Prologue
Localisation : Un bunker sous terre au milieu du Sahara
Année : 2050
Jour et heure : cela ne nous importe plus, maintenant que le monde est détruit, nous n’avons plus l’heure mais nous avons le temps : enfin !
Je n’ai rien oublié de mon ancienne vie, de tout ce que j’ai perdu, de la beauté d’un coucher de soleil, du mouvement lent et majestueux des vagues sur la plage de mon enfance, des histoires que me racontait ma mère. Je n’ai rien oublié du rire joyeux de mes propres enfants jouant à la balle au prisonnier dans le jardin. Rien non plus de ma sœur et mon frère, de notre enfance de petits noirs dans un village de France qui nous a tôt appris à affronter l’adversité. Je n’oublie pas que j’ai été heureuse. J’ai construit ma force et mon énergie, j’ai pu penser l’avenir malgré le Grand Effondrement parce que je savais que ce bonheur-là était possible, qu’une communauté bienveillante, imaginative pouvait sauver du pire des malheurs.
Je suis la plus vieille du projet, c’est moi qui l’ait conçu. Ici, il m’appelle tous Vieille Mère.
J’ai tout perdu au moment du Grand Effondrement en 2030. Tous ceux que j’aimais, ma maison, ma famille, les couchers de soleil, la mer, le chant doux des oiseaux au printemps, la caresse du vent sur mon visage, la table garnie et les amis en fête. Tout !
Depuis des décennies les puissants se faisaient la guerre. Ils fabriquaient des armes sophistiquées, ils n’avaient pas envisagé que leur avidité, leur quête d’un pouvoir hégémonique finiraient par créer notre perte à tous. Le budget de la défense était de plus en plus important, au détriment de la santé, du bien commun. L’éducation avait été abandonnée, la santé des plus fragiles délaissée, ils nous avaient transformés en corps brisés, malades, mal-éduqués, effrayés et méchants. Ils avaient permis que la terre soit abimée pour le confort immédiat de certains, ils avaient moqués, contredits les scientifiques qui prédisaient le désastre écologique en cours. Alors même que les tempêtes étaient plus virulentes, les incendies plus destructeurs et que des sécheresses terribles nous rendaient plus fragiles, ils avaient réussi à nous convaincre que l’étranger était le plus grand danger qui soit, à nous monter les uns contre les autres jusque dans notre intimité. Et quand ils avaient utilisé leurs armes, leurs bombes, nous avions applaudi parce que ce n’était pas contre nous mais contre des hommes, des femmes, des enfants que l’on nous désignait comme ennemis. Des personnes que nous n’avions jamais vu, qui vivaient à des milliers de kilomètres de nous et que nous les autorisions à massacrer parce qu’ils nous répétaient « c’est eux ou vous ! »
Je suis née à la fin du siècle dernier, j’étais là, j’ai tout vu. J’ai, inscrit dans ma mémoire comme un tatouage au fer rouge, la première bombe nucléaire et celles qui ont suivies en rétorsion. Je ne sais plus qui a commencé. Il n’y a plus personne pour écrire cette histoire. Je ne sais plus si c’était la Chine, les USA, la Russie, Israël ou la France. Dans le Projet Anticipation, nous avons compris qu’aucune guerre n’est nécessaire, aucune ne se gagne. Le premier sang versé à l’origine du monde crie vengeance et dans un cercle pervers, dévastateur, les mêmes horreurs se reproduisent.
J’étais ce qu’on appelait en ce temps-là une nerd. Très jeune, j’avais compris l’intérêt de l’informatique, du numérique et de la façon dont on pouvait s’en servir soit pour abêtir, dominer, s’enrichir, soit pour rendre les nôtres plus conscients de leur vulnérabilité et plus solidaires. J’ai choisi la seconde option.
Nous étions six femmes : Joyce et Annabella qui nous viennent des Etats Unis et du Brésil, Hua qui est chinoise, Rim qui est libanaise, Chloé française et moi, Sol, diminutif de mon prénom car mes parents m’ont appelée Soleil, prénom que j’ai transformé en Sol, comme le plancher où j’ai besoin de m’arrimer. Pas aussi vaste que la terre, mais Sol, comme l’endroit à la fois modeste et essentiel où tu poses tes pieds à chaque pas.
Le monde allait à vau-l’eau, j’ai contacté les femmes les plus brillantes de leur génération et elles m’ont écoutées quand je leur ai dit, « tout ça va mal se finir, nous devons nous préparer dès à présent à accoucher de l’avenir »
C’est ainsi qu’est né le Projet Anticipation. Le plan B d’un monde qui, c’était à prévoir, a implosé. Nous avons inventé la machine à remonter le temps et décider de réparer notre monde cassé en sauvant Les Vulnérables.
1/ Dans la maison au bord de la Bourges
La petite souris avait élu domicile dans la maison au bord de la Bourges vers la fin du printemps dernier, peu avant de mettre bas ses six petits. Elle avait choisi de s’installer dans le calme du grenier, un excellent refuge qui la protégeait de la lumière pendant ses longues heures de sommeil de la journée, et lui proposait une excellente base de repli après les escapades nocturnes qui lui permettait de se rassasier et de nourrir sa progéniture.
Tout se passait à merveille depuis des mois, elle coulait des jours tranquilles, mais vers la fin de l’été, son univers s’était assombri avec l’arrivée d’humains et de deux monstres à quatre pattes. Avec leurs meubles et leurs énormes machines en métal qui faisait énormément de bruit, ils avaient totalement changé la géographie de la maison. Par chance ils ne s’étaient pas encore aventuré dans le grenier et la souris avait vite compris que ces étranges individus, contrairement à elle, vivaient le jour et dormaient la nuit. Et puis le nombre d’imposants objets avec lesquels ils encombraient l’espace offraient encore plus de possibilités de se dissimuler, ce qui facilitait ses déplacements vers l’extérieur, il s’agissait juste d’éviter la proximité du chat et du chien. Mais alors qu’elle pensait s’accommoder de cette soudaine invasion, une nuit où la souris partit comme à son habitude chasser des grillons, des chenilles ou d’autres petits insectes, elle s’arrêta net sur le porche de la maison et constata qu’à l’extérieur aussi tout avait changé, elle se retrouvait devant un paysage apocalyptique
Il avait suffi d’une journée pour que l’endroit qui la veille encore abondait de proies deviennent un désert de sillons de terre retournée. Son cœur battait à rompre sa petite poitrine. Elle s’appuya sur ses pattes arrière pour voir ce qu’il en était un peu plus avant, mais d’aussi loin qu’elle pouvait regarder, tout était dévasté. Elle renifla l’air, observa les alentours, s’arrêta en scrutant l’obscurité en direction de la rivière et se dit que ce serait peut-être l’occasion d’y aller chercher des petits escargots. Mais la lune presque pleine éclairait dangereusement l’espace entre elle et le cours d’eau où l’herbe avait été coupé très court, cette hypothèse et le chemin à découvert jusqu’à la rive l’exposait trop à l’assaut d’un rapace. La sourit stressait, elle pensait à ses petits sans savoir comment soulager leur faim. Dans le doute elle décida de rebrousser chemin et retourna dans la maison. Après quelques pas dans l’entrée, elle aperçut une forme bouger dans le noir. Le chat s’était réveillé, il s’étira puis trotta jusqu’à la cuisine pour se désaltérer. La souris s’arrêta mais son odeur la trahit, le félin stoppa, tourna son regard vers elle. Le rongeur se mit à courir et réussit à atteindre une plinthe, elle s’y cacha, tordit son corps, arriva à poursuivre sa course et laissa derrière elle les griffes du chat qui grattaient le bois. Heureusement, elle connaissait la maison par cœur et n’eut aucun mal à gagner l’étage avec le chat toujours à ses trousses. Dans la panique elle réussit à entrer dans la chambre où dormait la petite fille en se faufilant sous la porte, le chat n’allait pas tarder à arriver.
Les miaulements sortirent Sarah de son sommeil. Après s’être frottée les yeux, la petite se redressa sur son lit, elle aperçut une petite souris apeurée, menacée par le chat qui appelait avec insistance.
En fôret
Luca et Salomon avaient investi le jardin, où les légumes avaient laissé place à une large étendue d’herbe fraîchement tondue, et jouaient au tir au but entre deux arbres. Ils s’amusaient et riaient ensemble tant et tant que le temps passa rapidement. Après une longue partie les jumeaux, assoiffés rentrèrent chez eux, burent, prirent une bouteille et engagèrent une bataille d’eau que la mère redirigea vers l’extérieur.
Je gambadais dans les champs à la recherche de nourriture. Le pré était verdoyant et j’avais bon espoir de trouver quelques légumes dans le jardin de la maison que j’apercevais. Il y avait des animaux sur deux pattes qui semblaient jouer avec la pluie et un autre animal à quatre pattes que je n’avais encore jamais vu. Celui-ci posa soudain son regard sur moi. Un filet de bave coulait de ses babines. Il se semblait pas en colère, juste amusé. Il s’approcha davantage, je me blottis, tétanisé, et je sentis m’effleurer la chaleur de sa longue langue. Pris de panique, je me mis à bondir mais le chien me poursuivit. Où aller ? Je décidai de me réfugier dans la pénombre de la forêt. La course poursuite me sembla durer une éternité.
Dans le jardin, les enfants appelèrent encore et encore, mais le chien ne revint pas. Ils décidèrent alors de se lancer à sa recherche. Ils suivirent la piste forestière s’écartant de la Bourges, influencés par les traces de pattes qui se dessinaient dans la boue. Ils n’y avait aucun point de repère, à perte de vue s’étendaient des châtaigniers. Soudain, Lucas trébucha sur une racine et tomba dans un fossé. Salomon, se moquant de son frère, prit un bâton pour le sortir de là. Sur leur chemin, ils croisèrent un peuple qu’il connaissaient mal : écureuils, salamandres et insectes en tous genres s’étonnaient de leur course folle.
Les deux enfants virent une trouée entre les arbres et entendirent des aboiements : ils décidèrent de s’enfoncer davantage et découvrirent, sur un petit escarpement, un trou sombre et humide. Ils n’hésitèrent pas à ramper pour se faufiler à l’intérieur. Une grotte s’ouvrit devant eux. Un rayon de soleil la traversait et ils restèrent ébahis devant de belles stalactites. Salomon leva la tête, une chauve-souris s’envola, dérangée dans son sommeil. Quelque chose tomba sur la tête de Lucas qui sursauta.
L’après midi touchait à sa fin et les parents réalisèrent l’absence des jumeaux, mais aussi celle du chien. La barrière ouverte laissait deviner qu’ils étaient partis vers la forêt. Le père, submergé d’inquiétude, se lança à leur recherche.
Suivant les traces sur le sentier humide, il ne mit pas longtemps à trouver l’entrée de la grotte. Il appela les jumeaux, les aboiements du chien lui répondirent, déclenchant le vol de dizaines de chauves-souris, délogées de leur antre protectrice.
La découverte d’un trésor
Passée la surprise créée par ce vol de chauve-souris, Driss pénétra dans la grotte à moitié dissimulée par des buissons et des fougères.
« Les garçons ! » cria-t-il à nouveau, mais seul le bruit des aboiements du chien lui répondit. Le cœur battant, Driss avança prudemment vers l’entrée de la grotte. Allait-il retrouver ses enfants ? Dans quel état serait-il. Il crispa sa main sur la lampe torche qui éclairait les parois sombres de la grotte et s’avança en suivant le faisceau lumineux.
En s’approchant, il éclaira le chien assis au milieu de la grotte, remuant la queue avec excitation. En observant autour de lui, Driss remarqua qu’il y avait des traces de pas sur le sol boueux de la grotte, probablement celles des enfants se dit-il. Cela le rendit nerveux, mais il s’efforça de garder son calme.
« Viens ici ! » ordonna-t-il au chien, espérant qu’il obéirait. Mais l’animal ne bougeait pas, fasciné par quelque chose à l’intérieur de la grotte. Driss prit une profonde inspiration et poursuivit son chemin, armé de sa lampe de poche et suivit par le chien qui semblait très excité.
Plus il progressait dans la grotte et plus elle paraissait sombre, l’air frais et humide. Au fur et à mesure qu’il avançait, il pouvait entendre des bruits étranges, comme des chuchotements ou des échos. Driss se demanda s’il s’agissait des jumeaux ou d’autre chose. Tout à coup, il trébucha sur une pierre et faillit tomber, mais le chien le rattrapa en aboyant avec force.
« Lucas ! Salomon ! » cria-t-il encore, mais cette fois, sa voix trahissait son inquiétude. À ce moment précis, il aperçut une lueur au loin. Poussé par l’espoir, il s’avança vers cette lumière et découvrit les jumeaux, assis par terre, observant avec fascination des dessins apparemment anciens gravés sur les parois de la grotte.
« Lucas ! Salomon ! comme je suis heureux de vous trouver ici ! J’ai eu tellement peur ! Je vous ai cherché partout ! Est-ce que tout va bien ? Vous n’êtes pas blessés au moins ? »
« Tout va très bien papa, répondirent-ils en cœur, désolé de t’avoir inquiété. En suivant le chien, nous avons découvert cette grotte et notre curiosité a été plus forte que notre prudence… Mais nous ne le regrettons pas, nous avons découvert quelque chose d’incroyable !
« Papa ! Regarde ça ! » s’exclama Lucas, désignant les motifs mystérieux. Driss, soulagé de les retrouver sains et saufs, se mit à les examiner avec eux. Il dirigea sa lampe torche sur une paroi humide et découvrit des symboles, comme des dessins d’enfants, qui semblaient raconter une histoire oubliée, une légende de la région. Il y avait de nombreux animaux représentés, Driss semblait reconnaitre des insectes, des araignées, des lapins ou des lièvres, des castors, des renards, des sangliers, des cerfs ou des chevreuils, peut-être aussi des loutres… Lucas lui montra un dessin qui semblait représenter une meute de loups. « Etrange, dit Driss, il me semble que les loups ont disparu de la région depuis bien longtemps… ».
Parmi ces animaux qui ornaient cette grotte depuis longtemps probablement, Driss et les jumeaux distinguaient des symboles étranges, comme un alphabet oublié…
« Papa, Nous avons trouvé un trésor ! » s’écria Salomon avec enthousiasme. Driss, bien que soulagé d’avoir retrouvé les jumeaux, ne put s’empêcher de se poser mille questions… Qui était l’auteur de ces dessins ? qu’est-ce qu’ils pouvaient bien signifier ? Que faire de cette découverte ? Il fut tiré de ses réflexions par les aboiements du chien…
4/ Titre du chapitre
Driss ne put s’empêcher de regarder à droite, à gauche, tout autour de lui, dans cette grotte. Son chien était plus agité que d’habitude et il trouvait cela étrange. Soudain, son attention fut attirée par le son d’une musique qui se répercutait sur les parois froides et humides. Il dit aux jumeaux de venir vers lui, sans faire de bruit. Tout à coup le chien se mit à courir en direction de cette musique. Tous le poursuivirent, sans pour autant réussir à le rattraper. Ils arrivèrent devant ce qui semblait être une habitation à l’intérieur de la grotte, que l’on pouvait confondre avec l’environnement. La musique était de plus en plus forte. Comme ils avaient vu leur chien entrer dans cette maison, ils n’hésitèrent pas une seconde et pénétrèrent dans le lieu.
Un homme se tenait debout devant eux à présent, peignant sur un mur. Il était entouré de leur chien, d’une femelle et de sept chiots. Ils étaient interloqués. Cet homme avait une apparence modeste. Il était vêtu d’un ensemble bleu turquoise avec un crocodile brodé sur le côté et des baskets usées de contrefaçon bleu marine. Son visage était fermé. Il avait un dégradé à l’espagnol, et une petite moustache formait un duvet au-dessus de ses lèvres. Il ne mesurait pas plus d’1m20 à l’œil nu. Lui aussi était étonné de voir du monde, d’autant plus dans « sa » grotte. C’est alors que Salomon brisa le silence : « Que faites-vous là monsieur ? »
L’homme, qui se nommait Jorge, se mit alors à raconter le cours de sa vie sans oublier aucun détail. Malgré le fait qu’il essayait de rester impassible face aux inconnus, il se mit à trembler. Celui-ci dit alors que depuis petit il subissait des discriminations à cause de sa petite taille. Une fois majeur, il avait cherché un travail dans lequel il avait des compétences. Il trouva alors un emploi dans une galerie d’art à Paris, car il avait un don pour la peinture. Mais l’entreprise fit faillite et il fut licencié. Il se retrouva donc de nouveau sans travail et chercha en vain quelqu’un pour l’embaucher. Il marchait depuis des semaines lorsqu’il trouva un refuge au fond de cette grotte avec sa chienne. Il y construisit un abri rudimentaire où il pensait pouvoir vivre en ermite. Il exerçait son art sur les parois de la grotte, sous le regard désapprobateur des chauves-souris à la renverse. Jorge expliqua qu’un jour sa chienne revint en compagnie de sept chiots et du chien des Morins Diallo qui semblait être de toute évidence le géniteur. Il avait alors compris qu’une famille s’était installée dans les alentours mais il n’y porta pas un grand intérêt, pensant que la grotte était assez éloignée de leur maison.
Lorsqu’il eut fini son histoire, les enfants repensèrent alors au moment où Jorge était entré dans la cabane à l’orée de la forêt, au moment où ils avaient vu cet homme, au moment où ils avaient failli rire à gorge déployée et juger sans connaître. Conscients de leur erreur, ils eurent alors une idée pour l’aider : ils demandèrent à Jorge de peindre une fresque sur leur maison. Ce fut avec plaisir qu’il laissa à courir son pinceau sur le mur, au sommet de son échelle.
Peu à peu, il se fit connaître avant d’ouvrir sa propre galerie d’art appelée « L’Art sans Mesure ». Les chiots quant à eux avaient grandi et s’étaient épanouis au milieu de la verdure. Sarah, toujours très inspirée et malicieuse, leur avait donné le nom des 7 nains de Blanche-Neige. Au printemps, la faune et la flore reprirent vie et ravivèrent les couleurs alentours pour le plus grand plaisir de la famille. Les Morin-Diallo ouvrirent deux associations : une pour lutter contre les discriminations visant les personnes atteintes de nanisme et l’autre en faveur de la biodiversité (car dans la nature aussi, les êtres infiniment petits sont oubliés au profit de la démesure de l’homme). Ils virent grandir leurs enfants, à part Jorge évidemment (qui faisait à présent bel et bien partie de leur famille).
1/ Dans la maison au bord de la Bourges
La petite souris avait élu domicile dans la maison au bord de la Bourges vers la fin du printemps dernier, peu avant de mettre bas ses six petits. Elle avait choisi de s’installer dans le calme du grenier, un excellent refuge qui la protégeait de la lumière pendant ses longues heures de sommeil de la journée, et lui proposait une excellente base de repli après les escapades nocturnes qui lui permettait de se rassasier et de nourrir sa progéniture.
Tout se passait à merveille depuis des mois, elle coulait des jours tranquilles, mais vers la fin de l’été, son univers s’était assombri avec l’arrivée d’humains et de deux monstres à quatre pattes. Avec leurs meubles et leurs énormes machines en métal qui faisait énormément de bruit, ils avaient totalement changé la géographie de la maison. Par chance ils ne s’étaient pas encore aventuré dans le grenier et la souris avait vite compris que ces étranges individus, contrairement à elle, vivaient le jour et dormaient la nuit. Et puis le nombre d’imposants objets avec lesquels ils encombraient l’espace offraient encore plus de possibilités de se dissimuler, ce qui facilitait ses déplacements vers l’extérieur, il s’agissait juste d’éviter la proximité du chat et du chien. Mais alors qu’elle pensait s’accommoder de cette soudaine invasion, une nuit où la souris partit comme à son habitude chasser des grillons, des chenilles ou d’autres petits insectes, elle s’arrêta net sur le porche de la maison et constata qu’à l’extérieur aussi tout avait changé, elle se retrouvait devant un paysage apocalyptique
Il avait suffi d’une journée pour que l’endroit qui la veille encore abondait de proies deviennent un désert de sillons de terre retournée. Son cœur battait à rompre sa petite poitrine. Elle s’appuya sur ses pattes arrière pour voir ce qu’il en était un peu plus avant, mais d’aussi loin qu’elle pouvait regarder, tout était dévasté. Elle renifla l’air, observa les alentours, s’arrêta en scrutant l’obscurité en direction de la rivière et se dit que ce serait peut-être l’occasion d’y aller chercher des petits escargots. Mais la lune presque pleine éclairait dangereusement l’espace entre elle et le cours d’eau où l’herbe avait été coupé très court, cette hypothèse et le chemin à découvert jusqu’à la rive l’exposait trop à l’assaut d’un rapace. La sourit stressait, elle pensait à ses petits sans savoir comment soulager leur faim. Dans le doute elle décida de rebrousser chemin et retourna dans la maison. Après quelques pas dans l’entrée, elle aperçut une forme bouger dans le noir. Le chat s’était réveillé, il s’étira puis trotta jusqu’à la cuisine pour se désaltérer. La souris s’arrêta mais son odeur la trahit, le félin stoppa, tourna son regard vers elle. Le rongeur se mit à courir et réussit à atteindre une plinthe, elle s’y cacha, tordit son corps, arriva à poursuivre sa course et laissa derrière elle les griffes du chat qui grattaient le bois. Heureusement, elle connaissait la maison par cœur et n’eut aucun mal à gagner l’étage avec le chat toujours à ses trousses. Dans la panique elle réussit à entrer dans la chambre où dormait la petite fille en se faufilant sous la porte, le chat n’allait pas tarder à arriver.
Les miaulements sortirent Sarah de son sommeil. Après s’être frottée les yeux, la petite se redressa sur son lit, elle aperçut une petite souris apeurée, menacée par le chat qui appelait avec insistance.
En fôret
Luca et Salomon avaient investi le jardin, où les légumes avaient laissé place à une large étendue d’herbe fraîchement tondue, et jouaient au tir au but entre deux arbres. Ils s’amusaient et riaient ensemble tant et tant que le temps passa rapidement. Après une longue partie les jumeaux, assoiffés rentrèrent chez eux, burent, prirent une bouteille et engagèrent une bataille d’eau que la mère redirigea vers l’extérieur.
Je gambadais dans les champs à la recherche de nourriture. Le pré était verdoyant et j’avais bon espoir de trouver quelques légumes dans le jardin de la maison que j’apercevais. Il y avait des animaux sur deux pattes qui semblaient jouer avec la pluie et un autre animal à quatre pattes que je n’avais encore jamais vu. Celui-ci posa soudain son regard sur moi. Un filet de bave coulait de ses babines. Il se semblait pas en colère, juste amusé. Il s’approcha davantage, je me blottis, tétanisé, et je sentis m’effleurer la chaleur de sa longue langue. Pris de panique, je me mis à bondir mais le chien me poursuivit. Où aller ? Je décidai de me réfugier dans la pénombre de la forêt. La course poursuite me sembla durer une éternité.
Dans le jardin, les enfants appelèrent encore et encore, mais le chien ne revint pas. Ils décidèrent alors de se lancer à sa recherche. Ils suivirent la piste forestière s’écartant de la Bourges, influencés par les traces de pattes qui se dessinaient dans la boue. Ils n’y avait aucun point de repère, à perte de vue s’étendaient des châtaigniers. Soudain, Lucas trébucha sur une racine et tomba dans un fossé. Salomon, se moquant de son frère, prit un bâton pour le sortir de là. Sur leur chemin, ils croisèrent un peuple qu’il connaissaient mal : écureuils, salamandres et insectes en tous genres s’étonnaient de leur course folle.
Les deux enfants virent une trouée entre les arbres et entendirent des aboiements : ils décidèrent de s’enfoncer davantage et découvrirent, sur un petit escarpement, un trou sombre et humide. Ils n’hésitèrent pas à ramper pour se faufiler à l’intérieur. Une grotte s’ouvrit devant eux. Un rayon de soleil la traversait et ils restèrent ébahis devant de belles stalactites. Salomon leva la tête, une chauve-souris s’envola, dérangée dans son sommeil. Quelque chose tomba sur la tête de Lucas qui sursauta.
L’après midi touchait à sa fin et les parents réalisèrent l’absence des jumeaux, mais aussi celle du chien. La barrière ouverte laissait deviner qu’ils étaient partis vers la forêt. Le père, submergé d’inquiétude, se lança à leur recherche.
Suivant les traces sur le sentier humide, il ne mit pas longtemps à trouver l’entrée de la grotte. Il appela les jumeaux, les aboiements du chien lui répondirent, déclenchant le vol de dizaines de chauves-souris, délogées de leur antre protectrice.
La découverte d’un trésor
Passée la surprise créée par ce vol de chauve-souris, Driss pénétra dans la grotte à moitié dissimulée par des buissons et des fougères.
« Les garçons ! » cria-t-il à nouveau, mais seul le bruit des aboiements du chien lui répondit. Le cœur battant, Driss avança prudemment vers l’entrée de la grotte. Allait-il retrouver ses enfants ? Dans quel état serait-il. Il crispa sa main sur la lampe torche qui éclairait les parois sombres de la grotte et s’avança en suivant le faisceau lumineux.
En s’approchant, il éclaira le chien assis au milieu de la grotte, remuant la queue avec excitation. En observant autour de lui, Driss remarqua qu’il y avait des traces de pas sur le sol boueux de la grotte, probablement celles des enfants se dit-il. Cela le rendit nerveux, mais il s’efforça de garder son calme.
« Viens ici ! » ordonna-t-il au chien, espérant qu’il obéirait. Mais l’animal ne bougeait pas, fasciné par quelque chose à l’intérieur de la grotte. Driss prit une profonde inspiration et poursuivit son chemin, armé de sa lampe de poche et suivit par le chien qui semblait très excité.
Plus il progressait dans la grotte et plus elle paraissait sombre, l’air frais et humide. Au fur et à mesure qu’il avançait, il pouvait entendre des bruits étranges, comme des chuchotements ou des échos. Driss se demanda s’il s’agissait des jumeaux ou d’autre chose. Tout à coup, il trébucha sur une pierre et faillit tomber, mais le chien le rattrapa en aboyant avec force.
« Lucas ! Salomon ! » cria-t-il encore, mais cette fois, sa voix trahissait son inquiétude. À ce moment précis, il aperçut une lueur au loin. Poussé par l’espoir, il s’avança vers cette lumière et découvrit les jumeaux, assis par terre, observant avec fascination des dessins apparemment anciens gravés sur les parois de la grotte.
« Lucas ! Salomon ! comme je suis heureux de vous trouver ici ! J’ai eu tellement peur ! Je vous ai cherché partout ! Est-ce que tout va bien ? Vous n’êtes pas blessés au moins ? »
« Tout va très bien papa, répondirent-ils en cœur, désolé de t’avoir inquiété. En suivant le chien, nous avons découvert cette grotte et notre curiosité a été plus forte que notre prudence… Mais nous ne le regrettons pas, nous avons découvert quelque chose d’incroyable !
« Papa ! Regarde ça ! » s’exclama Lucas, désignant les motifs mystérieux. Driss, soulagé de les retrouver sains et saufs, se mit à les examiner avec eux. Il dirigea sa lampe torche sur une paroi humide et découvrit des symboles, comme des dessins d’enfants, qui semblaient raconter une histoire oubliée, une légende de la région. Il y avait de nombreux animaux représentés, Driss semblait reconnaitre des insectes, des araignées, des lapins ou des lièvres, des castors, des renards, des sangliers, des cerfs ou des chevreuils, peut-être aussi des loutres… Lucas lui montra un dessin qui semblait représenter une meute de loups. « Etrange, dit Driss, il me semble que les loups ont disparu de la région depuis bien longtemps… ».
Parmi ces animaux qui ornaient cette grotte depuis longtemps probablement, Driss et les jumeaux distinguaient des symboles étranges, comme un alphabet oublié…
« Papa, Nous avons trouvé un trésor ! » s’écria Salomon avec enthousiasme. Driss, bien que soulagé d’avoir retrouvé les jumeaux, ne put s’empêcher de se poser mille questions… Qui était l’auteur de ces dessins ? qu’est-ce qu’ils pouvaient bien signifier ? Que faire de cette découverte ? Il fut tiré de ses réflexions par les aboiements du chien…
4/ Titre du chapitre
Driss ne put s’empêcher de regarder à droite, à gauche, tout autour de lui, dans cette grotte. Son chien était plus agité que d’habitude et il trouvait cela étrange. Soudain, son attention fut attirée par le son d’une musique qui se répercutait sur les parois froides et humides. Il dit aux jumeaux de venir vers lui, sans faire de bruit. Tout à coup le chien se mit à courir en direction de cette musique. Tous le poursuivirent, sans pour autant réussir à le rattraper. Ils arrivèrent devant ce qui semblait être une habitation à l’intérieur de la grotte, que l’on pouvait confondre avec l’environnement. La musique était de plus en plus forte. Comme ils avaient vu leur chien entrer dans cette maison, ils n’hésitèrent pas une seconde et pénétrèrent dans le lieu.
Un homme se tenait debout devant eux à présent, peignant sur un mur. Il était entouré de leur chien, d’une femelle et de sept chiots. Ils étaient interloqués. Cet homme avait une apparence modeste. Il était vêtu d’un ensemble bleu turquoise avec un crocodile brodé sur le côté et des baskets usées de contrefaçon bleu marine. Son visage était fermé. Il avait un dégradé à l’espagnol, et une petite moustache formait un duvet au-dessus de ses lèvres. Il ne mesurait pas plus d’1m20 à l’œil nu. Lui aussi était étonné de voir du monde, d’autant plus dans « sa » grotte. C’est alors que Salomon brisa le silence : « Que faites-vous là monsieur ? »
L’homme, qui se nommait Jorge, se mit alors à raconter le cours de sa vie sans oublier aucun détail. Malgré le fait qu’il essayait de rester impassible face aux inconnus, il se mit à trembler. Celui-ci dit alors que depuis petit il subissait des discriminations à cause de sa petite taille. Une fois majeur, il avait cherché un travail dans lequel il avait des compétences. Il trouva alors un emploi dans une galerie d’art à Paris, car il avait un don pour la peinture. Mais l’entreprise fit faillite et il fut licencié. Il se retrouva donc de nouveau sans travail et chercha en vain quelqu’un pour l’embaucher. Il marchait depuis des semaines lorsqu’il trouva un refuge au fond de cette grotte avec sa chienne. Il y construisit un abri rudimentaire où il pensait pouvoir vivre en ermite. Il exerçait son art sur les parois de la grotte, sous le regard désapprobateur des chauves-souris à la renverse. Jorge expliqua qu’un jour sa chienne revint en compagnie de sept chiots et du chien des Morins Diallo qui semblait être de toute évidence le géniteur. Il avait alors compris qu’une famille s’était installée dans les alentours mais il n’y porta pas un grand intérêt, pensant que la grotte était assez éloignée de leur maison.
Lorsqu’il eut fini son histoire, les enfants repensèrent alors au moment où Jorge était entré dans la cabane à l’orée de la forêt, au moment où ils avaient vu cet homme, au moment où ils avaient failli rire à gorge déployée et juger sans connaître. Conscients de leur erreur, ils eurent alors une idée pour l’aider : ils demandèrent à Jorge de peindre une fresque sur leur maison. Ce fut avec plaisir qu’il laissa à courir son pinceau sur le mur, au sommet de son échelle.
Peu à peu, il se fit connaître avant d’ouvrir sa propre galerie d’art appelée « L’Art sans Mesure ». Les chiots quant à eux avaient grandi et s’étaient épanouis au milieu de la verdure. Sarah, toujours très inspirée et malicieuse, leur avait donné le nom des 7 nains de Blanche-Neige. Au printemps, la faune et la flore reprirent vie et ravivèrent les couleurs alentours pour le plus grand plaisir de la famille. Les Morin-Diallo ouvrirent deux associations : une pour lutter contre les discriminations visant les personnes atteintes de nanisme et l’autre en faveur de la biodiversité (car dans la nature aussi, les êtres infiniment petits sont oubliés au profit de la démesure de l’homme). Ils virent grandir leurs enfants, à part Jorge évidemment (qui faisait à présent bel et bien partie de leur famille).


