C’est loin ton machin-truc ? J’ai faim.
Léonard-le-Goulu te donne un bout de son sandwich, c’est dire s’il tient à ce que tu viennes. Léonard, c’est ton frère de cœur, tu le connais depuis toujours.
Cette année, vous partagez la folie des cactus. Vous vous faîtes des échanges de boutures. Vous comparez piquants et fleurs. Vous les baptisez. Toi, tu en as déjà sept, posés sur ton bureau : Tignasse, Duvet, Rouflaquette, Tif, Velu, Frisette et Crâne d’oeuf.
C’est encore loin ?
Le cartable pèse lourd, on vient de vous remettre les livres pour l’année à venir, le brevet, le brevet, tous les professeurs en ont parlé, ça va, on a compris.
Antiquité, salon de thé, antiquité, salon de thé. Tu connais le quartier comme ta poche. Heureusement qu’il y a les pixels pour voyager. Tu passes des heures en cachette sur ton ipod, emmitouflée au creux des draps, avec Youtube à fond la caisse : Sexion d’assaut, Stromae, LEJ, Sianna, Nekfeu, Lefa, ta chambre est envahie de visages, piqués sur le net et imprimés en grand format, le résultat laisse à désirer, couleurs floutées, rayures blanches en travers de l’image, mais qu’importe, ils sont là, sur tes murs, pour creuser une brèche dans ton univers, pour t’enseigner la vie.
Et tout à coup, Léonard s’arrête devant un magasin d’antiquité.
C’est là, regarde.
Un globe terrestre, une chaise à bascule, un vase chinois, une gazelle empaillée, un vieux tableau encadré d’or.
Ton cœur se fige. Ton cœur se glace. Ton cœur boomerang dans ta poitrine.
Léonard te prend la main et la serre fort.




Nos enfants venaient le réveiller le matin mais pas trop tôt sinon il était de mauvais poil et quand il l’était ... On ne savait jamais ce qui pouvait se passer, rien de très bon en tout cas. Les enfants allaient le réveiller vers 9 h ce qui était une bonne heure. L’heure à laquelle il souriait à tous les enfants, leur disait bonjour, demandait un gros petit-déjeuner avec un café, des tartines, des croissants, c’était un des meilleurs moments de la journée même pour ceux qui lui préparaient son petit-déjeuner, qui faisaient son lit ...
Il y a un mois, Léonore était arrivé dans notre tribu. C’était une jeune femme magnifique, pleine de joie de vivre, de gaieté ... On aurait dit qu’elle voulait être aimé de tous le monde ceux qui était le cas.
Quand Lee arriva ce jour là (le vendredi 12 juillet) il était tout heureux de nous retrouver, il se coucha et les enfants vinrent le réveiller plus tard que d’habitude puisqu’il avait eu beaucoup de trajet. Ce fut Léonore qui lu apporta son petit-déjeuner, toutes les femmes était sorties et les enfants aussi. Par l’ouverture de la tente, Léonore, une des femmes les apperçut. Et elle se dit que lors du prochain mariage, il n’y aurait pas besoin d’envoyer de faire-part à Lee puisqu’il se sera lui qui se marierait ...


Le Ketch entra dans la rade. Ils avaient effectué un demi tour sur place pour se positionner face au chenal, Eva était montée à l’avant pour affaler les voiles tandis que Lee mettait le moteur en marche et lui criait de tout faire tomber, ce qu’elle fit sans attendre et sans l’entendre. Eva revient se blottir près de lui à la barre. La manoeuvre avait été aussi discrète qu’efficace, contrastant avec les allers et venues tapageuses et vulgaires des yaghts bruyants et des plaisanciers longeant la côte au moteur comme des méduses désoeuvrées.
Lee mit le premier les pieds sur le quai, tendant la main à Eva et l’entrainant vers les docks. Il tira sur le drap poussiereux qui recouvrait la Buick et défit la capote. Une minute plus tard ils roulaient en direction de la big apple, une cassette engagée dans le lecteur jouait Blue room de Chet Baker.
La Buick évoluait souplement sur la route rectiligne, derrière ses lunettes noires Lee se sentait appaisé. Il tournait parfois la tête pour contempler Eva, ses cheveux cours voletant au vent, son foulard bleu noué près du cou, souriante comme en possession d’un trésor.
Ils avaient quitté l’Ile il y a 20h, avaient navigué sans escale, se relayant sur le pont pour gouverner et garder le cap, boire la biere artisanale, sorte de brevage aigre à base de fruits de l’arbre à pain masséré que le chef de la tribu leur avait offert, se nourrissant de fruits et de poissons séchés, goutant ce plaisir rare d’avoir la voute celleste en guise de couette, portés par un vent chaud.
La trompette de Chet avait succédé à sa voix, le ville était là. Lee alluma les phares de la Buick et pensa à la tête que feraient ses amis en découvrant que le chef les avait déjà mariés.


Déjà trois mois qu’ils étaient mariés.Deux mois equ’ils étaient rentrés de leur voyage de noces, bien "carte postale", bien cliché. Les palmiers, la mer des Caraïbes, les bungalows, les siestes chaudes, les coktails devant le coucher de soleil, paradisiaque tous les soirs, comme par obligation, par contrat, "on a payé pour ça après tout !". Lee avait tant voyagé, que, s’il avait choisi, il serait allé chez sa vieille grand-mère qui aurait raconté à Eva comme il se battait avec son frère pour finir la dernière gaufre, ou comme ils avaient failli mourir empoisonnés par les champignons ramassés par le grand-père . Mais Eva n’avait pas voyagé, elle épousait un chanteur célèbre, la lune de miel aux Caraïbes faisait partie du "package". Il se disait, par moments encore fugitifs, qu’elle était quand même un peu trop jeune et immature pour lui, qu’il aurait dû épouser une fille de son âge, avec une forme de sagesse et de bienveillance, qu’Eva n’avait pas bien sûr. Une femme qui aurait su faire les lasagnes, et peut-être même les gaufres comme sa grand-mère, ou qui en tout cas aurait essayé. Une femme qui aurait eu des enfants, pourquoi pas ?


La rencontre avait eu lieu à Milan. Au delà de toutes les autres rencontres, elle avait réussi à le charmer. Ce vieux globe trotter de Lee avait enfin la corde au cou.
Mais l’envie de bouger l’avait repris. Les longues absences répétées avait eues raisons de la bonne entente du couple. Eva reprochait entre autre à Lee de ne pas etre un père pour ses enfants.
Eva disait qu’il ne leur avait meme pas appris à faire du vélo.
L’usure avait eu raison du couple.
Eva avait eu la garde des enfants et était retounée en Italie.
Lee, avait retrouvé ses ambiances de noceurs avec les filles, l’alcool, la fête jusqu’à pas d’heure.
Mais ce soir, le choc avait été violent. La cuite du siècle. La nuit en cellule de dégrisement. L’amende.
De retour à l’hôtel, Lee fixait le ciel à travers la baie vitrée.
L’essentiel n’est pas dans le matériel.
C’est ce qu’il était en train de se dire. Toute une vie à courir. Derière quoi ? La gloire, l’argent, l’excitation ? Pour finir où ? Avec qui ?
Sa tete était comme un chaudron. Les effets de l’alcool de la veille ne s’étaient pas encore totalement dissipés.
Comment repartir ? Demandé pardon ? Eva ne voudrait plus de lui. Trop de souffance endurées.
Mais après tout. Il était père. Cela lui restait. Mais lui, serait-il encore désiré, aimé. Il avait laissé faire, fuir le temps. Comme un lache.
Ce soir, il était temps que les chose change. Repartent. Du bon pied.
Lee pris le téléphone et appela l’Italie.


Le téléphone sonna. Une première fois. Puis plusieurs fois, sans que qui que ce soit ne daigne décrocher.
Le répondeur se mit en route.
Lui aussi, car finalement il ne savait pas quoi dire.
Plus rien à dire qui aurait pu le satisfaire.
Il se leva, alluma une cigarette, se servit un verre de Chianti et partit déambuler dans un jardin, le coeur finalement très léger.